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Droit à l’oubli et liberté de la presse : refus de désindexation d’un article sur les moteurs de recherche

Droit à l’oubli et liberté de la presse : refus de désindexation d’un article sur les moteurs de recherche

La décision le tribunal de grande instance de Paris rendue le 23 mars 2015, illustre le difficile compromis entre le droit à l’oubli consacré par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 13 mai 2014, Google Spain, voir notre commentaire dans la lettre Propriétés intellectuelles de juillet 2014) et les principes fondamentaux de la liberté de la presse.

En l’espèce un homme avait fait l’objet d’un article publié le 7 avril 2011 sur le site Internet du journal 20 Minutes concernant une affaire de viol à l’issue de laquelle un non-lieu avait été rendu en faveur du suspect.

Cependant, du fait de l’indexation de l’article sur les moteurs de recherche, les requêtes liées au nom du demandeur continuaient à renvoyer à cet article, toujours accessible en ligne. Pour y remédier, la personne visée par cet article avait exercé son droit de réponse directement auprès du directeur de la publication en sollicitant la modification de l’article en cause. L’article avait été modifié dans des termes jugés insatisfaisants par l’intéressé. L’éditeur a alors été assigné aux fins d’obtenir la suppression de l’article, son anonymisation ainsi que sa désindexation sur le fondement de l’article 9 du Code civil et de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. L’article 38 de la loi Informatique et Libertés avait également été invoqué par le demandeur pour s’opposer à l’utilisation de ses données personnelles.

A l’appui de sa défense le quotidien invoquait la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

En se livrant à un examen de proportionnalité entre ces deux droits fondamentaux, à la lumière des dispositions de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sur les données personnelles, le juge a rejeté la demande de désindexation en précisant que « le traitement des données litigieuses est manifestement nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime de l’éditeur de l’organe de presse et aucun abus à la liberté de la presse […] n’est établi » (TGI Paris, ordonnance de référé du 23 mars 2015, M. P. / 20 Minutes France).

En statuant ainsi, le tribunal de grande instance de Paris prend une décision divergente de celle rendue le 19 décembre 2014 et qui avait accueilli favorablement la requête d’une personne demandant la désindexation d’un article la concernant auprès du moteur de recherche Google.

Il est probable que le statut du destinataire de la requête influence l’appréciation faite de l’équilibre entre le droit à l’oubli et les intérêts du responsable de traitement. En effet, lorsque la demande est formulée directement auprès des moteurs de recherche, les droits de la personne prévalent sur les intérêts économiques des moteurs de recherche ; c’est ce qui ressort de la décision Google Spain. A contrario, les intérêts légitimes de l’éditeur de presse, notamment sa liberté d’expression, seront plus difficiles à écarter dans le cadre de l’exercice du droit d’opposition de la personne concernée.

Cette décision met en exergue la difficulté de déduire des solutions de principe de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. En attendant une clarification des conditions d’exercice du droit à la désindexation consacrée par le juge européen, il semble plus judicieux d’adresser ces requêtes directement aux moteurs de recherche, qui ne peuvent alors s’abriter derrière les principes fondamentaux du droit de la presse.

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Maxime Hanriot, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies.