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Des pouvoirs délégués de l’Autorité Européenne des marchés financiers validés par la CJUE

Des pouvoirs délégués de l’Autorité Européenne des marchés financiers validés par la CJUE

Dans un arrêt(1) remarqué du 22 janvier dernier, la Cour de justice de l’Union européenne est venue conforter la validité du système de supervision des marchés financiers dans une décision relative aux pouvoirs d’intervention de l’Autorité européenne des marchés financiers (l’AEMF ou ci-après « l’Autorité ») en matière de vente à découvert d’instruments financiers et de contrats d’échange sur risque de crédit.

Objet d’un recours en annulation déposé par le Royaume-Uni, l’article 28 du Règlement européen n° 236/2012(2) habilite l’Autorité à prendre des décisions de suspension ou d’interdiction de positions courtes nettes sur un instrument financier ou une catégorie particulière d’instruments financiers.

Loin de caractériser un pouvoir discrétionnaire dont la mise en œuvre traduirait une véritable politique économique(3), les pouvoirs de l’AEMF sont déclarés conformes au traité de Fonctionnement de l’Union européenne (FUE) et plus particulièrement au régime de délégation de pouvoirs prévu par celui-ci dans la mesure où ils sont encadrés par des critères et conditions précis et susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par le juge de l’Union. Le champ d’action de l’Autorité est ainsi placé hors de tout pouvoir discrétionnaire.

On rappellera que ces pouvoirs en matières de ventes à découvert supposent la nécessité de menaces sur les marchés financiers ou sur la stabilité du système financier de l’Union et ayant des implications transfrontalières, une situation de carence à raison soit de l’absence de mesures nationales prises soit de l’inadéquation de mesures nationales prises, et se trouvent expressément subordonnés à certains garde-fous en termes d’efficacité, d’impact sur la liquidité du marché considéré ou de risque d’arbitrage réglementaire. En outre, leur mise en œuvre requiert des mécanismes de consultation et d’information des autorités nationales, donne lieu à des mesures temporaires ; certains critères d’appréciations définis pouvant être précisés par des actes délégués, le cas échéant, pris par la Commission.

Deuxième apport de l’arrêt, la nature des pouvoirs délégués à l’Autorité est également confortée. Ces pouvoirs précisément encadrés comme nous l’avons vu sont qualifiés de pouvoirs d’exécution nonobstant leur portée générale éventuelle. Ils ne constituent pas des actes normatifs. Il s’en évince que l’Autorité agissant dans des circonstances bien délimitées est alors valablement fondée à prendre de tels actes conformément au traité FUE qui dispose expressément de la faculté pour les organes et les organismes de l’Union d’adopter des actes de portée générale.

Enfin et surtout, la Cour valide le fondement juridique utilisé (l’article 114 du traité FUE) en ce compris la possibilité pour l’Autorité de prononcer également des décisions individuelles contraignantes à l’égard de particuliers, personnes physiques ou morales. Ces mesures concourant à l’intégrité et à la stabilité du marché intérieur sont jugées comme répondant à la catégorie des « mesures de rapprochement des règles législatives, réglementaires et administratives des Etats membres », ce dont doutait l’avocat général. Il faut se féliciter que ces pouvoirs de suspension ou d’interdiction aient été reconnus comme constituant une technique d’harmonisation appropriée dans des domaines particulièrement techniques et spécialisés. Partageant l’avis de la Commission, il nous semble que ces pouvoirs doivent être appréhendés ensemble avec les autres règles d’encadrement des ventes à découvert : ils contribuent concurremment à l’harmonisation des dispositions nationales divergentes en la matière.

Que l’on ne s’y trompe pas, l’offensive avait, à notre avis, valeur de test pour l’ensemble du nouveau système de supervision financier qui repose sur les trois autorités européennes de surveillance (assurances, bancaire et marchés financiers). Ces agences de régulation récemment créées ont en effet le même fondement juridique (article 114 précité) et traduisent une évolution méthodologique ayant consisté à habiliter certaines d’entre elles du pouvoir de prendre des mesures individuelles contraignantes palliant ainsi la carence des autorités nationales ou prévalant sur les décisions de l’une d’entre elles. Cette évolution qui bouscule un certain juridisme nous parait tout à la fois nécessaire et à la hauteur des défis posés au système financier européen.

Le renouveau de l’Europe viendra de sa capacité à innover. Il est heureux que la créativité institutionnelle qui y contribue ait été ici encouragée.


1. Arrêt CJUE du 22 janvier 2014, Royaume-Uni et d’Irlande du Nord c/ Conseil de l’Union européenne et Parlement européen (C-270/12).
2. Règl. UE n° 236/2012 du Parlement et du Conseil du 14 mars 2012, JO L86, p.1.
3. Au sens de la jurisprudence Meroni in Arrêt du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité (9/56, Rec. p. 9).

 

A propos de l’auteur

Bruno Zabala, avocat au sein du département de la doctrine juridique.

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 17 février 2014