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Détachement de salariés : la validité des certificats A1 mise à l’épreuve des URSSAF et des juges

Détachement de salariés : la validité des certificats A1 mise à l’épreuve des URSSAF et des juges

Si tant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) que la Cour de cassation ont récemment réaffirmé la valeur juridique des formulaires A1 pour les juges et les institutions de l’Etat membre dans lequel les salariés effectuent leur prestation de travail, ces documents ne sont toutefois pas à l’abri de toute contestation.

Le détachement de salariés est un sujet sensible qui anime de nombreuses polémiques et des discussions au plan national, mais surtout européen. Souvent décrié pour des raisons de dumping social, il n’en reste pas moins un dispositif très utilisé par les entreprises, notamment dans le secteur du bâtiment. Du fait de son essor ces dix dernières années, de nombreux litiges sont nés opposant des sociétés étrangères aux autorités françaises. Si le détachement a alimenté nombre de contentieux de travail dissimulé, parfois médiatisés (Easy jet), le contentieux de sécurité sociale certes plus discret n’en est pas moins intéressant. Au cœur du sujet, la portée du certificat A1 (ex E 101).

1. Les règles de coordination de sécurité sociale et la portée des certificats A1 s’imposent en principe à tous…

En plus des règles prévues en droit du travail, le détachement fait l’objet de règles de coordination mises en place au niveau de l’Union européenne en matière de sécurité sociale. Si le principe est que les salariés sont affiliés à un seul régime de sécurité sociale, en l’occurrence celui de l’Etat où ils travaillent, il existe quelques exceptions notamment en cas de détachement.

Sous réserve de conditions prévues par les textes européens, l’entreprise située dans un Etat membre qui détache du personnel dans un autre Etat-membre peut maintenir l’affiliation de ses salariés à l’organisme de sécurité sociale du premier Etat. Sur le plan formel, cet organisme de sécurité sociale délivre des certificats A1 attestant de l’affiliation dans le pays d’origine des salariés détachés, et donc du versement des cotisations sociales par l’employeur à cet organisme.

Initialement affirmée par la jurisprudence européenne, la portée des certificats A1 à l’égard des autorités de l’Etat dans lequel les salariés sont détachés a depuis été codifiée par le règlement n°987/2009. Tant que le certificat n’a pas été retiré ou déclaré invalide par l’organisme qui l’a délivré, il demeure opposable aux organismes de sécurité sociale de l’Etat d’accueil.

2. … Même à l’URSSAF ?

La force probante du certificat A1 est opposable aux organismes de sécurité sociale, dont l’URSSAF en France. Il créé une présomption de régularité de l’affiliation des salariés dans leur pays d’origine.

Cependant, des URSSAF ont pu notifier des redressements de cotisations sociales aux entreprises étrangères détachant du personnel sur le territoire national en s’affranchissant du caractère impératif des certificats A1, estimant que les salariés devaient être affiliés à la sécurité sociale française.

Saisie d’un litige sur ce sujet en 2015, la Cour de cassation a adressé une question préjudicielle à la CJUE. Par une décision en date du 27 avril 2017, la CJUE a alors rendu une décision conforme à sa jurisprudence de l’époque, en réaffirmant l’opposabilité du certificat A1 et en rappelant l’existence de procédures de dialogue entre les Etats pour résoudre les différends (CJUE, 27 avril 2017, aff. A-ROSA Flussschiff, C-620/15).

Il existe en effet, en cas de litige sur la validité du certificat, des procédures de dialogue entre les Etats qui ont été mises en place pour permettre, le cas échéant, le retrait du document invalide.

Par un arrêt de l’assemblée plénière en date du 22 décembre 2017, la Cour de cassation a pris acte de la décision de la CJUE. Elle a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Colmar ayant condamné la société au motif que l’URSSAF aurait dû contester la validité des certificats auprès de l’autorité suisse les ayant délivrés, et, en l’absence d’accord sur la situation, aurait dû mettre en œuvre la procédure de dialogue entre les Etats en saisissant la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (C. Cass, Ass. Pl. A-ROSA Flussschiff / URSSAF d’Alsace, 22 décembre 2017, n°13-25.467).

Ainsi, l’URSSAF qui entend remettre en cause la validité du certificat A1 doit recourir à la procédure spécifique instituée au niveau communautaire et peut par ce biais en obtenir le retrait.

Il n’appartient pas aux juges nationaux de s’immiscer dans cette procédure ; en revanche, si cette procédure n’aboutit pas, les juges se sont aussi vu reconnaître un droit d’appréciation qui atténue l’effet impératif du certificat.

3. …. Qu’en est-il du juge ?

Au niveau européen, la CJUE a récemment rendu une décision sur renvoi préjudiciel qui vient amoindrir la portée du certificat A1 en présence d’une situation de fraude au détachement. Dans cette affaire, l’institution bulgare émettrice des documents avait été sollicitée d’une demande de réexamen des certificats suite à des éléments recueillis dans le cadre d’une enquête pénale de l’inspection belge révélant leur caractère frauduleux, l’obtention des certificats étant liée à la présentation erronée des faits communiqués par l’entreprise à l’institution émettrice. L’organisme bulgare n’avait pas donné suite à la demande de réexamen.

La CJUE considère que le juge national peut, sur la base des éléments qui lui sont soumis et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable, écarter les certificats A1, s’il constate l’existence d’une fraude. La fraude suppose d’une part, que les conditions requises pour obtenir ou invoquer le certificat A1 ne soient pas réunies et d’autre part, l’intention des intéressés de contourner ou d’éluder lesdites conditions en vue d’obtenir l’avantage qui y est attaché (CJUE, 6 février 2018, C-359/16).

En droit interne, la Cour de cassation a, de nouveau, récemment adressé une question préjudicielle à la CJUE. Les juges souhaitent savoir, notamment, si la décision précitée de la CJUE rendue dans l’affaire A-ROSA s’applique à un litige relatif à l’infraction de travail dissimulé concernant la société Vueling Airlines (C. Cass. Soc, 10 janvier 2018, n°16-16.713).

Le sujet du détachement a encore de beaux jours devant lui. Il reste que les entreprises sont incitées à faire preuve de vigilance en s’assurant que les cas de recours du détachement et les conditions de celui-ci sont conformes aux règles.

 

Auteurs

Delphine Pannetier, avocat counsel, droit du travail et droit de la sécurité sociale

Aline Janin, avocat, droit du travail et droit de la sécurité sociale

 

Détachement de salariés : la validité des certificats A1 mise à l’épreuve des URSSAF et des juges – Article paru dans Les Echos Exécutives le 4 Juin 2018