Des propos racistes et sexistes justifient le licenciement d’un salarié protégé
7 décembre 2022
En présence de propos discriminatoires répétés et tenus par un salarié à l’encontre de ses subordonnées, la faute d’une gravité suffisante est caractérisée et le licenciement du salarié protégé, auteur des propos, justifié (CE, 7 octobre 2022, n° 450492).
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat aligne sa jurisprudence sur celle de la Cour de cassation et confirme que le fait pour un manager de tenir des propos à caractère raciste et sexiste à l’encontre des salariés placés sous sa responsabilité, constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement du salarié, même protégé.
En l’espèce, un salarié protégé de la société Club Med a prononcé, à l’encontre de trois autres salariées du service dont il avait la charge, «des propos faisant explicitement référence, d’une part, au sexe de ces salariées et, d’autre part, à leur origine et à leur religion supposées», entre autres : «le porc c’est très bon, vous ne savez pas ce que vous manquez», «En quelle langue tu veux que je te parle, en arabe?! » et «les salariés hommes ne tombent pas enceintes».
L’inspecteur du travail avait refusé d’autoriser le licenciement du salarié protégé, considérant que la réalité des griefs n’était pas établie. Sa décision avait été annulée par la Ministre du travail, mais le salarié ayant saisi le juge administratif, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la Ministre.
La Cour administrative d’appel de Paris, tout en jugeant la matérialité des faits établie et en en reconnaissant le caractère fautif, a considéré que les propos litigieux ne constituaient pas «une faute d’une gravité suffisante» autorisant le licenciement du salarié protégé.
A tort, comme l’a jugé le Conseil d’Etat.
Rappel de l’exigence d’une faute d’une gravité suffisante
Comme le rappelle le Conseil d’Etat à l’occasion de cet arrêt, s’agissant des salariés protégés, leur licenciement pour motif disciplinaire ne peut en effet être autorisé que si ce dernier n’est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l’appartenance syndicale du salarié et «[…]si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi».
En l’occurrence, la question portait bien sur la portée de la faute commise par le salarié protégé qui a tenu les propos de nature raciste et sexiste. Était-elle d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ?
A cet égard, il est important de rappeler que ce critère de « gravité suffisante » est spécifique aux salariés protégés et ne correspond pas à la grille d’analyse traditionnelle du juge judiciaire.
Comme le souligne le Guide de la Direction Générale du Travail en matière de décisions administratives portant sur la rupture ou le transfert du contrat de travail des salariés protégés, ce critère «n’implique donc pas l’existence d’une faute grave ; à l’opposé, elle ne saurait être purement et simplement assimilée à la cause réelle et sérieuse».
Parmi les facteurs de nature à jouer sur l’appréciation de la gravité suffisante du comportement du salarié protégé sont traditionnellement invoqués :
-
- la répétition et/ou la pluralité de faits fautifs,
-
- le comportement de l’employeur,
-
- le contexte de l’entreprise,
-
- les antécédents disciplinaires,
-
- la situation particulière du salarié (position hiérarchique, ancienneté, …)
-
- etc.
Ainsi, si l’absence d’antécédents disciplinaires constitue un facteur atténuant de responsabilité du salarié protégé (V. par ex. CE, 13 avril 1988, n° 69763), le niveau de responsabilité hiérarchique du salarié constitue en revanche un facteur aggravant (V. par ex. CE, 11 décembre 1991, n°101920).
La gravité intrinsèque des faits reprochés
Dans l’affaire en question, le Conseil d’Etat a rejeté l’appréciation faite des faits de l’espèce par la Cour administrative d’appel, en considérant que les juges du fond avaient inexactement qualifié les faits qui leur étaient soumis.
Tout en qualifiant ces propos de «brutaux ou maladroits», «déplacés et sexistes», et présentant un caractère blessant pour leurs destinataires, les juges de la cour administrative d’appel avaient en effet estimé que la faute du salarié n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
Le Conseil d’Etat a écarté l’analyse des juges du fond : les paroles prononcées ne pouvaient être réduites à de simples «propos triviaux».
Dès lors que les propos tenus par le salarié «visaient systématiquement et de manière répétée des salariées ayant pour point commun d’être des femmes, supposément d’origine magrébine et de confession musulmane», ils revêtent «un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d’autres», le Conseil relevant «au surplus» que les collaboratrices visées par les propos du salarié protégé «se trouvaient sous sa responsabilité».
Suivant le rapport de Monsieur Raphaël Chambon, qui indiquait que «des propos racistes ou sexistes, dès lors du moins qu’ils présentent un certain caractère de répétition, sont, en principe, d’une gravité suffisante pour justifier une telle mesure», le Conseil d’Etat a censuré la Cour administrative d’appel.
Ainsi, et alors que la Cour qui, non seulement, n’avait pas qualifié les propos tenus de racistes et sexistes, mais avait en outre retenu comme circonstances atténuantes l’existence de tensions entre le salarié (qui accusait son supérieur hiérarchique de harcèlement moral) et son employeur, d’une part, et l’absence d’antécédents disciplinaires, d’autre part, le Conseil d’Etat a, en l’espèce, écarté ces éléments. Tout comme il a implicitement écarté l’argumentation du salarié relative à sa jovialité, à sa liberté de ton, ou encore à la culture de l’entreprise.
Même s’il appartient toujours à l’Administration et au juge de tenir compte, au cas par cas, des éléments de fait de l’espèce, des propos racistes et sexistes constituent en principe une faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement d’un salarié protégé.
Un message aux juridictions du fond
Une telle solution est un message sans ambiguïté adressé à l’Administration du travail et aux juridictions du fond qui doivent se prononcer sur des cas similaires, comme le proposait le Rapporteur public au Conseil d’Etat.
Ainsi concluait-il que «sans véritablement trancher de question de droit nouvelle, il nous semble que vous ferez malgré tout œuvre jurisprudentielle utile en censurant l’erreur de qualification juridique commise par la cour».
Si la jurisprudence tant administrative que judiciaire approuve traditionnellement les licenciements prononcés à raison de propos racistes et sexistes, le présent arrêt a le mérite d’affermir cette position en lui conférant, de surcroît, une certaine solennité.
A l’heure de la libération de la parole des femmes et alors que l’objectif d’égalité professionnelle devient de plus en plus concret, c’est à juste titre, nous semble-t-il, que l’Administration et les juridictions administratives doivent prendre leur part de responsabilité en la matière et que les salariés protégés ne doivent pas l’être déraisonnablement.
En ce sens, c’est de manière très pertinente que le Rapporteur public ajoutait, «en tout état de cause, qu’il ne faudrait pas, par une indulgence excessive, dissuader une société qui tenterait de faire évoluer certains traits regrettables de sa culture d’entreprise»…
En présence de propos discriminatoires racistes et sexistes, la protection des salariés protégés doit donc céder face à celle de leurs victimes.
Aurore Friedlander, Avocat, et Marie Leclerc, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
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