Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Crédit-bail : le danger des clauses d’indemnisation «excessives»

Crédit-bail : le danger des clauses d’indemnisation «excessives»

Il est fréquent que, dans un crédit-bail, figure une clause prévoyant le versement de certaines sommes pour régler la fin de la relation contractuelle, et notamment en cas d’inexécution par le crédit-preneur de ses obligations. Si la clause prend la forme d’une sanction forfaitaire, visant à compenser le préjudice subi par le crédit-bailleur et donc visant à contraindre le crédit-preneur à respecter les termes du contrat, elle s’analyse incontestablement comme une clause pénale. Comme telle, la somme prévue au contrat est susceptible d’être modérée si elle est considérée par un juge comme étant «manifestement excessive» (art. 1152 du C. civ.).

Mais toutes les sommes dues par un cocontractant du fait de la rupture d’un contrat ne méritent pas la qualification de clause pénale. Par exemple, n’a pas cette nature une clause dédit car elle ne sanctionne pas une inexécution mais, à l’inverse en quelque sorte, autorise l’une des parties à se défaire du contrat. Il n’est toutefois pas toujours simple de qualifier la clause d’indemnisation et donc de déterminer si le juge est, ou non, en droit de la modérer comme en témoigne un arrêt récent de la Cour de cassation (Com. 14 juin 2016).

En l’espèce, un contrat de location financière de matériel informatique avait prévu qu’en cas de retard dans la restitution du matériel à l’expiration du terme contractuel, le locataire devrait payer au bailleur une indemnité de jouissance calculée sur la base du loyer contractuel, pro rata temporis. En rédigeant ainsi la clause, le loueur pensait qu’elle échapperait au pouvoir modérateur du juge. De fait, on pouvait estimer, et ce fut l’argument du loueur devant la Cour de cassation, que la stipulation litigieuse n’avait d’autre objet que de compenser la jouissance de ce matériel par le locataire au-delà du délai dans lequel il devait être restitué.

C’était sans compter avec une nette tendance de la jurisprudence à étendre le champ des clauses pénales. Rejetant le pourvoi contre l’arrêt qui avait retenu la qualification de clause pénale, la Haute juridiction considère que «même si pour partie, l’indemnité de jouissance prévue par le contrat représente pour le bailleur une contrepartie du service dont le locataire continue de bénéficier après le terme de la location en conservant les matériels loués, cette indemnité vise également à contraindre le locataire à restituer le matériel loué». En conséquence, parce qu’elle «constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice résultant pour le bailleur de l’inexécution, qui s’applique du seul fait de celle-ci», il s’agit d’une clause pénale.

Si ce n’est pas exactement la première fois que la Cour de cassation assimile ainsi indemnité de jouissance post-contractuelle et clause pénale, il ne faut sans doute pas en déduire pour autant que toute clause prévoyant une telle indemnité de jouissance aura nécessairement valeur de clause pénale. Tout dépend si la clause vise, fût-ce à titre accessoire, à contraindre le locataire à s’exécuter. Il est logique de décider que, dans le cas des biens à obsolescence rapide comme les ordinateurs ou même les voitures, l’indemnité de jouissance post-contractuelle, fixée au même montant que le loyer contractuel, a bien cette fonction comminatoire. Mais il en irait, selon toute vraisemblance, différemment en cas de crédit-bail immobilier : l’indemnité de jouissance post-contractuelle calculée par référence au loyer contractuel représenterait alors, uniquement, pour le bailleur «une contrepartie du service dont le locataire continue de bénéficier».

Cette analyse a vocation à se maintenir pour les contrats qui seront conclus à compter du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. En effet, le futur article 1231-5 du Code civil reprend en substance les termes de l’actuel article 1152.

Auteur

Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris

Crédit-bail : le danger des clauses d’indemnisation « excessives » – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 5 septembre 2016