Distribution sélective et Internet : toujours s’assurer des conditions de validité de son réseau avant d’attaquer un revendeur sur Internet non agréé !
La cour d’appel de Paris a rappelé, dans un arrêt du 25 mai 2016 qu’il était préférable de s’assurer de la licéité de son réseau de distribution sélective avant d’attraire en justice un revendeur non agréé (CA Paris, 25 mai 2016, n°14/03918).
Dans cette affaire, le titulaire de licences exclusives portant sur des parfums de luxe avait assigné devant les juridictions parisiennes la société éditrice d’un site Internet commercialisant ces parfums alors que ce site ne faisait pas partie de son réseau de distribution agréé.
L’originalité de cette action est qu’elle visait également une chaîne de télévision qui avait diffusé plusieurs reportages sur les activités de ce site Internet de vente en ligne.
Cette action a été couronnée de succès en première instance puisque le revendeur non agréé des parfums a été condamné pour s’être livré à des actes de concurrence déloyale et la chaîne de télévision a été condamnée à réparer le préjudice causé par la promotion du site Internet sur ses antennes.
Saisie de cette affaire, la cour d’appel de Paris rappelle que l’entreprise assignant un revendeur hors réseau doit non seulement rapporter la preuve de l’existence de ce réseau, par exemple en fournissant les contrats conclus avec ses distributeurs agréés, mais également la preuve de la licéité de ce réseau.
Classiquement, les juges parisiens soulignent que la preuve de cette licéité est d’abord soumise à trois conditions tenant à :
- la nature du produit, qui doit requérir un système de distribution sélective pour en préserver la qualité et en assurer l’usage ;
- à la sélection des revendeurs sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme et appliqués de façon non discriminatoire ; et
- à la proportionnalité de ces critères qui ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire (voir, par exemple, CA Paris, 27 mars 2014, n°10/19766).
En l’espèce, la Cour estime que la nature des produits en cause « peut tout à fait justifier la mise en place d’un réseau de distribution sélective » et que les critères de sélection des distributeurs sont suffisamment précis. A propos de ces critères, on notera que les magistrats considèrent que la clause imposant une vitrine extérieure, ce qui a pour effet d’exclure la commercialisation des produits dans la grande distribution, n’est pas disproportionnée.
Cependant, malgré ces satisfecit, la cour d’appel de Paris juge que le réseau de distribution litigieux n’est pas licite au regard du règlement d’exemption par catégorie 2790/1999 du 22 décembre 1999 applicable aux accords verticaux (désormais règlement 330/2010 du 20 avril 2010).
D’une part, les juges estiment que l’organisateur du réseau n’établit pas que sa part de marché était inférieure à 30% au moment des faits litigieux.
D’autre part, ils considèrent que plusieurs clauses du contrat de distributeur agréé constituent des restrictions caractérisées de concurrence et, notamment :
- la clause excluant la vente aux agents d’achats (comités d’entreprises et collectivités) ;
- la clause d’interdiction de revente à des revendeurs non agréés. Si cette clause est licite lorsqu’elle protège l’étanchéité du réseau, elle devient restrictive de concurrence lorsque le marché sur lequel évolue le distributeur non agréé n’est pas organisé en réseau de distribution sélective ;
- la clause interdisant à un distributeur agréé de réaliser une vente active d’un nouveau produit vers un Etat membre où l’organisateur du réseau ne l’a pas mis en vente, pendant un délai d’un an à compter de la date du premier lancement du produit dans un autre État membre.
Par ailleurs, l’organisateur du réseau ne pouvait pas non plus bénéficier d’une exemption individuelle, la Cour s’estimant non liée par les courriers de la Commission européenne produits par l’organisateur du réseau. La Cour constate, au demeurant, que ces courriers ne visaient pas l’entité française concernée par la procédure.
En définitive, constatant que le réseau de distribution sélective dont se prévaut le demandeur n’est pas licite, la cour d’appel de Paris considère qu’aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché au revendeur sur Internet. Les griefs adressés à la chaîne de télévision sont également rejetés en ce que ses reportages n’ont, par conséquent, pas générés d’actes illicites.
Auteur
Vincent Lorieul, avocat en droit de la concurrence et de la distribution