La délicate combinaison des statuts de salarié et de créateur
14 janvier 2015
Parmi les questions délicates du droit social, figure la combinaison du statut de salarié avec un autre statut : dirigeant, actionnaire, … Penchons-nous ici sur les créateurs salariés.
Les inventions brevetables dont nous avons traité dans un récent article (Les inventions de salariés, Les Echos Business, 10 novembre 2014), ont été dotées d’un régime juridique globalement satisfaisant pour les employeurs et qui ne fait l’objet que d’un contentieux limité, le plus souvent en fin de carrière.
Toute autre est la situation des créations couvertes par le droit d’auteur, alors même qu’elles se multiplient, notamment dans les métiers informatiques (logiciels) ou du luxe (styliste de mode, designer, etc.).
Le droit d’auteur s’est développé voici plus de deux siècles, dans un contexte fort différent de l’environnement actuel de travail, sur le principe que l’œuvre, reflet de la personnalité de l’auteur, appartient à ce dernier. Le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI – at. 111-1) énonce ainsi que l’existence d’un contrat de travail ne porte pas atteinte au droit d’auteur du salarié.
Dès lors qu’une création est protégeable au titre du droit d’auteur, lequel ne s’applique qu’aux œuvres de l’esprit dans lesquelles l’auteur exprime sa personnalité, ce qui exclut les cas où il se limite à une prestation de «technicien», sous une contrainte technique et/ou hiérarchique forte, la question de la titularité des droits doit être envisagée. Nombre de travaux de salariés, y compris des rapports, plans ou études techniques, sont ainsi susceptibles de donner prise au droit d’auteur. A contrario, les états comptables et financiers d’une entreprise, dans la mesure où ils résultent de la mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, ne donneront généralement pas prise au droit d’auteur. De telles productions sans originalité créative réelle sont dès l’origine, la propriété de l’entreprise qui les produit.
Certaines lois étrangères écartent la propriété de l’auteur au profit de l’entreprise. Tel n’étant pas le cas en France, l’employeur doit organiser la cession des droits nés au profit du salarié.
La sécurisation juridique de la propriété des créations protégeables au titre du droit d’auteur et réalisées dans le cadre du contrat de travail demande dès lors adaptations et précautions.
I. La contractualisation de la cession des droits
En dehors des hypothèses visées ci-dessous, le principe essentiel en matière de droit d’auteur est que l’œuvre appartient à son créateur personne physique. Pour pouvoir l’exploiter, l’employeur doit en conséquence organiser la cession des droits à son profit.
La difficulté réside dans le fait que le législateur a multiplié les précautions pour protéger le créateur, tout en ignorant la spécificité de la situation du créateur salarié, qui est déjà payé pour son travail, qui peut être, en l’occurrence, un travail de création.
Ainsi, il serait inefficace de s’en tenir à une simple clause dans le contrat de travail prévoyant que le salarié cède ses droits à son employeur pour les œuvres qu’il sera amené à créer pendant toute la durée de son contrat de travail : en effet, la cession globale des œuvres futures est nulle.
La rédaction d’une clause par laquelle le salarié s’engage à céder, au fil de l’eau, ses droits moyennant, par exemple, une rémunération déjà convenue dans son mode de fixation, pourrait, en revanche, être envisagée. Il est également souhaitable d’organiser la signature d’un avenant de «régularisation» de la cession après chaque création. En tout état de cause, chacun des droits cédés devra faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et le domaine d’exploitation des droits cédés devra être délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.
Mais les exigences légales rigoureuses (mention distincte des droits cédés, délimitation précise, modalités de rémunération, etc.) font de cette contractualisation un exercice juridique et pratique délicat.
Souvent ignorées dans la vie courante, ces contraintes ne doivent pas être sous-estimées, car elles tendent à resurgir lors de la rupture du contrat de travail, le salarié réclamant des arriérés et/ou une menaçant d’interdiction pour l’avenir, d’exploiter ses œuvres sans autorisation.
II. L’appropriation du droit par l’entreprise
Dans certaines situations cependant, l’entreprise voit le principe de propriété du créateur salarié écarté à son profit.
C’est pour le logiciel que la situation est la plus claire. Encore a-t-il fallu une loi spéciale. Comme pour certaines inventions brevetables, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus automatiquement à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.
En dehors de cette hypothèse, l’employeur peut parfois soutenir que la contribution du prétendu créateur s’est intégrée dans une œuvre collective : il reste alors titulaire des droits patrimoniaux.
Pour que les droits d’auteur naissent sur la tête du créateur personne physique, il faut en effet que ceux-ci soient individuels et non collectifs. Mais pour que s’applique le régime de l’œuvre collective, il est nécessaire que l’œuvre soit créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale, sous sa direction et son nom et que la contribution personnelle de ceux qui participent à son élaboration se fonde dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. En pareil cas, l’œuvre collective est la propriété de la personne physique ou morale à l’initiative de la création, qui est pleinement investie des droits de l’auteur.
Une œuvre est ainsi regardée comme collective lorsque l’autonomie créatrice de l’individu est faible au regard de l’apport de l’entreprise. La cour d’appel de Paris l’a récemment retenue dans trois affaires pour écarter les prétentions d’un dessinateur de bijoux, d’un directeur artistique et d’un photographe, œuvrant pour de prestigieuses maisons dotées d’une forte identité et pilotant de manière très directive leurs créations. Le premier arrêt a été confirmé par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 19 décembre 2013, n°12-26409).
Mais en appeler à la notion d’œuvre collective est un choix risqué dont on ne connaît la solution qu’au terme du procès et qui s’impose souvent après coup, face à un contentieux. Même s’il pense que l’œuvre créée répond aux critères de l’œuvre collective, l’employeur peut donc avoir intérêt à prévenir tout différend par une contractualisation adaptée.
Auteurs
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Article paru dans Les Echos Business le 14 janvier 2015
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