La désintermédiation du financement immobilier, une réponse aux besoins du marché français
Les cycles du marché immobilier français se suivent mais chacun illustre l’émergence de pratiques et d’acteurs nouveaux. La croissance constatée ces dernières années se caractérise par de fortes contraintes réglementaires pesant sur l’accès au financement bancaire. Dans le même temps, des entités disposant d’importantes liquidités voient dans ce marché des opportunités d’investissement.
Traditionnellement, ces acteurs prenaient des positions en capital ; dorénavant, de plus en plus de fonds participent au financement du marché immobilier en investissant dans des dettes mezzanines ou senior. La concrétisation de ces opérations exige d’imaginer un mode d’intervention respectueux du monopole bancaire établi par les articles L. 511-1 et L. 511-5 du Code monétaire et financier («CMF»), ce dernier réservant aux seuls établissements de crédit et sociétés de financement l’activité habituelle de mise à disposition de fonds à titre onéreux.
A ce titre, diverses alternatives de désintermédiation du financement existent. D’abord, la souscription d’obligations étant hors champ du monopole bancaire, l’opération peut être structurée sous la forme d’une émission obligataire réalisée par l’entité devant financer directement ou indirectement l’acquisition de l’immeuble. Néanmoins, une telle solution n’est possible que si l’emprunteur est une société ayant juridiquement la capacité d’émettre des obligations, ce qui n’est par exemple pas le cas d’une société civile immobilière, forme très répandue dans les financements immobiliers. Ensuite, l’investisseur peut intervenir par l’intermédiaire d’un OPCVM ou d’un FIA bénéficiant d’une exemption au monopole bancaire. Cela étant, la lourdeur générée notamment par la nécessité de disposer d’une société de gestion et d’un dépositaire peut rebuter les investisseurs. De plus, cette solution ne permet pas toujours de régler l’ensemble des problématiques réglementaires.
Pour ces raisons, une autre voie est souvent privilégiée : le recours à une banque intermédiaire, schéma dans lequel une entité agréée pour conclure en France des opérations de crédit (la «Banque Intermédiaire») accorde un prêt avant de céder tout ou partie de sa créance de remboursement à l’investisseur. Dans la mesure où l’acquisition d’une créance non échue constitue en France une opération de crédit, la Banque Intermédiaire doit être un établissement de crédit d’un Etat membre de l’Union européenne qui exclut de son monopole bancaire l’acquisition de crédit non échue et intervenant en France sur le fondement de la libre prestation de services.
Dans cette configuration, pour que l’investisseur ne puisse être tenu coupable d’une quelconque violation du monopole bancaire français, en particulier parce qu’il pourrait être considéré comme ayant structuré l’opération de financement, il est recommandé qu’il ne négocie pas la documentation contractuelle avec l’emprunteur. Cependant, l’investisseur peut indiquer à la Banque Intermédiaire les caractéristiques que devra avoir le financement pour que l’investisseur accepte d’en acquérir la créance. Ainsi, des échanges réguliers entre la Banque Intermédiaire et l’investisseur sont cruciaux pour que ce dernier obtienne un niveau de confort juridique et financier suffisant ; le maintien d’une communauté d’intérêts entre la Banque Intermédiaire et l’investisseur passe également par la conservation par la Banque Intermédiaire, ou par un de ses affiliés, d’une participation dans le financement. La présence d’une Banque Intermédiaire dans le montage de l’opération comporte un intérêt important pour l’investisseur : ce dernier peut se concentrer sur son rôle d’investisseur et bénéficier de l’expertise de la Banque Intermédiaire concernant la structuration de l’opération et sa documentation.
Toutefois l’investisseur doit tout de même veiller à mettre en avant certaines spécificités de son intervention. Par exemple, pour les fonds dont les ressources sont appelées au fur et à mesure des investissements, il existe un risque que les sommes, si elles sont levées avant la mise à disposition du prêt, doivent être retournées lorsque l’opération n’est finalement pas conclue. Pour limiter ce risque, il est donc important que l’essentiel des conditions préalables à la mise à disposition des fonds soit réuni avant l’appel du fonds à ses investisseurs et la fixation des taux. Ces conditions préalables ne sont pas seulement celles demandées habituellement à l’emprunteur mais également celles relatives à la cession de la créance de prêt à l’investisseur. Par ailleurs, l’investisseur doit demander à ce que certaines stipulations du contrat de crédit soient adaptées afin de tenir compte de sa situation particulière, comme la clause de «coûts de rupture», applicable lorsque les fonds réservés ne sont pas mis à disposition ou en cas de remboursement anticipé du prêt. Il existe d’autres particularités, aussi opérationnelles que financières, dont la maîtrise permet de rendre plus fluide la réalisation de ces opérations.
Ainsi, il apparaît que, loin de relever du pur shadow banking, la structuration d’un financement immobilier désintermédié en France non seulement est chose relativement aisée pour peu que des précautions élémentaires soient prises mais permet, via une coopération intelligente avec une banque, de répondre aux besoins de liquidité du marché français.
Auteurs
Grégory Benteux, avocat associé, spécialisé dans les opérations de financements structurés et de titrisation, tant domestiques qu’internationales, portant sur tout type d’actifs
Alexandre Bordenave, avocat en matière de financements structurés.