Discriminations fiscales «à rebours» : le Conseil constitutionnel ouvre une brèche
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision1 qui ouvre de nouvelles opportunités fiscales pour les groupes de sociétés.
Un litige relatif au régime mère-fille applicable jusqu’au 31 décembre 2005
Le litige soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel concernait l’application du régime mère-fille qui excluait, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005, les produits de titres dépourvus de droit de vote.
En novembre dernier, cette exclusion avait été jugée incompatible avec la directive communautaire mère-fille par le Conseil d’Etat2 et ne pouvait donc pas s’appliquer aux produits de participation de filiales européennes.
L’application de cette solution jurisprudentielle crée donc une discrimination «à rebours» puisqu’elle conduit à rendre éligibles au régime mère-fille français les produits de titres sans droit de vote des filiales européennes alors que les produits de titres sans droit de vote des filiales françaises, hors du champ de la directive, demeurent à l’inverse exclus du régime.
Saisi par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel a tout d’abord relevé l’objectif poursuivi par le législateur consistant à favoriser, au travers de la condition de détention de droits de vote, l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales.
Toutefois, le fait que l’application de cette condition dépende de la localisation des filiales crée une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant les charges publiques, sans rapport avec l’objectif allégué, et le Conseil a donc censuré les dispositions litigieuses.
Des conséquences fiscales plus larges pour les groupes
Si cette décision n’a de conséquences directes que pour les distributions réalisées avant le 31 décembre 2005, il est permis de penser que la solution retenue par le Conseil constitutionnel devrait pouvoir être transposée au régime mère-fille en vigueur depuis 2006.
En effet, les dispositions applicables depuis cette date sont identiques dans leur substance et excluent toujours du régime mère-fille les titres dépourvus de droit de vote lorsque la société mère détient dans la filiale plus de 5% de son capital mais moins de 5% de droits de vote.
Ainsi, sur la base de la décision Metro Holding, une société mère devrait pouvoir revendiquer l’exonération du régime mère-fille pour les produits de participation d’une filiale, que cette dernière soit établie en France, dans un Etat de l’Union européenne ou même dans un autre Etat tiers, dès lors que la société mère détient dans cette filiale au moins 5% de son capital.
D’une manière plus générale, la décision du Conseil constitutionnel ouvre de nouvelles opportunités dans des cas similaires où la combinaison entre les règles de droit communautaire et les dispositions de droit interne conduit à traiter plus favorablement les sociétés établies au sein de l’Union européenne.
La question se pose, par exemple, en matière de contribution de 3% sur les revenus distribués : si l’incompatibilité avec la directive mère-fille de cette contribution venait à être reconnue par les juges, le principe d’égalité devant les charges publiques pourrait vraisemblablement conduire à étendre la portée de cette décision à des situations autres qu’intra-européennes.
La question se pose également en matière d’opérations de restructuration puisque le droit national impose dans certaines situations, pour bénéficier du régime de neutralité fiscale, des conditions plus strictes que celles prévues par la directive fusions. Cette décision pourrait donc conduire à s’interroger à nouveau sur la correcte transposition en droit interne des dispositions de la directive fusions.
Nul doute que la décision Metro Holding devrait marquer l’année 2016 de son empreinte et susciter rapidement de nouveaux développements dans la chasse aux discriminations.
Notes
1 Cons. constit., 3 février 2016, n° 2015-520 QPC.
2 CE, 12 novembre 2015, n° 367256.
Auteurs
Philippe Gosset, avocat spécialisé en fiscalité.