Le dispositif anti-abus visant les participations détenues dans certaines entités étrangères (CGI, art. 123 bis) partiellement remis en cause par le Conseil Constitutionnel : quelles conséquences pour les contribuables ?
Le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 1er mars 2017 (n°2016-614 QPC, M. Dominique L.), censure partiellement le dispositif actuel de l’article 123 bis du CGI en étendant le champ d’application de la clause de sauvegarde aux entités établie hors de l’UE, et en précisant que le revenu plancher fixé sur la base d’un taux forfaitaire appliqué aux actifs de l’entité peut être écarté lorsque le contribuable apporte la preuve que le revenu réel est inférieur.
L’article 123 bis du CGI instaure des présomptions irréfragables de fraude…
L’article 123 bis est un dispositif anti-abus permettant d’imposer une personne physique résidente de France sur les bénéfices d’une entité étrangère soumise à un régime fiscal privilégié (imposition inférieure à la moitié de celle qui se serait appliquée à une société française).
Ce dispositif est applicable lorsque la participation détenue directement ou indirectement par la personne physique représente au moins 10% des droit financiers ou droits de vote et que les biens de l’entité sont constitués à plus de 50% de créances, liquidités ou de valeurs mobilières. Dans ce cas de figure, même en l’absence de distribution, le contribuable est soumis à l’IR et à la CSG-CRDS sur le bénéfice net de l’entité réputé acquis à hauteur des droits qu’il détient dans cette dernière. L’assiette de l’IR doit être majorée de 25%, mais cette majoration ne devrait pas s’appliquer pour l’assiette de la CSG-CRDS par transposition de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 février 2017 rendue à propos de revenus réputés distribués dans le cadre de l’article 111 du CGI.
L’article 123 bis établit une présomption irréfragable d’évasion fiscale, tempérée par une clause de sauvegarde réservée aux entités établies dans un Etat membre de l’UE pour lesquelles le dispositif ne peut s’appliquer que si l’organisation est « constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ».
En outre, lorsque l’entité étrangère est établie dans un Etat ou territoire non lié à la France par une convention d’assistance administrative ou qui figure sur la liste des ETNC, l’assiette imposable au niveau du contribuable français ne peut être inférieure à un revenu plancher correspondant au taux annuel prévu à l’article 39.1-3° du CGI (2,03% en 2016), appliqué à l’actif net de l’entité. Cette règle, qui ne souffre aucune exception, était motivée par l’impossibilité pour l’administration française de vérifier auprès des autorités étrangères la véracité des informations fournies sur l’entité, compte tenu de l’impossibilité d’échanger des informations avec l’Etat où cette dernière est établie.
… remises en cause par le Conseil Constitutionnel
Après avoir rappelé que le dispositif anti-abus de l’article 123 bis se justifie par un impératif de lutte contre la fraude fiscale, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, le Conseil Constitutionnel reconnait toutefois que ce but ne saurait justifier l’instauration de présomptions irréfragables au détriment du contribuable car celles-ci constituent des atteintes disproportionnées au principe d’égalité devant les charges publiques.
Sur ce fondement, le Conseil Constitutionnel censure partiellement le 4bis de l’article 123 bis en ce qu’il réserve la clause de sauvegarde aux seules entités établies dans un Etat de l’UE. Selon le Conseil Constitutionnel, le contribuable devrait pouvoir écarter l’application du dispositif lorsque l’interposition de l’entité étrangère, quel soit son Etat d’implantation, n’a ni pour objet ni pour effet d’éluder l’impôt.
En second lieu, le Conseil Constitutionnel formule une réserve d’interprétation portant sur l’alinéa 2 du 3 de l’article 123 bis en indiquant que l’imposition d’un revenu forfaitaire minimum ne peut faire obstacle à ce que le contribuable soit autorisé à apporter la preuve de ce que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité étrangère, quel que soit le lieu d’établissement de celle-ci, est inférieur au revenu forfaitaire .
Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel qui censure les dispositions de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale instaurant des mesures répressives automatiques si le contribuable ne peut renverser la présomption de fraude qui pèse sur lui (par exemple décision n°2016-598 QPC rendue en matière de retenue à la source de 75% sur les revenus distribués payés dans un ETNC).
Quels effets pour l’article 123 bis et ses conditions de mise en œuvre ?
En censurant le passage du 4bis qui réservait la clause de sauvegarde aux seules entités de l’UE, le Conseil Constitutionnel a modifié les contours du dispositif qui ne peut désormais s’appliquer que si l’organisation mise en place est constitutive d’un montage artificiel. Le législateur devrait en conséquence modifier l’article 123 bis afin de tirer les conséquences de cette décision. Dans sa motivation, le Conseil constitutionnel requiert que le contribuable soit toujours en mesure de prouver que la localisation de l’entité n’a pas pour objet ou pour effet de contourner la législation fiscale française. Le législateur pourrait reprendre cette formulation pour les entreprises établies hors de l’UE, à l’instar de la clause de sauvegarde générale de l’article 209 B du CGI (dispositif anti-abus similaire applicable aux sociétés) instaurant un régime de preuve spécifique pour les entités établies hors de l’UE.
Dans cette hypothèse, le contribuable devra être en mesure de prouver que l’interposition de l’entité étrangère poursuivait un objet et un effet autres que fiscaux. Le texte de la clause de sauvegarde générale de l’article 209 B précise que cette condition est réputée remplie en présence d’une activité industrielle ou commerciale effective. Une telle précision n’aurait que peu d’effet sur l’article 123 bis, qui peut certes occasionnellement viser des sociétés opérationnelles mais qui a surtout vocation à s’appliquer aux holdings financiers. Or la jurisprudence n’est pas toujours tendre avec ce type d’entités, comme en témoigne l’arrêt Bolloré du 4 juillet 2014 au sujet de la clause de sauvegarde de l’article 209 B, dans lequel le Conseil d’Etat a considéré qu’une société holding luxembourgeoise était dépourvue d’activité économique effective et qualifiait un montage purement artificiel destiné à éluder l’impôt dans la mesure où il se contentait de gérer ses titres de participations. Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public précisait toutefois que l’interposition d’une société holding ne constituait pas nécessairement un montage artificiel. Le contribuable pourrait faire valoir des motifs autres que fiscaux pour justifier l’implantation à l’étranger de sa structure, tel que le bénéfice d’un cadre réglementaire plus adapté à l’organisation patrimoniale souhaitée ou un contexte particulier (associés majoritaires non-résidents par exemple).
S’agissant de la seconde branche de la décision du Conseil Constitutionnel, le contribuable pourra désormais éviter l’imposition d’un revenu forfaitaire plancher pour les entités établies dans un Etat non couvert par une clause d’assistance administrative ou un ETNC, en prouvant la réalité des revenus perçus par l’entité visée. En pratique, la production de l’intégralité des relevés bancaires de l’entité devrait constituer un moyen de preuve acceptable.
La décision du Conseil Constitutionnel pose par ailleurs la question de la charge de la preuve. La clause de sauvegarde communautaire de l’article 123 bis ne prévoit pas à qui cette charge incombe, alors que la réserve d’interprétation relative au taux forfaitaire requiert du contribuable qu’il justifie les revenus réels de l’entité. Il convient toutefois de relever que, même lorsque la loi fait peser la charge de la preuve sur le contribuable, celle-ci doit en pratique nécessairement être partagée avec l’administration, sous peine de priver d’efficacité cette clause de sauvegarde, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans une décision BNP du 13 décembre 2015 à propos de l’article 209 B.
Cette décision aura nécessairement un impact sur les procédures de régularisations des avoirs étrangers en cours (situation de la personne à l’origine de cette QPC) et l’administration examine actuellement les conséquences qu’elle doit en tirer en présence d’entités interposées. En l’absence de transaction définitive, les contribuables doivent se poser la question de l’opportunité de faire application de cette décision, que l’administration pourrait ne pas spontanément mettre en œuvre, à la différence des décisions récentes du Conseil Constitutionnel en matière de pénalités.
Auteurs
Pierre Dedieu, avocat associé en matière de fiscalité internationale
Frédéric Roux, avocat, Fiscalité internationale