La CVAE dans les groupes de sociétés : principes et critiques des commentaires récents
L’apport par la doctrine administrative de précisions récentes sur les modalités de calcul de la CVAE dans les groupes intégrés conduit à s’interroger sur les règles d’imposition des groupes de sociétés à cette taxe.
La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises L(CVAE) est l’une des deux composantes, avec la cotisation foncière des entreprises (CFE), de la contribution économique territoriale (CET) instaurée par la loi de finances pour 2010 en remplacement de la taxe professionnelle.
Cette taxe prévue à l’article 1586 ter du CGI est due par les personnes physiques ou morales ainsi que les sociétés non dotées de la personnalité morale qui sont imposables à la CFE en raison de l’exercice, à titre habituel, d’une activité professionnelle non salariée (art. 1447, 1, du CGI) et dont le chiffre d’affaires hors taxes est supérieur à 152 500 euros.
Dans la généralité des cas, l’appartenance du redevable à un groupe de sociétés n’a pas d’incidence sur les modalités de détermination de la CVAE de chacune des sociétés liées (1). Ce principe souffre toutefois deux exceptions, lorsque la société est membre d’un groupe d’intégration fiscale (2) ou lorsqu’elle est partie à une opération de restructuration conduisant à une réduction importante de la CVAE (3).
1. Rappel du droit commun
Le calcul de la CVAE consiste à appliquer à l’assiette de l’imposition un taux d’imposition qui est fonction du chiffre d’affaires du redevable. L’assiette est constituée de la valeur ajoutée produite par la société, laquelle ne peut excéder 85% ou 80% du chiffre d’affaires selon que celui-ci excède ou non le seuil de 7,6 millions d’euros.
Si le taux nominal de la CVAE est fixé à 1,5%, les contribuables bénéficient d’un dégrèvement variable en fonction de leur chiffre d’affaires. Ainsi, le barème de la cotisation qui demeure finalement à la charge des entreprises est progressif puisqu’il débute à 0% pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros pour atteindre 1,5% lorsque le chiffre d’affaires est supérieur à 50 000 000 euros. L’application de ce dégrèvement aboutit à ne soumettre effectivement à cette cotisation que les redevables dont le chiffre d’affaires hors taxes est supérieur ou égal à 500 000 euros.
Dans un groupe de sociétés non intégrées, le taux effectif d’imposition à la CVAE (c’est-à-dire le taux effectivement applicable après mise en oeuvre du dégrèvement légal) de chacune des entités juridiques sera calculé sur la base du chiffre d’affaires propre à chacune d’entre elles, indépendamment du chiffre d’affaires des autres membres du groupe.
2. Règles applicables aux sociétés membres d’un groupe fiscal intégré
En vertu des dispositions de l’article 1586 quater, I bis du CGI applicables à compter des impositions 2011, le taux de la CVAE applicable aux sociétés membres d’un groupe d’intégration fiscale (au sens des dispositions des articles 223 A à 223 Q du CGI) n’est pas déterminé d’après leur chiffre d’affaires individuel mais d’après le chiffre d’affaires consolidé du groupe intégré. Cette consolidation est effectuée en procédant à la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés, assujetties ou non à la CVAE, membres du groupe.
Cette disposition est subordonnée à la double condition que la somme des chiffres d’affaires des sociétés membres du groupe fiscal est supérieure à 7 630 000 euros et que la société mère, au sens de l’article 223 A, ne bénéficie pas du taux réduit de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 219 du CGI. Cette modalité de calcul du taux de CVAE propre aux sociétés membres d’un groupe d’intégration peut conduire les sociétés à s’acquitter d’un montant de CVAE nettement supérieur à celui qui aurait été dû en application de la formule de calcul prévue à l’article 1586 quater I du CGI, c’est-à-dire la méthode de détermination du taux d’après le chiffre d’affaires individuel de la société.
Précisons que cette consolidation ne s’applique pas pour apprécier le seuil d’assujettissement à la CVAE de 152 500 euros, ni les seuils de 2 000 000 euros et de 500 000 euros conditionnant respectivement l’octroi du dégrèvement complémentaire de 1 000 euros et le paiement de la cotisation minimum.
De nouveaux commentaires concernant les dispositifs de consolidation du chiffre d’affaires ont été ajoutés au BORP le 27 juin 2014 après avoir préalablement été soumis à la consultation publique le 13 mai 2014 (180I-CVAE-Lio-10-20140627).
Ladministration y précise que le critère de l’applica-tion du taux consolidé de CVAE est l’appartenance ou non du redevable à un groupe fiscal intégré à la date du fait générateur en matière de CVAE, soit au 1er janvier de l’année d’imposition.
Si cette première précision n’appelle pas de commentaire particulier, l’administration ajoute de manière, selon nous, beaucoup plus contestable qu’en cas de fusion par voie d’absorption, la sortie des sociétés absorbées du groupe ne peut avoir d’incidence sur le calcul du taux effectif de leur CVAE due au titre de l’année de l’opération.
Rappelons que la société membre d’un groupe fiscal qui est absorbée en cours d’exercice cesse, en principe, de faire partie du périmètre d’intégration fiscale à compter de l’ouverture de l’exercice de réalisation de l’opération. On pourrait déduire de cette sortie du périmètre de l’intégration, que la consolidation du chiffre d’affaires devrait être écartée au titre de l’année de réalisation de l’opération et, qu’ainsi, la CVAE due par la société absorbée devrait être calculée au taux qui correspond à son chiffre d’affaires propre (ajusté pour correspondre à une année pleine).
Toutefois, la doctrine administrative est venue préciser qu’une société fiscalement intégrée qui est absorbée par une autre société tierce au groupe au cours d’une année avec un effet rétroactif au 1er janvier de cette même année demeure redevable de la CVAE au titre de l’année de l’opération et est toujours considérée comme fiscalement intégrée pour le calcul de son taux effectif d’imposition.
Cette interprétation est, selon nous, critiquable dès lors qu’elle conduit à maintenir artificiellement les effets de l’intégration, pour une société qui n’est juridiquement plus intégrée, pour les seuls besoins de la CVAE. Le principe de l’absence de rétroactivité en matière de fiscalité locale n’est pas de nature à permettre à l’administration de réputer intégrée une société qui a cessé de l’être en vertu de dispositions légales spécifiques.
3. Dispositif anti-abus
Dès lors que le taux de CVAE est déterminé en fonc-tion du montant du chiffre d’affaires du redevable, le législateur a craint que des contribuables décident de procéder à des opérations de restructuration destinées exclusivement à scinder entre différentes entités le chiffre d’affaires initialement réalisé par une société unique afin de réduire le taux moyen de CVAE appliqué à la valeur ajoutée globale.
Pour dissuader de telles pratiques, le législateur a institué à l’article 1586 quater III du CGI un dispositif «anti-abus». Ce dernier prévoit qu’en cas d’apport, de cession d’activité ou de scission d’entreprise réalisés à compter du 22 octobre 2009 ou de transmission universelle de patrimoine réalisée à compter du 1er janvier 2010, le chiffre d’affaires à retenir pour calculer le taux effectif d’imposition de chacune des entreprises parties à l’opération est égal à la somme des chiffres d’affaires de ces entreprises lorsque les conditions suivantes sont remplies :
- l’entité à laquelle l’activité est transmise est détenue, directement ou indirectement, à plus de 50%, soit par l’entreprise cédante ou apporteuse ou les associés de l’entreprise scindée réunis, soit par une entreprise qui détient, directement ou indirectement, à plus de 50% l’entreprise cédante ou apporteuse ou les entreprises issues de la scission réunies, soit par une entreprise détenue, directement ou indirectement, à plus de 50% par l’entreprise cédante ou apporteuse ou par les associés de l’entreprise scindée réunis ;
- la somme des cotisations dues, d’une part, par l’entreprise cédante, apporteuse ou scindée et, d’autre part, par le nouvel exploitant est inférieure d’au moins 10% aux impositions de CVAE qui auraient été dues par ces mêmes entreprises en l’absence de réalisation de l’opération ;
- l’activité continue d’être exercée par ces dernières ou par une ou plusieurs de leurs filiales ;
- les entreprises en cause ont des activités similaires ou complémentaires.
La durée d’application de ce dispositif est limitée à huit années suivant celle de l’apport, de la cession d’activité, de la scission d’entreprise ou de la transmission universelle de patrimoine.
Si la fréquence d’application du dispositif «anti-abus» reste relativement rare, la consolidation des chiffres d’affaires au sein des groupes intégrés est une réalité quotidienne. En conséquence, les nouvelles modalités de traitement de sortie de ce groupe en cas de fusion absorption appellent, selon nous, une clarification jurisprudentielle ou légale.
Auteur
Alexis Bussac, avocat en matière de taxe professionnelle et CET pour les entreprises et les collectivités locales.
Article paru dans le magazine Option Droit & Affaires paru le 1er octobre 2014