Directive sur le reporting de durabilité des sociétés (CSRD), sur la route de la responsabilité sociale des entreprises (RSE)
13 avril 2023
La directive CSRD, relative aux obligations d’information en matière de durabilité publiée le 16 décembre 2022 au Journal Officiel de l’Union européenne renforce les obligations de transparence des entreprises. Elle s’inscrit dans un courant toujours plus fort vers la RSE des entreprises.
Responsabilité sociale, responsabilité sociétale, responsabilité environnementale, etc. Les entreprises n’ont pas attendu les injonctions politiques ou médiatiques pour s’emparer de ces notions et concepts de «RSE» avec force et conviction.
La RSE irrigue désormais le champ de l’entreprise, qu’il s’agisse des règles de gouvernance, des choix stratégiques, des décisions économiques. Jamais la RSE n’a été autant au centre des décisions. Sans doute faut-il s’en réjouir. Parce que tout ne peut pas reposer sur le volontarisme et que la contrainte peut être à l’origine d’une dynamique vertueuse, les textes se multiplient pour imposer aux entreprises situées sur le territoire de l’Union européenne, plus de transparence ou la prise en compte de toutes les conséquences de leurs décisions.
C’est dans ce contexte que, le 16 décembre 2022, la Commission européenne a publié au Journal Officiel de l’Union européenne une nouvelle directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive (1). Elle vient compléter le contenu de la directive NFRD («Non Financial Reporting Directive») adoptée en 2014 (2) en élargissant le champ des entreprises concernées et le contenu des informations à communiquer.
Cette directive s’inscrit dans la stratégie de croissance de l’Union européenne telle que la Commission a pu la présenter dans son «Pacte vert pour l’Europe» du 11 décembre 2019.
Il s’agit de : «transformer l’Union en une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive». La sauvegarde du «patrimoine naturel» et du bien-être des citoyens, doit garantir «la stabilité, l’emploi, la croissance et l’investissement durable» (PE et Cons. UE, dir. 2022/2464/UE, 14 déc. 2022, préambule, cons. 1).
Cette directive CSRD n’a, pour l’heure, pas été transposée en droit français mais elle devrait l’être courant 2023. La loi du 9 mars 2023 (n°2023-171) autorise le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance pour transposer la directive et ce, dans un délai de neuf mois.
1/ Les informations à communiquer en application de la directive
La directive CSRD se veut ambitieuse et structurante, en améliorant la qualité des informations environnementales, sociétales et de gouvernance des entreprises, c’est-à-dire les facteurs de durabilité, dits « ESG ».
Les informations de durabilité sont articulées autour de trois axes majeurs : les facteurs environnementaux, les facteurs sociaux et des droits de l’Homme et les facteurs de gouvernance.
S’agissant des facteurs environnementaux, sont visées les informations concernant l’atténuation du changement climatique et, le cas échéant, les émissions de gaz à effet de serre ; l’adaptation au changement climatique, l’utilisation des ressources en eau et ressources marines, l’utilisation des ressources et l’économie circulaire, la pollution, la biodiversité et les écosystèmes ;
S’agissant des facteurs sociaux et des droits de l’Homme, sont visées les informations relatives à l’égalité de traitement et des chances, aux conditions de travail et au respect des droits de l’Homme.
S’agissant des facteurs de gouvernance, sont visées le rôle des organes d’administration, de gestion et de surveillance de l’entreprise en ce qui concerne les questions de durabilité, les principales caractéristiques des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques de l’entreprise, l’éthique des affaires et la culture d’entreprise, y compris la lutte contre la corruption, etc.
En d’autres termes, les entreprises concernées devront identifier, selon le concept de «double matérialité», leurs enjeux ESG majeurs à travers les impacts, risques et opportunités que ceux-ci peuvent entrainer pour les entreprises elles-mêmes, mais aussi des impacts qu’elles peuvent avoir sur la société au sens large et l’environnement.
2/ Les entreprises concernées
La directive CSRD élargit le cercle des entreprises concernées par cette obligation par rapport à celles que visait la directive NFRD.
Aux seules «entités d’intérêt public» (sociétés cotées sur un marché réglementé européen, établissements de crédit, entreprises d’assurances) dont le bilan dépasse 20 millions d’euros ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net et dont le nombre de salariés est supérieur à 500, la directive CSRD s’ouvre à toutes les sociétés dont les titres sont cotés sur un marché réglementé européen, quels que soient la valeur de leur bilan, le montant de leur chiffre d’affaires et le nombre de leurs salariés, ainsi que les grandes entreprises non cotées, c’est-à-dire celles dépassant deux des trois seuils suivants : un total de bilan supérieur à 20 millions d’euros, un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros et un nombre moyen de salariés supérieur à 250.
De même, là où la directive NFRD se limitait aux entreprises européennes, la directive CSRD vise certaines entreprises non européennes. Celles dont les titres sont cotés sur un marché réglementé européen, mais aussi celles réalisant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires au sein de l’Union européenne et ayant au moins une filiale cotée sur un marché réglementé européen, ou une filiale européenne répondant à la définition de grande entreprise par la directive NFRD, ou encore une succursale européenne dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros.
Le nombre d’entreprises concernées en Europe pourrait atteindre 50000.
3/ Le calendrier d’application
La mise en œuvre, et c’est à saluer, sera progressive selon les entreprises concernées, afin que chacun puisse se mettre en conformité :
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- A partir du 1er janvier 2024 pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier dans la cadre de la directive NFRD (grandes entreprises cotées de plus de 500 salariés).
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- A partir du 1er janvier 2025 pour toutes les grandes entreprises remplissant 2 des 3 critères suivants : 250 employés, 40 M€ de chiffre d’affaires, ou 20 M€ de total du bilan.
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- A partir du 1er janvier 2026 pour les PME cotées remplissant 2 des 3 critères suivants : 10 à 250 employés, 700 k€ à 40 M€ de chiffre d’affaires, ou 350 k€ à 20 M€ de total du bilan (avec une possibilité de différer leur obligation de reporting pendant 2 ans).
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- A partir du 1er janvier 2028 pour les filiales européennes de sociétés mères non européennes qui réalisent plus de 150 M€ de chiffre d’affaires en Europe et une filiale ou succursale basée dans l’Union européenne.
Il convient de relever que les filiales des sociétés non-cotées pourront être exemptées de reporting si les sociétés mères fournissent déjà un rapport de durabilité conforme à la directive CSRD.
4/ Les modalités de mise en œuvre
La publication des informations sur la durabilité devra intervenir dans le rapport de gestion lui-même, dans une section spécifique, et accompagné de l’avis de l’auditeur.
La directive NFRD notamment prévoyait seulement la rédaction d’un rapport distinct du rapport de gestion (la déclaration annuelle de performance extra-financière). La volonté est manifeste de donner un coup d’accélérateur, justifié par un enjeu plus fondamental de ces informations.
En outre, toutes les entreprises concernées devront rendre public leur rapport de gestion, afin d’en assurer une large diffusion, et ce, via par exemple une mise en ligne gratuitement sur le site internet de l’entreprise ou, à défaut, de la communication sur simple demande (il appartient aux Etats membres de prévoir ces modalités dans la transposition de la directive).
5/ L’appréhension du droit social
Le contenu de ces informations sera sans nul doute particulièrement suivi, notamment par les représentants du personnel.
Elles seront comparées avec les données, nombreuses, devant figurer dans la Base de données économiques sociales et environnementales, lesquelles renvoient déjà aux informations relatives à la politique générale de l’entreprise en matière environnementale, d’économie circulaire et de changement climatique.
Une attention doit donc être apportée, a minima, sur leur similarité et, en tout état de cause, leur cohérence.
On ne peut exclure également qu’elles soient demandées par les membres du CSE lors de consultations afin de les mettre en perspective avec les explications données par la direction sur les conséquences environnementales des projets soumis (tel que cela résulte de la loi 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, dite «Loi Climat», en matière de dialogue social).
Perçue initialement comme une source d’obstacles ou contraintes supplémentaires à la charge des entreprises (dont les coûts et les conséquences en termes de compétitivité ne sont sans doute pas toujours mesurées), cette nouvelle obligation de transparence doit désormais s’inscrire dans une démarche RSE collective.
La voie du dialogue social dans la construction de la RSE, au moyen d’accords collectifs ou sous d’autres formes, doit fort probablement être empruntée. Sans concertation ni transparence (à des degrés pertinents) entre les acteurs de l’entreprise, il est à parier que la RSE peinera à se déployer et restera perçue, par beaucoup, comme une démarche plus marketing que vertueuse. Elle ne le mérite probablement pas.
Damien CHATARD, Avocat senior, Docteur en droit, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Directive UE 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises
(2) Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes
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