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Le critère du respect des valeurs républicaines dans l’appréciation de la représentativité syndicale

Le critère du respect des valeurs républicaines dans l’appréciation de la représentativité syndicale

Pour être représentatif, un syndicat doit remplir plusieurs conditions tenant notamment à son indépendance, à sa transparence financière, à son ancienneté, à son audience, à son influence, à ses effectifs et à ses cotisations. Il doit également justifier qu’il respecte les valeurs républicaines.

La jurisprudence définissant ce dernier critère n’est pas légion. L’arrêt rendu sur ce point par la Cour de cassation le 26 janvier 2016 (n°14-29308) mérite donc un éclairage particulier.

Le respect des valeurs républicaines a remplacé le critère de « l’attitude patriotique pendant l’occupation« 

Avant la loi n°2008-789 du 20 août 2008, la représentativité des organisations syndicales était déterminée d’après les cinq critères suivants :

  • les effectifs
  • l’indépendance
  • les cotisations
  • l’expérience et l’ancienneté du syndicat
  • l’attitude patriotique pendant l’occupation.

La loi précitée a modifié les règles applicables. L’article L 2121-1 – nouveau – du Code du travail précise dorénavant que la représentativité des organisations syndicales est déterminée d’après les sept critères cumulatifs suivants :

  • le respect des valeurs républicaines
  • l’indépendance
  • la transparence financière
  • une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation
  • l’audience établie selon les niveaux de négociation
  • l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience
  • les effectifs d’adhérents et les cotisations.

Alors que le critère précédemment utilisé de l’attitude patriotique pendant l’occupation se situait au dernier rang avant la loi du 20 août 2008, celui du respect des valeurs républicaines, qui le remplace, se situe quant à lui au premier rang. Ce qui est de nature à lui donner une importance particulière.

Que faut-il entendre par « respect des valeurs républicaines » ?

En l’absence de précision particulière donnée par le législateur, il est revenu au monde judiciaire de déterminer les contours de ce critère.

  • La position du tribunal d’instance de Boissy-Saint-Léger concernant la CNT

Le tribunal d’instance de Boissy-Saint-Léger, à qui il appartenait de déterminer si le syndicat du commerce et des industries de l’alimentation de la région parisienne (SCIAL), affilié à la confédération nationale du travail (CNT) respectait les valeurs républicaines a, aux termes d’un jugement en date du 11 février 2010 (n°11-09-001250), jugé :

  • que ce critère a été introduit par la loi du 20 août 2008 comme condition commune à la reconnaissance du droit des syndicats à s’implanter dans l’entreprise et à la reconnaissance de la représentativité, en remplacement de l’obligation devenue obsolète d’avoir démontré une « attitude patriotique pendant l’occupation » ;
  • qu’il permet de garantir la liberté syndicale
  • que les négociations menées antérieurement à la loi du 20 août 2008 par les partenaires sociaux sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme avaient abouti, le 9 avril 2008, à la définition d’une « position commune » proposant que la reconnaissance de la représentativité syndicale soit évaluée en fonction de sept critères dont celui du respect des valeurs républicaines défini comme impliquant « le respect de la liberté d’opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance« 
  • que si cette définition n’a pas été reprise par la loi, les valeurs de la République dont le respect est imposé par le législateur ne peuvent s’entendre que de celles qui garantissent la souveraineté du peuple sans imposer une forme déterminée d’organisation des pouvoirs
  • e leur définition doit donc davantage être recherchée dans la Constitution du 4 octobre 1958 dont le préambule renvoie expressément et explicitement à trois autres textes fondamentaux, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l’Environnement de 2004, et qui fixe un certain nombre de valeurs républicaines parmi lesquelles la liberté, l’égalité, la laïcité, la résistance à l’oppression ou la démocratie.

Ceci étant dit, ce tribunal d’instance a considéré, dans l’espèce qu’il a dû trancher :

  • que le fait pour un syndicat d’avoir pour objet de former et d’organiser les travailleurs pour l’abolition de l’Etat (cf article 4 des statuts de la CNT), de s’interroger sur la participation aux élections professionnelles au sein des entreprises ou de préconiser « l’action directe » c’est-à-dire une « forme de lutte décidée, mise en Å“uvre et gérée directement par les personnes concernées » n’est nullement contraire aux valeurs de la République et participe d’une action revendicative propre à l’action syndicale
  • qu’il convient à cet égard de se référer à la charte adoptée en octobre 1906 par la CGT et connue à partir de 1912 sous le nom de Charte d’Amiens, laquelle assigne au syndicalisme un double objectif et une exigence ; la défense des revendications immédiates et quotidiennes et la lutte pour une transformation d’ensemble de la société en toute indépendance des partis politiques et de l’Etat
  • qu’enfin la condamnation isolée d’un militant de la CNT pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique ne peut suffire à établir que le SCIAL-CNT, dont il n’était au demeurant pas membre, préconiserait le recours à des « moyens illicites » contraires aux valeurs de la République.
  • Une position confirmée par la Cour de cassation

Dans une décision en date du 13 octobre 2010 (n°10-60130), la Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé la position adoptée dans ce jugement et admis que les statuts du syndicat CNT, quand bien même ils prônent l’abolition de l’Etat, ne suffisent pas à démontrer que ce syndicat poursuit une action contraire aux valeurs républicaines.

A l’appui du pourvoi en cassation qu’elle a formé, la société a soutenu, devant la Haute Cour :

  • que le respect des valeurs républicaines suppose de la part d’un syndicat qu’il ne poursuive pas des objectifs contraires aux principes fondateurs de l’Etat républicain tels qu’ils résultent de la Constitution et de l’ensemble des textes et principes à valeur constitutionnelle
  • que le syndicat dont l’objet est de former et d’organiser les travailleurs pour l’abolition de l’Etat prône la négation d’une organisation républicaine de la France en contradiction avec les textes constitutionnels
  • qu’en considérant que prôner l’abolition de l’Etat n’est pas contraire aux valeurs de la République, le tribunal d’instance a violé les principes sus-évoqués, ainsi que les articles L 2142-1, L 2142-1-1 du Code du travail et 1131 du Code civil
  • que le respect des valeurs républicaines implique le rejet catégorique de tout recours à la violence comme mode de revendication
  • que le tribunal d’instance, qui se borne à énoncer que « l’action directe » préconisée par ce syndicat est une « forme de lutte décidée, mise en oeuvre et gérée directement par les personnes concernées« , et qui considère qu’elle n’est donc pas contraire aux valeurs de la République, sans rechercher comme elle l’y invitait, pièce à l’appui, si le syndicat CNT ne présentait pas lui-même le recours à la force comme une forme d’action directe possible, ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles L 2142-1, L 2142-1-1 du Code du travail, 1131 du Code civil et 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Haute Cour n’a pas suivi cette argumentation. Elle a estimé en premier lieu que c’est à celui qui conteste le respect, par une organisation syndicale, des valeurs républicaines, d’apporter la preuve de sa contestation. Elle a jugé en second lieu et surtout que le tribunal d’instance a constaté que la preuve n’était pas rapportée que le syndicat CNT, en dépit des mentions figurant dans les statuts datant de 1946, poursuive dans son action un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines.

Sans donner plus de précision quant au sens à donner au respect des valeurs républicaines, cette décision de la Cour de cassation fournit un élément important : il y a lieu de considérer davantage l’action réellement menée par le syndicat que le contenu de ses statuts.

  • La position du tribunal d’instance de Longjumeau concernant SUD

Dans une autre décision en date du 1er février 2010, le tribunal d’instance de Longjumeau a jugé que le syndicat SUD, bien que ses statuts prônent un socialisme autogestionnaire qui nie le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, respecte les valeurs républicaines.

  • L’arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2016 concernant le syndicat national autonome de la propreté manutentions-RATP- aéroportuaire et services associés (SNAPMRASA)

Dans une affaire d’abord tranchée par le tribunal d’instance de Nogent sur Marne le 8 décembre 2014, l’employeur a contesté une désignation syndicale émanant du syndicat national autonome de la propreté manutentions-RATP- aéroportuaire et services associés (SNAPMRASA) au motif que ce syndicat ne remplissait pas la condition du respect des valeurs républicaines, posée par l’article L 2142-1 du Code du travail.

Le tribunal d’instance ayant débouté l’employeur, ce dernier a formé un pourvoi. Il soutenait notamment, à l’appui de ce dernier :

  • que le respect des valeurs républicaines s’apprécie au regard des statuts du syndicat, et non de son action ni des articles de ces derniers ne portant pas atteinte à ces valeurs ;
  • qu’en se fondant pour rejeter sa demande d’annulation de la désignation syndicale sur l’absence de preuve d’une action du syndicat contraire aux valeurs républicaines et sur les articles de ses statuts qui n’y portent pas atteinte, le tribunal d’instance n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L 2142-1 du Code du travail ;
  • que le droit de propriété et l’interdiction de toute discrimination constituent des valeurs que protègent la Constitution, les engagements internationaux de la France et les lois de la République ;
  • qu’en rejetant sa demande d’annulation de la désignation syndicale, alors que les statuts du syndicat s’inspirent dans son action de la « lutte des classes » et s’assignent pour but la « suppression de l’exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de proximité (en fait, de « production ») et d’échange dans l’intérêt même de tous les travailleurs« , le tribunal d’instance a violé l’article L 2142-1 du Code du travail

La Haute Cour n’a pas suivi cette argumentation. Elle a considéré, dans son arrêt du 26 janvier 2016 (n°14-29308), que la référence dans les statuts du syndicat à la lutte des classes et à la suppression de l’exploitation capitaliste ne méconnaissait aucune valeur républicaine.

Il apparaît de ce qui précède que la jurisprudence a, s’agissant de la notion du respect des valeurs républicaines, une interprétation assez extensive.

Les travaux parlementaires ayant précédé la loi du 20 août 2008 font ressortir que ce critère vise à prévenir les situations où, sous couvert de syndicalisme, le syndicat poursuivrait d’autres objectifs que ceux envisagés par l’article L 2131-1 du Code du travail relatif aux missions des syndicats, et fonderait ses actions sur des valeurs totalement incompatibles avec celles fondant la République.

Sous le régime antérieur à cette loi, la Cour de Cassation a jugé, le 10 avril 1998 (n°97-17870), qu’un syndicat professionnel ne peut pas être fondé sur une cause ou en vue d’un objet illicite. Dans cette affaire, le syndicat concerné n’était en réalité que l’instrument d’un parti politique dont il servait exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance et l’origine nationale ou ethnique.

Cette décision, bien qu’ancienne, conserve tout son intérêt. On peut légitimement penser que si elle devait aujourd’hui se prononcer sur la situation d’un syndicat poursuivant de tels objectifs, elle considérerait que ledit syndicat ne respecte pas les valeurs républicaines.

 

Auteur

Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social

 

Le critère du respect des valeurs républicaines dans l’appréciation de la représentativité syndicale – Article paru dans Les Echos le 9 mars 2016