Donation-cession de titres démembrés: précisions sur le risque d’abus de droit
Une décision du Conseil d’Etat éclaire la portée de la théorie de l’abus de droit dans certaines opérations de transmission.
L’affaire soumise au Conseil d’Etat
Deux époux font donation de la nue-propriété de titres à leurs enfants dans le cadre d’une donation-partage. Deux jours plus tard, la pleine propriété des titres est cédée. Une partie du prix de cession est réinvestie dans d’autres titres démembrés, le surplus faisant l’objet d’un quasi-usufruit selon des modalités qui avaient été convenues dans l’acte de cession. Il était en particulier prévu que les donateurs quasi-usufruitiers pourraient la faire fructifier à charge d’en restituer le capital à l’extinction de l’usufruit.
L’administration fiscale considère que la donation est fictive au motif que les sommes faisant l’objet du quasi-usufruit n’ont selon elle pas été réellement données par les parents. L’Administration considère à cet égard comme décisif le fait que ceux-ci n’ont pas donné de sûreté garantissant le remboursement des sommes en cause.
Cette position administrative est infirmée par le Conseil d’Etat.
Une donation avec réserve de quasi-usufruit n’est pas abusive du seul fait qu’une sûreté n’est pas accordée par le quasi-usufruitier au nu-propriétaire.
Le Conseil d’Etat constate dans une décision du 10 février 2017 (n°387960) qu’il résulte des dispositions du Code civil qu’un acte de donation-partage peut valablement contenir une clause de quasi-usufruit non assortie d’une caution. Il est en particulier relevé qu’en vertu de l’article 601 du Code civil, le donateur sous réserve d’usufruit n’est pas tenu de donner caution.
Le Conseil d’Etat constate également qu’en vertu de l’article 587 du Code civil, le quasi-usufruitier reste redevable à l’égard des donataires d’une créance de restitution d’un montant équivalent à la somme faisant l’objet du quasi-usufruit. Ainsi, « alors même que cette créance n’est pas assortie d’une sûreté, dont l’article 601 du Code civil dispense expressément le donateur sous réserve d’usufruit, M. A… doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens ayant fait l’objet de la donation ».
Cette intéressante décision permet de dissiper les doutes qui subsistaient à la suite d’une précédente décision du 14 octobre 2015 (n°374440) par laquelle le Conseil d’Etat avait confirmé l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait conclu à l’existence d’un abus de droit en présence d’une donation-cession qui avait été suivie de la conclusion d’une convention de quasi-usufruit sans garantie au profit du nu-propriétaire. La conciliation entre les deux décisions nous paraît compréhensible à la lumière de la différence des faits des deux affaires : ainsi que le relève d’ailleurs le rapporteur public, Mme de Barmon, dans ses conclusions sous l’affaire ici commentée, la configuration de l’espèce ayant donné lieu à la décision de 2015 était très différente car la convention de quasi-usufruit n’avait été conclue que postérieurement à la cession des titres et avait eu pour effet d’annuler la clause de remploi en l’acquisition de nouveaux titres initialement stipulée dans l’acte de donation, permettant au donateur d’appréhender l’intégralité du produit de cession au mépris des termes de l’acte de donation.
L’avenir des donations-cessions prévoyant une clause de quasi-usufruit
La décision du 10 février 2017 est de nature à rassurer les praticiens sur la possibilité de pratiquer des donations-cessions prévoyant une clause de quasi-usufruit sans constitution de garantie. Pour autant, cette décision ne peut être interprétée comme permettant au quasi-usufruitier de dilapider les sommes faisant l’objet du quasi-usufruit, ce qui rendrait en pratique impossible la restitution des sommes en cause à ses créanciers.
On souligne à cet égard que le rapporteur public, après avoir rappelé que le droit civil fait obligation à l’usufruitier de conserver la substance de l’objet de l’usufruit et lui impose même une obligation d’information du nu-propriétaire concernant ses actes de gestion, a contrôlé qu’en l’espèce, l’acte de donation litigieux créait à la charge du quasi-usufruitier une obligation d’information périodique des donataires sur les titres acquis en remploi et imposait le placement des fonds et titres faisant l’objet du quasi-usufruit sur un compte-titre spécifique, ainsi que l’inscription des intérêts des titres soumis au quasi-usufruit ou acquis en remploi sur un autre compte dédié, permettant aux donataires de vérifier l’usage de leur bien. On peut également ajouter que le nu-propriétaire dispose en toute hypothèse d’une action en justice pour faire sanctionner un abus de jouissance du quasi-usufruit.
La stipulation d’une clause de quasi-usufruit ne nous paraît donc sécurisée, dans une opération de donation-cession, que lorsqu’elle fait peser sur le quasi-usufruitier certaines obligations démontrant l’absence de réappropriation des biens initialement donnés et la réalité de la dette qui lui incombe.
Il apparaît également nécessaire, pour éviter tout reproche au titre de l’abus de droit, que le mécanisme du quasi-usufruit soit prévu si possible dès la donation de titres, et en toute hypothèse avant la cession des titres donnés.
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, expert du Club des juriste.
Donation-cession de titres démembrés : précisions sur le risque d’abus de droit – Article paru dans LeRevenu.com le 27 mai 2017