Défaut de continuation de la relation commerciale avec le cessionnaire du fonds de commerce
La société Expeditors international France, commissionnaire de transport, avait sous-traité à partir de 2003 d’importants volumes d’affaires à la société CDS, transporteur, laquelle avait décidé le 1er novembre 2007 de céder à la société Egetra une branche de son fonds de commerce.
Début février 2008, la société Expeditors a annoncé à la société Egetra une réduction immédiate de ses commandes. Cette dernière décida de l’assigner en rupture brutale de la relation commerciale sur le fondement de l’article L.442-6, I 5° du Code de commerce, en se prévalant d’une relation établie depuis 2003, c’est-à-dire depuis l’origine des relations avec la société CDS, avant cession de la branche de fonds.
Dans un arrêt du 10 septembre 2014, la cour d’appel de Paris a fait droit à cette demande. La Cour a estimé que la société Egetra, acquéreur de la branche de fonds, avait poursuivi la relation commerciale initialement nouée entre les sociétés Expeditors et CDS en relevant que le flux d’affaires entre ces dernières avait été repris sans interruption, que les prestations étaient identiques et que la société Expeditors, qui avait payé les factures de la société Egetra sans contestation, ne pouvait prétendre ne pas avoir été informée de la cession de la branche d’activité.
Ainsi, pour la Cour, la société Egetra, en reprenant les engagements de la société CDS envers la société Expeditors, avait poursuivi la relation commerciale nouée en 2003, ce qui justifiait une durée de préavis de cessation de la relation tenant compte de cette antériorité.
La Cour de cassation a infirmé cette décision en considérant que la société Egetra « simple acquéreur » d’un fonds de commerce ne pouvait pas se prévaloir, à l’encontre de la société Expeditors, de la durée de la relation commerciale initialement nouée (Cass. com., 3 mai 2016, n°15-10.158).
Ainsi, la substitution de partenaires dans une relation commerciale établie ne s’opère pas de plein droit en matière de cession de fonds de commerce, à la différence des opérations qui génèrent une transmission universelle de patrimoine (fusion, scission, apport partiel d’actifs soumis au régime des scissions) et sauf contrat conclu intuitu personae.
Cette solution n’est pas inédite et s’inscrit dans la ligne des décisions déjà rendues par la Cour de cassation (voir du même auteur, la Lettre des réseaux de distribution de juin 2014 : Pas de reprise de plein droit par le cessionnaire d’un fonds de la relation commerciale établie par le cédant avec son partenaire commercial, à propos de : CA Paris, 13 février 2014, n°12/09668, confirmé depuis par : Cass. com., 15 septembre 2015, n°14-17.964).
En effet, dans l’arrêt du 15 septembre 2015 précité, la Cour de cassation avait affirmé que la cession d’un fonds de commerce emporte transfert de la propriété des éléments du fonds cédé mais n’a pas « de plein droit substitué le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que cette société entretenait avec la [première] société ».
De même, la cour d’appel de Paris a pu considérer « que la cession du fonds de commerce n’emporte pas transport de plein droit au cessionnaire des conventions attachées à son exploitation » (CA Paris, 17 septembre 2015, n°13/24537).
La solution énoncée par la Cour de cassation, dans l’arrêt du 3 mai 2016, vient conforter davantage cette position. En effet, il ne suffit pas que le successeur poursuive la relation initialement nouée en reprenant notamment les caractéristiques essentielles des accords passés, il faut encore rapporter la preuve de la volonté de substituer un partenaire à un autre dans la relation commerciale en cours. L’arrêt rappelle ce principe tout en généralisant la portée : dans les dernières affaires précitées, le cessionnaire du fonds de commerce était l’auteur prétendu de la rupture, la partie qui se considérait victime d’une rupture brutale étant le fournisseur de services/cocontractant du cédant du fonds. Ici, les juges appliquent la même solution mais dans l’hypothèse inverse où c’est le cessionnaire du fonds qui est la victime prétendue et le fournisseur de services l’auteur de la rupture.
En conclusion, peu importe que l’acquéreur du fonds soit auteur ou victime de la rupture, ce qui compte est de vérifier, pour déterminer le point de départ de la relation établie et la durée du préavis à indexer sur l’entière relation :
- d’une part, que les parties à la cession (cédant et cessionnaire) ont expressément ou, à défaut par un faisceau d’indices qui aboutit à une solution non équivoque, voulu transférer/reprendre le contrat concerné ; et
- d’autre part, selon les cas, que le débiteur cédé (le cocontractant) a consenti à cette cession ou ne s’y oppose pas, le simple constat de la poursuite du flux d’affaires entre le cessionnaire et le partenaire du cédant du fonds pendant quelque temps ne suffisant pas à établir cette volonté.
La décision du 3 mai 2016 est alors l’occasion d’insister sur le lien qui existe entre la continuation d’une relation commerciale établie avec un autre partenaire et le rôle clé joué par l’intention des parties à l’opération et son expression.
A cet égard, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 septembre 2015 a considéré qu’une « relation commerciale établie avec un donneur d’ordre peut se poursuivre avec un autre partenaire dès lors que les parties ont manifesté leur intention de se situer dans la continuation de la relation antérieure ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, [la société transporteur] ne rapportant pas la preuve de cette intention ».
Dans l’arrêt du 3 mai 2016, la Cour de cassation continue donc d’affiner son appréciation de l’intention des parties dans la poursuite ou non de la relation commerciale établie nouée initialement, après la cession du fonds de commerce, et procède par la même occasion à un certain encadrement de l’application de l’article L.442-6, I 5° en matière de cession de fonds de commerce.
Auteur
Francine Van Doorne, Avocat Counsel, spécialisée en droit commercial et droit de la distribution