Démembrement d’un bien immobilier : les pièges fiscaux à éviter
Des acquisitions d’actifs immobiliers mal démembrés peuvent aboutir à la double peine : droits de succession et impôt de plus-value.
L’achat de la nue-propriété d’un bien immobilier auprès d’une personne âgée qui en était propriétaire et en conserve l’usufruit peut produire des effets fiscaux doublement négatifs lorsque l’acquéreur est également le futur héritier ou le légataire de cette personne et qu’il revend le bien après son décès.
Ce «scénario catastrophe» repose sur l’enchainement suivant :
- la personne âgée vend la nue-propriété de sa maison à un proche et en conserve l’usufruit ;
- dans son testament elle désigne ce proche comme légataire (ou alternativement ce proche est son futur héritier) ;
- elle décède,
- le nu-propriétaire, devenu plein propriétaire, vend alors la maison à un tiers.
Au décès de l’usufruitier, l’application de la présomption de l’article 751 du Code général des impôts a pour conséquence de réintégrer fictivement dans la succession la pleine propriété de la maison acquise en démembrement comme si l’acquisition n’avait pas eu lieu. Les droits de succession sont alors dus par le légataire (ou l’héritier) sur la valeur de la maison au décès.
Lors de la vente de la pleine propriété de la maison par le légataire (ou l’héritier), l’usufruit s’étant éteint du fait du décès de l’usufruitier, la plus value est égale à la différence entre le prix de vente et le prix d’acquisition du bien. Mais quelle est cette valeur d’acquisition ? S’agit-il du prix de l’acquisition initiale réalisée à titre onéreux ou de la valeur de la maison qui a supporté les droits de succession ?
Dans un arrêt récent non frappé de recours devant le Conseil d’Etat à notre connaissance, la cour d’appel administrative de Bordeaux a tranché en faveur du prix de l’acquisition initiale à titre onéreux. Elle a jugé que «si les dispositions de l’article 751 du Code général des impôts instituent au regard des droits de mutation par décès, une présomption de caractère fictif de l’acte d’acquisition de la nue-propriété, elles sont sans incidence sur la validité de cet acte d’acquisition et, par suite, sur sa prise en compte pour le calcul de la plus-value imposable» (CAA Bordeaux , 4e chambre, 28 mars 2014, N°12BX00643).
En définitive, dans ce «scénario catastrophe», le légataire (ou l’héritier) qui a acquis la nue-propriété de la maison (et a en principe payé le prix) doit acquitter cumulativement des droits de succession (comme s’il n’avait pas payé le prix) et l’impôt de plus-value sur la différence entre la valeur succession de la maison et son prix d’acquisition initiale.
La question se pose alors de savoir comment échapper à cette double taxation. Elle s’inscrit dans la problématique complexe de la transmission de ses biens par une personne âgée en faveur d’un proche en particulier en l’absence de lien de parenté entre eux ou en cas de parenté éloignée.
L’illustration suivante permet de comprendre les enjeux de la maitrise des opérations de transmission :
- année n : au jour de l’achat de la nue-propriété de la maison, celle-ci vaut 100 en pleine propriété et 80 en nue-propriété (par simplification, pour le calcul du coût fiscal, on ne tient pas compte des droits de mutation à titre onéreux) ;
- année n + 5 : au jour du décès de l’usufruitier et au jour de sa revente, la maison vaut 200 ;
- absence de parenté entre le défunt et son légataire : le tarif des droits de mutation à titre gratuit est égal à 60% ;
- l’impôt de plus-value de 34,50% (19% d’impôt de plus-value auquel s’ajoutent 15.50% de prélèvements sociaux) est appliqué à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition sans tenir compte des frais d’acquisition.
- Dans l’hypothèse du «scénario catastrophe», le légataire recueille en net 45.50 après avoir acquitté des droits de succession pour 120 (200 * 60%) et l’impôt de plus-value pour 34.50 (200 – 120 – 34.50). S’il a réellement acquitté le prix d’acquisition initiale de 80, le bilan est négatif.
S’il ne l’a pas acquitté, cette hypothèse recèle le risque alternatif d’une requalification de l’acte d’acquisition à titre onéreux en donation déguisée avec assujettissement aux droits de donation et application de la pénalité de l’abus de droit de 80% sur ces droits. Dans ce cas, et contrairement à notre scénario, il appartient à l’administration fiscale d’apporter la preuve de l’intention libérale du «vendeur». - Si rien n’avait été fait et que le défunt était décédé en étant propriétaire de sa maison, son légataire aurait recueilli en net 80 après avoir acquitté des droits de succession pour 120 (200 * 60%). Lors de la revente, aucune plus-value n’aurait été taxée, le prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value étant la valeur déclarée dans la succession.
- Si une donation de la nue-propriété de la maison avait été réalisée au profit du futur légataire, lors de la vente post-décès, le légataire aurait recueilli 117.50 après avoir acquitté les droits de donation pour 48 (80 * 60%) et l’impôt de plus-value pour 34.50 (100 * 34,50%).
L’extinction de l’usufruit au décès de l’usufruitier produit en effet deux effets fiscaux favorables :
- aucun droit de mutation à titre gratuit n’est acquitté sur l’usufruit pour autant que la donation soit antérieure de plus de trois mois au décès. A défaut la présomption de l’article 751 s’applique sauf à prouver que le décès n’était pas prévisible au jour de la donation (Cass. Com 17 janvier 2012 n°10-27185 repris au Bofip BOI-ENR-DMTG-10-10-40-10-20140929 n°290) ;
- en outre la plus-value est calculée en prenant comme prix d’acquisition la valeur de la pleine propriété du bien au jour de la donation (soit 100).
Cette solution peut être améliorée en anticipant la donation de telle sorte que la nue-propriété de la maison soit de moindre valeur et en faisant prendre en charge les droits de donation par le donateur. Elle l’est également en retardant la vente pour bénéficier des abattements pour durée de détention applicable pour le calcul de la plus-value immobilière. En résumé, la solution sera d’autant moins coûteuse fiscalement que la donation sera anticipée !
Auteur
Sylvie Lerond, avocat Counsel, Responsable du service Droit du Patrimoine.