Discipline et licenciement : attention à la procédure !
30 juillet 2013
En matière de discipline et de licenciement, les irrégularités de procédure sont souvent assimilées à des irrégularités de fond et sanctionnées comme telles. L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 a déploré cette confusion de nature à compromettre la sécurité juridique des relations de travail. Mais il n’y a pas remédié. La vigilance s’impose donc, a fortiori en présence d’outils simples de communication conduisant à « faire passer des messages » dont la portée n’est pas toujours mesurée.
Les perspectives ambitieuses de la sécurisation de l’emploi n’ont pas masqué aux signataire de l’ANI du 11 janvier 2013 les risques du quotidien. Alors qu’elle peut paraître simple dans son principe, la procédure disciplinaire et de licenciement recèle en effet des embûches multiples. Ces risques sont d’autant plus grave que les juges tendent bien souvent à y attacher les sanctions les plus rigoureuses en assimilant ces manquements à des irrégularités de fond. Le résultat peut paraître d’autant plus choquant qu’il profite d’abord à des salariés dont le comportement fautif est incontesté et qu’en matière de licenciement, la loi prévoyait dès l’origine une sanction spécifique et limitée pour les irrégularités de procédure. Nous en tirerons quelques recommandations, tant pour le managers que pour les services de ressources humaines et juristes en droit social.
Managers : attention aux nouveaux outils de communication
On ne saurait attendre des managers qu’ils se transforment en spécialistes de la procédure et l’on s’en tiendra donc à quelques observations concrètes sur les pièges que peuvent recéler les nouveaux outils de communication. Si l’envoi de courriels, SMS et autres messages téléphoniques est pratique et rapide, il n’est en effet pas sans risque. Ces messages valent en effet preuve, aussi bien qu’un écrit formel. Qui plus est, leur formulation brève er souvent « à chaud » se prête particulièrement à des maladresses ou à des interprétations biaisées. Or, si l’employeur s’engage ultérieuremenr dans une procédure disciplinaire ou de licenciement, il peut être tentant pour le salarié (a fortiori si sa défense est faible sur le fond) de soutenir que la communication informelle qu’il a reçue de son manager traduisait une décision déjà prise ou valait déjà avertissement.
Si le salarié peut prouver que la décision de licencier ou la sanction a été annoncée avant l’entretien préalable, la procédure est viciée dès l’origine. Qui plus est, faute de l’avoir régulièrement notifié, l’employeur ne peut se prévaloir d’un motif réel et sérieux de licenciement. Dans un arrêt du 6 février 2013 (n° 11-23.738) c’est un message laissé sur le répondeur téléphonique du salarié qui a ainsi permis de prouver que la décision était déjà annoncée et de condamner l’employeur. Dans cette affaire, la Cour a écarté l’argument d’un enregistremenr déloyal à l’insu de l’auteur des propos invoqués, ces messages ayant précisément vocation à être enregistrés par l’appareil récepteur. Des arrêts précédents avaient déjà retenu pour preuve un SMS ou des courriels adressés à l’équipe ou aux clients. En matière disciplinaire et de licenciement, mieux vaut donc s’abstenir de communication informelle en marge de la procédure. Par ailleurs, de simples observations peuvent être requalifiée en un avertissement à caractère disciplinaire ; peu importe que ce observations prennent la forme d’un mail, de style oral… mais qui vaut bien écrit. Or, l’employeur ne peut prendre deux sanctions successives pour la même faute. Et si l’on voit dans le mail d’observations une première sanction, la sanction formelle ultérieure sera alors irrégulière. La jurisprudence varie sur ce point en fonction de la lecture par les juridictions du fond des données de fait et de l’intention réelle de l’employeur : une lettre de l’employeur qui se bornait à demander à la salariée de se ressaisir et contenait des propositions à cette fin ne constitue pas une sanction disciplinaire (13 décembre 2011, n°10-20.135). En revanche, un message électronique dans lequel l’employeur adresse divers reproches à un salarié et l’invite à un changement radical, constitue un avertissement (26 mai 2010, n° 08-42893). La Cour de cassation n’a, en outre, pas hésité récemment à requalifier en sanction disciplinaire une demande d’explications écrites, suite à des faits qualifiés de fautifs et dont, il est vrai, tous les élément étaient conservés, comme cela est expressément relevé dans cette affaire, dans le dossier individuel du salarié (30 janvier 2013, n°11-23.891). Le manager en déduira qu’il vaut mieux pour lui, tant que le choix de la procédure formelle n’est pas fait, s’en tenir aux faits et ne pas employer, pour le moins, de terme tels que « faute » ou « dossier ».
Juristes et responsables RH : le diable dans les détails
Les spécialiste appelés à gérer des procédures formelles sont confrontés à de plus grandes complexités. Ici encore, leur non-respect risque de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un arrêt du 23 janvier 2013 (n° 11-22724) confirme la rigueur de délai de la procédure légale, notamment le délai d’un mois à compter de l’entretien préalable. Si le report de l’entretien préalable à la demande du salarié suspend ce délai, la solution est inverse pour le report du seul fait de l’employeur. D’autres arrêts illustrent la complexité de la situation née du refus d’une proposition de rétrogradation (15 janvier 2013, n° 11-28109) ou d’une mise à pied conservatoire parallèle à une poursuite pénale (4 décembre 2012, n° 11-27508). Mais cette fois les arrêts sont plus favorables à l ’employeur puisque les délais de prescription sont alors interrompus. Il est, par ailleurs, indispensable, de prêter une particulière attention aux dispositions conventionnelles ; lorsqu’elles instituent une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi, la jurisprudence rend, en effet, à y voir, une garantie de fond. Nouvelle illustration dans un arrêt du 9 janvier 2013 (n° 11-25646) pour l’absence de notification avant l’entretien préalable des motifs de la mesure de licenciement disciplinaire envisagée. Rendue dans le cadre de la convention collective des institutions de retraite complémentaire, la solution pourrait concerner d ‘autres branches.
Notons, enfin, que cette logique de formalisme à finalité indemnitaire contamine aussi la rupture conventionnelle (6 février 2013, n° 11-27.000). Passe encore – même si la loi ne l’impose nullement – qu’il faille en remettre un exemplaire au salarié. Mais ici encore, l’essentiel est dans la sanction : à défaut, la convention de rupture est atteinte de nullité et le salarié a droit à l ‘indemnisation due pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il faudra donc veiller à produire ce double exemplaire… et à en garder la preuve. On comprend dans ce contexte jurisprudentiel, que l ‘article 24 de l’ANI du 11 janvier 2013 ait déploré cette confusion du fond et de la forme. La question a cependant été renvoyée à de plus amples travaux d’experts et dans cette attente, la prudence est indispensable.
A propos de l’auteur
Marie-Pierre Schramm, avocat associée. Spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social, elle traite régulièrement des questions relatives notamment à la relation individuelle de travail (contrat de travail, statut des cadres et des dirigeants, structure des rémunérations, égalité de traitement, licenciement, départ négocié, etc.), à la mise en œuvre de statuts sociaux, notamment dans le cadre de la négociation collective (aménagement du temps de travail, retraite et prévoyance, épargne salariale, plan senior, accord sur les risques psycho-sociaux …) ou aux restructurations (transfert d’activité, acquisition, Plan de Sauvegarde …).
Article paru dans la revue Décideurs de Mars 2013
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