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Définition de la prépondérance immobilière : de Charybde en Scylla

Définition de la prépondérance immobilière : de Charybde en Scylla

Le Conseil d’Etat vient d’annuler la doctrine administrative qui prévoyait que l’appréciation de la prépondérance immobilière des sociétés dont les titres faisaient l’objet d’une provision pour dépréciation s’appréciait à la date de clôture de l’exercice de dotation (ou de reprise). Une décision qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses…

Une des caractéristiques du droit fiscal français est de prévoir de très nombreuses définitions de la prépondérance immobilière selon les impôts et le régime fiscal applicable aux contribuables concernés, qui font les délices des fiscalistes, et constituent un calvaire pour tout contribuable normalement constitué…

Parmi ces multiples définitions, celle relative aux titres de sociétés à prépondérance immobilière (SPI) détenus depuis plus de deux ans par une entité soumise à l’impôt sur les sociétés, et qui font l’objet d’une cession ou de la dotation ou reprise d’une provision pour dépréciation, figure parmi les plus connues des praticiens. Pour rappel, sont ainsi considérées comme étant à prépondérance immobilière pour les besoins de l’article 219, I a sexies-0 bis du Code général des impôts, les sociétés dont l’actif est constitué pour plus de 50% de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur ces immeubles, des droits afférents à un crédit-bail immobilier, ou des titres d’autres SPI, étant entendu que les actifs immobiliers affectés par l’entreprise à sa propre exploitation ne sont pas pris en compte.

De fait, on comprendra que cette définition revêt une importance particulière dès lors que, depuis 2007, les plus-values sur titres de SPI ne sont pas éligibles au régime d’exonération des plus-values sur titres de participation détenus depuis plus de deux ans, et qu’ainsi ces gains restent taxés à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun (les moins-values sur titres de SPI étant, à l’inverse, déductibles). Le corollaire de ce régime dual réside dans la déductibilité des provisions pour dépréciation de titres de SPI, et dans leur caractère taxable en cas de reprise.

Reste à déterminer la date à laquelle s’apprécie l’éventuelle prépondérance immobilière des sociétés dont les titres sont cédés ou provisionnés. C’est précisément sur cette question que s’est noué un contentieux récemment tranché par le Conseil d’Etat (CE 14 octobre 2015 n°387249, Société l’Auxiliaire).

I. Une décision favorable au requérant…

Le texte légal énonce que le test de prépondérance immobilière est réalisé, en cas de cession, à la date de la mutation ou à la clôture du dernier exercice précédant cette cession. S’agissant des provisions pour dépréciation de titres de SPI, il ne contient pas les mêmes précisions, et se contente d’indiquer «qu’elles sont soumises au même régime que les plus ou moins-values de cession».

Considérant que le «régime» visé concernait l’éventuelle déductibilité ou taxation des provisions, et ne s’étendait pas à la date d’appréciation de la prépondérance immobilière, l’administration a indiqué dans sa doctrine publiée que le test de prépondérance immobilière devait être réalisé à la clôture de l’exercice de dotation ou de reprise de la provision chez la société auteur de la provision.

Cette position pouvait se prévaloir d’une certaine logique, dans la mesure où le fait générateur d’imposition concernant les entités soumises à l’impôt sur les sociétés réside dans la clôture d’un exercice. Il n’était dès lors pas incohérent de proposer de faire coïncider la date d’appréciation de la prépondérance immobilière (et, partant, la possibilité de procéder ou non à la déduction de la provision) et le fait générateur d’imposition.

Cependant, cette approche pouvait avoir des effets néfastes pour les contribuables dont les filiales perdaient leur caractère immobilier en cours d’exercice, postérieurement à la constitution de la provision (cette dernière devenant alors non déductible). Par ailleurs, force est de constater qu’en matière de cession, le texte légal ne raisonnait pas selon cette logique, et retenait un test de prépondérance immobilière à la date de l’événement conduisant à réaliser la plus-value (ou, dans une optique anti-abus, à la clôture de l’exercice précédant ledit événement), et non du fait générateur d’imposition.

C’est cette critique qu’a formulée la société d’assurance mutualiste l’Auxiliaire dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative publiée, considérant que l’administration avait ajouté à la loi, alors même que la doctrine doit se borner à l’expliciter, et qu’en conséquence (i) la position administrative devait être annulée, et (ii) l’administration enjointe d’édicter une nouvelle instruction conforme à la loi.

Après avoir considéré qu’ «aucune disposition de la loi ne précise comment s’apprécie le caractère immobilier prépondérant des sociétés en l’absence de cession des titres», le Conseil d’Etat a donné partiellement raison au contribuable en annulant la doctrine litigieuse pour incompétence. Cependant, il a refusé de prononcer l’injonction demandée par le requérant.

II. … qui soulève de nombreuses questions et appelle à une intervention législative et administrative

Par cette décision, le Conseil d’Etat semble s’être arrêté au milieu du gué, mettant le contribuable dans un relatif embarras, tant pour l’avenir que pour le passé.

Pour l’avenir, cette décision justifierait que le législateur prenne ses responsabilités, et précise dans le texte légal la date d’appréciation de la prépondérance immobilière en cas de dotation ou reprise de provisions. Le fait que cette décision soit rendue en fin d’année constitue un heureux concours de circonstances, et permettrait de régler cette question dans le cadre d’une des deux lois de finances. A cet égard, une extension aux provisions de la règle posée en matière de cessions pourrait s’avérer plus sécurisante qu’une simple légalisation de la doctrine annulée, dans la mesure où le traitement fiscal appliqué aux provisions ne dépendrait pas d’événements postérieurs à sa dotation ou reprise.

Pour le passé, l’affirmation du Conseil d’Etat selon laquelle le texte légal n’est d’aucun secours pour déterminer la date d’appréciation de la prépondérance immobilière paraît clore tout débat sur l’interprétation du texte légal. Les travaux préparatoires n’apportent pas davantage d’indications sur la date à retenir. Ainsi, sauf à souhaiter se prévaloir de la doctrine annulée (laquelle reste opposable à l’administration pour les exercices clos antérieurement à la décision d’annulation si le contribuable y a intérêt), le contribuable est maintenu dans une zone d’incertitude, source de contentieux.

Personne ne peut se satisfaire d’une telle situation, de sorte que même si elle n’y a pas été enjointe par le Conseil d’Etat, l’administration ferait œuvre utile en publiant une tolérance administrative aux termes de laquelle elle admettrait que l’appréciation de la prépondérance immobilière soit calée sur la règle applicable en matière de cessions. Certes, cette tolérance nouvellement publiée ne serait techniquement pas opposable pour le passé dans la mesure où, comme on l’a vu, l’ancienne doctrine annulée par le Conseil d’Etat demeure elle-même opposable pour les exercices clos antérieurement à son annulation. Elle le serait cependant pour l’avenir et serait inattaquable par le recours pour excès de pouvoir en raison de son défaut de caractère impératif.

Plus globalement, et sauf à sciemment souhaiter laisser se multiplier les terrains de contentieux, le législateur pourrait utilement travailler, en lien avec l’administration, à la simplification des définitions de la prépondérance immobilière, pour les limiter à deux ou trois, avec comme principales variables la situation géographique des actifs, l’affectation ou non à sa propre exploitation des actifs immobiliers, voire la cotation de la société concernée. Il s’agirait là d’une simplification salutaire des régimes fiscaux immobiliers, dont chacun s’accorde à reconnaître qu’ils participent désormais de l’illisibilité de la fiscalité française.

 

Auteur

Jean-Charles Benois, avocat en droit fiscal

 

Définition de la prépondérance immobilière : de Charybde en Scylla – Article paru dans le magazine Option Finance le 9 novembre 2015