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La délégation de pouvoirs : une solution au risque pénal des dirigeants de grandes entreprises

La délégation de pouvoirs : une solution au risque pénal des dirigeants de grandes entreprises

Accidents de travail, harcèlement, travail dissimulé : la délégation de pouvoirs se généralise comme une réponse au risque pénal encouru par le dirigeant dans les structures complexes. Cependant, pour un transfert de responsabilité efficace, encore faut-il satisfaire aux conditions de validité établies par les tribunaux.


Aligner la responsabilité juridique sur la responsabilité opérationnelle

La délégation de pouvoirs a fait l’objet de quatre décisions récentes de la Cour de cassation, symbole de son importance croissante. Il s’agit d’un acte juridique par lequel une personne (le déléguant) transfère de façon permanente, ou non, une partie des pouvoirs et des responsabilités qui lui incombent, au titre de son mandat social ou de son contrat de travail, à une autre personne (le délégataire). Ce mécanisme ne doit pas être confondu avec la délégation de signature, qui ne constitue qu’une simple procuration. La délégation de pouvoirs permet au chef d’entreprise de transférer la responsabilité pénale qui normalement lui incombe, à l’un de ses préposés, à savoir le responsable opérationnel qui est chargé de veiller à la bonne mise en œuvre de toutes les obligations légales qui pèsent sur l’entreprise dans le domaine qui le concerne. Ce transfert de responsabilité pénale est souvent mis en œuvre en raison par exemple de la taille de l’entreprise ou de la technicité des normes à respecter.

Dans un premier temps cantonnée aux questions d’hygiène et de sécurité, le champ d’application de la délégation de pouvoirs s’est considérablement élargi et regroupe désormais toutes les infractions susceptibles d’être commises à l’occasion du fonctionnement de l’entreprise (gestion du personnel, relation avec les instances représentatives du personnel, distribution, propriété intellectuelle, environnement, données personnelles, comptabilité, concurrence, etc.).

Critères clés de validité : compétence, autonomie, autorité et moyens nécessaires

Le délégant peut déléguer les pouvoirs qu’il détient, sans toutefois se décharger de l’intégralité de ces derniers, à une personne de l’entreprise qui lui est subordonnée. Il peut notamment consentir à un salarié la faculté de subdéléguer. Les mêmes pouvoirs ne peuvent pas en principe être simultanément délégués à plusieurs personnes.

Le délégataire doit appartenir à l’entreprise et disposer des compétences et des moyens nécessaires à l’exécution de sa mission. Par ailleurs, bien que «subordonné», le délégué doit disposer de l’autorité et l’autonomie suffisante à l’exercice de ses fonctions. Il doit par exemple pouvoir interdire l’exécution de taches présentant des risques pour les salariés, mais aussi disposer du pouvoir de décision pour engager les mesures nécessaires à la mise en conformité.

Recommandations pratiques

La délégation de pouvoirs pourrait n’être que verbale, les tribunaux n’imposant pas de formalisme spécifique. Cependant, il est fortement recommandé de systématiquement la formaliser par un écrit pour faciliter la preuve de son existence et de son acceptation. Elle doit porter sur des missions précises et circonscrites afin de réduire le risque de chevauchement des responsabilités. Sa durée doit être suffisamment longue, de sorte que le délégataire ait pu effectivement exercer la mission confiée et que ce soient bien les manquements de ce dernier qui puissent être sanctionnés.

Plus généralement, la délégation de pouvoirs doit être le reflet de la réalité opérationnelle de l’entreprise, ce qui requiert une bonne analyse préalable de celle-ci appuyée sur des éléments concrets tels que l’organigramme, la cartographie des risques, la liste des mandats sociaux, des fonctions exactes et des contrats de travail des personnes concernées.

Enfin, la délégation de pouvoirs doit s’accompagner de pédagogie : le délégataire doit connaître et maitriser la réglementation à faire respecter ; il doit également avoir pleinement conscience des responsabilités qu’il accepte. La délégation de pouvoirs doit aussi faire l’objet d’un suivi rapproché de sorte de s’assurer régulièrement de sa pertinence, et afin de faire face au turn over des délégataires et suivre les éventuelles subdélégations.

Limites au transfert de responsabilité : la délégation de pouvoirs n’exonère pas totalement le chef d’entreprise de toute responsabilité

En effet, si le dirigeant conserve en pratique le contrôle et le pouvoir de décision dans le secteur de la délégation de pouvoirs consentie, cette dernière est inefficace.

De plus, selon la jurisprudence, la délégation de pouvoirs ne peut avoir pour effet de transférer la responsabilité pénale du dirigeant s’agissant de mesures se rattachant à son pouvoir propre de direction ou de prérogatives constituant le cœur de sa fonction (établissement de bilans sociaux, respect des dispositions impératives relatives aux réunions du comité d’entreprise et au bon fonctionnement de l’institution, renouvellement de la délégation unique du personnel).

Par ailleurs, si la délégation de pouvoirs exonère, lorsqu’elle est valable, le déléguant de sa responsabilité pénale sur le périmètre concerné, elle n’a pas d’effet sur la responsabilité pénale de la personne morale qui peut être recherchée cumulativement avec celle du délégataire.

Enfin, la délégation de pouvoirs ne peut avoir pour effet de transférer la responsabilité civile au délégataire. En effet, le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs n’est pas civilement responsable s’il a agi dans les limites de sa mission. Mais il peut être sanctionné ou licencié le cas échéant par l’employeur, s’il a commis une faute dans l’accomplissement de celle-ci, sauf si le délégant s’est immiscé dans la prise de décision.

Un outil de structuration et de prévention au sein de l’entreprise

Compte tenu de la complexité des normes et du nombre de spécialités qui cohabitent dans l’entreprise, la délégation de pouvoirs, plus qu’un besoin, devient presque une nécessité.

Plus largement, la mise en place d’une délégation de pouvoirs en ce qu’elle interroge sur l’organisation des pouvoirs et de la hiérarchie au sein de l’entreprise ainsi que sur les champs de compétences des différentes parties prenantes, est également un moyen de structurer l’entreprise, d’améliorer, rationaliser et optimiser l’organisation de son activité ainsi que la répartition des compétences au sein de celle-ci. En clarifiant et en formalisant les prérogatives de chacun, la délégation de pouvoirs permet, dans la mesure où elle responsabilise ses acteurs, de garantir une prévention effective du risque pénal.

A ce titre, il pourrait même être considéré qu’il est de la responsabilité du chef d’entreprise de mettre en place des délégations de pouvoirs au sein de l’entreprise.

 

Auteurs

Maïté Ollivier, avocat en droit social

Emmanuelle Brunel, avocat en droit des sociétés

 

La délégation de pouvoirs : une solution au risque pénal des dirigeants de grandes entreprises – Article paru dans Les Echos Business le 1er février 2016