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Délai de recours contre les instructions mises en ligne au BOFiP : le Conseil d’Etat juge que le délai est de deux mois à compter de la mise en ligne

Délai de recours contre les instructions mises en ligne au BOFiP : le Conseil d’Etat juge que le délai est de deux mois à compter de la mise en ligne

Revenant sur sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat juge que le délai de recours de deux mois court à compter de la date de mise en ligne des instructions publiées au BOFiP. Toutefois, cette règle, assortie d’une période transitoire pour les instructions les plus anciennes, n’interdit pas toujours de contester ces instructions plus de deux mois après leur mise en ligne.

Une jurisprudence favorable qui permettait d’échapper au délai de deux mois pour contester une instruction administrative

On sait qu’en application du Code de la justice administrative (articles R 421-1 à R 421-7), les recours pour excès de pouvoir doivent être présentés devant la juridiction administrative compétente dans un délai de deux mois à compter de la publication de la décision attaquée lorsqu’il s’agit d’une décision à caractère réglementaire (décret, etc.) ou à compter de la notification de la décision lorsqu’il s’agit d’une décision non réglementaire.

Toutefois, en vertu d’une jurisprudence constante consacrée par la décision de Section du 4 mai 1990, nos 55124 et 55137, Association freudienne et autres, le Conseil d’Etat considérait que la publication au Bulletin officiel des impôts n’était pas suffisante pour faire courir le délai de recours du recours pour excès de pouvoir contre les instructions de l’administration fiscale, qui constituent des actes de nature réglementaire.

Cette jurisprudence avait été confirmée par une décision du 13 janvier 2010 n° 321416, M. et Mme Nemo, alors même qu’elle semblait pouvoir être remise en cause à la suite d’une décision de Section du 27 juillet 2005, n°259 004 par laquelle le Conseil d’Etat, dans un litige de contentieux général, avait jugé que la publication dans un bulletin officiel d’une instruction fait courir le délai de recours si l’obligation de publier cette instruction résulte d’un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel. Or, l’obligation de publier les instructions du ministre chargé du budget au Bulletin officiel des impôts résultait de dispositions publiées au Journal officiel.

La spécificité de la jurisprudence fiscale avait toutefois été maintenue par le Conseil d’Etat après l’introduction de la dématérialisation de l’accès à la documentation administrative fiscale résultant de la création en 2012 du BOFiP-impôts. Par une décision du 20 décembre 2013, n° 371157, Société Axa France Vie et autres, le Conseil d’Etat avait implicitement jugé recevable un recours formé plus de deux mois après la mise en ligne des commentaires attaqués au BOFiP.

Cette jurisprudence est aujourd’hui remise en cause, mais avec une entrée en vigueur adaptée

L’entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2019 de nouvelles dispositions réglementaires modifiant les règles relatives aux instructions et circulaires mises en ligne par l’administration a constitué l’élément déclencheur d’une remise en cause de cette jurisprudence traditionnelle. Depuis cette date en effet, en application de modifications apportées au Code des relations entre le public et l’administration par un décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, il résulte clairement des textes applicables que la mise en ligne d’une instruction vaut publication de cette dernière.

Pour les instructions publiées au BOFiP-impôts depuis le 1er janvier 2019, la Section du contentieux, par une décision du 13 mars 2020, n°435634, société Hasbro European Trading BV, juge, sur le fondement de ces nouvelles dispositions, que le délai de recours de deux mois court à compter de leur mise en ligne. Cette solution ne constitue pas un revirement de jurisprudence puisqu’elle résulte d’une modification des textes applicables.

Mais le Conseil d’Etat saisit l’occasion de cette solution pour revenir sur sa jurisprudence traditionnelle applicable aux instructions fiscales publiées avant le 1er janvier 2019. Désormais la mise en ligne au BOFiP-impôts de ces instructions est regardée comme faisant courir le délai de recours de deux mois.

Ce revirement de jurisprudence étant toutefois de nature à porter atteinte au droit au recours, le Conseil d’Etat précise que cette nouvelle règle de forclusion ne s’appliquera pas aux requêtes présentées avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la date de lecture de la décision, intervenue le 13 mars 2020.

Il en résultait en l’espèce que la requête, qui avait pour objet de demander l’annulation d’une instruction publiée avant le 1er janvier 2019, était donc recevable. Elle était par cotre non fondée.

Un recours plus de deux mois après la publication d’une instruction publiée après 2019 reste possible sous certaines conditions

La possibilité de contester le Bofip même des années après sa publication reste possible sous certaines conditions

Ce revirement de jurisprudence ne remet en réalité en cause qu’à la marge la possibilité d’utiliser le recours pour excès de pouvoir pour contester les instructions publiées au BOFiP, même plusieurs années après cette publication.

Il suffira en effet de demander au ministre chargé du budget l’abrogation de l’instruction contestée puis de demander dans le délai de recours de deux mois l’annulation, toujours en premier et dernier ressort devant le Conseil d’Etat, de la décision de refus d’abrogation qui, en l’absence de décision expresse, naîtra implicitement deux mois après l’introduction de la demande. De la même façon que pour le recours en annulation d’une instruction, il est parfaitement admis par la jurisprudence que le recours en annulation du refus d’abroger une telle instruction soit assorti d’une QPC dirigée contre les dispositions législatives commentées par l’instruction en question.

La seule limite que le recours direct contre une instruction permettait de contourner porte sur les instructions qui auraient été abrogées implicitement (du fait d’une modification des dispositions législatives commentées) ou explicitement (du fait d’une modification de la doctrine). En effet, en principe, une demande d’abrogation serait alors sans objet.

Dans ses conclusions sur cette décision, Karin Ciavaldini a toutefois envisagé la possibilité d’infléchir la jurisprudence pour considérer que, compte tenu de la structuration spécifique de la base BOFiP-impôts, la publication d’une nouvelle version d’une instruction fiscale ne vaudrait pas nécessairement abrogation de la version précédente, en particulier lorsque la nouvelle version est intervenue pour tenir compte d’un changement législatif. Le Conseil d’Etat n’a toutefois pas pris position sur ce point dans sa décision et la question reste donc ouverte.

A noter enfin que, compte tenu de l’intervention de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative notamment à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, il nous semble que, en application des dispositions des articles 1er et 2 de cette ordonnance, combinées avec celle de l’article 15 de l’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, le délai pour introduire un recours en annulation contre une instruction publiée avant le 1er janvier 2019 ne court qu’à compter du 23 juin 2020 et est donc reporté au 24 août 2020. En effet, le délai de recours de deux mois dont le point de départ initial avait été fixé par le Conseil d’Etat au 13 mars 2020 arrivant à échéance pendant la période juridiquement protégée ou neutralisée allant du 12 mars au 23 juin 2020, les dispositions de ces ordonnances trouvent selon nous à s’appliquer. Le Bofip BOI-DJC-COVID19-40 du 24 juin 2020, bien que ne prévoyant pas le cas particulier des recours pour excès de pouvoir faisant suite à la décision ici commentée, nous semble confirmer cette analyse.

Article paru dans Option Finance le 03 juillet 2020

Auteurs

Stephane Austry, avocat associé, droit fiscal

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