Création d’une nouvelle catégorie de réseaux électriques : les réseaux intérieurs
Le droit connaissait jusqu’à présent deux types de réseaux, les réseaux publics de distribution et les réseaux fermés de distribution :
- les réseaux publics de distribution définis à l’article L.2224-31 du Code général des collectivités territoriales sont la propriété des communes et leur gestion est confiée à Enedis (pour 95% du territoire) ou à des entreprises locales de distribution (qui couvrent les 5% restants) par le biais de contrats de concession ;
- les réseaux fermés de distribution, créés par l’ordonnance n°2016-1725 du 15 décembre 2016, sont définis à l’article L. 344-1 du Code de l’énergie. Un réseau fermé est ainsi « un réseau de distribution qui achemine de l’électricité à l’intérieur d’un site géographiquement limité et qui alimente un ou plusieurs consommateurs non résidentiels exerçant des activités de nature industrielle, commerciale ou de partages de services ». Il ne peut être constitué que s’il répond à des impératifs techniques ou de sécurité ou fournit de l’électricité essentiellement au propriétaire ou au gestionnaire de réseau ou aux entreprises qui leur sont liées.
ll faut désormais compter avec les « réseaux intérieurs des bâtiments », créés par l’article 16 de la loi n°2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, qui sont des réseaux haute ou basse tension et ne sont ni des réseaux publics de distribution ni des réseaux fermés de distribution.
Cette nouvelle catégorie de réseaux introduite par voie d’amendement (CD110) par l’Assemblée nationale dans le projet de loi initial permet de redonner un statut légal à certains réseaux existants que l’arrêt Valsophia de la cour d’appel de Paris du 12 janvier 2017 avait plongé dans l’illégalité, en interdisant purement et simplement le raccordement indirect des consommateurs d’électricité en dehors des hypothèses très restreintes de ceux intégrés à des réseaux fermés de distribution (CA Paris, 12 janvier 2017, n°2015/15157).
En effet, s’il est d’usage que dans les bâtiments composés de plusieurs logements, de plusieurs bureaux ou ayant une occupation mixte, l’électricité soit acheminée à chaque unité de consommation d’électricité par une colonne montante faisant partie du réseau public de distribution d’électricité, avec pour chaque unité de consommation un compteur électrique, il existe cependant de nombreux cas dans lesquels l’immeuble appartient à un propriétaire unique, qui a son comptage électrique en pied d’immeuble, et qui répercute l’électricité consommée aux locataires successifs via les charges locatives. Depuis l’arrêt précité, ce type de raccordement n’était plus autorisé par Enedis.
La première mouture de l’amendement CD170 définissait les bâtiments concernés par ces réseaux intérieurs comme les « bâtiments à usage tertiaire ou accueillant un service public ». Ces bâtiments ont été restreints par la suite aux immeubles de bureaux appartenant à un propriétaire unique, au motif qu’un bâtiment tertiaire ou accueillant un service public pouvait « déjà bénéficier d’une alimentation par un réseau fermé de distribution ou un réseau public de distribution » (voir amendement COM-43 déposé au Sénat), les articles L.344-1 et suivants du Code de l’énergie définissant déjà la notion de réseaux fermés de distribution pour répondre aux situations des bâtiments des ports, aéroports, sites industriels et commerciaux.
Le régime législatif de ces réseaux est codifié aux articles L.345-1 à L.345-8 du Code de l’énergie. La publication des textes d’application est annoncée pour mai 2018.Ce régime est largement calqué sur celui des réseaux fermés de distribution. Ainsi, le raccordement d’un utilisateur à un réseau intérieur ne peut faire obstacle à l’exercice par un consommateur des droits relatifs au libre choix de son fournisseur. Il ne peut non plus faire obstacle au droit de participation au mécanisme d’effacements de consommation (article L.345-3 du Code de l’énergie). Lorsque l’utilisateur est un producteur, il conserve le droit de bénéficier de l’obligation d’achat et du complément de rémunération, de demander l’émission de garanties d’origine ainsi que du droit de vendre sa production à un tiers (article L.345-4 du Code de l’énergie). Pour l’application de ces deux articles (L.345-3 et L.345-4), un dispositif de décompte de la consommation est toutefois installé par Enedis (article L.345-5 du Code de l’énergie). Cependant, et c’est là que le parallèle avec les réseaux fermés de distribution trouve ses limites, le texte ne crée pas de statut spécifique pour les gestionnaires des réseaux intérieurs.
Enfin, il faut relever que le propriétaire d’un réseau intérieur peut faire usage de son droit d’abandon dudit réseau, après remise en état à ses frais (article L.345-7 du Code de l’énergie). Cette dernière mention n’est pas neutre, puisqu’elle permet d’éviter les débats actuels sur les conditions d’abandon des colonnes montantes (voir sur LEXplicite nos articles sur les colonnes montantes des 28 juin 2017 et 28 décembre 2017).
Auteur
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat, droit de l’énergie et droit public