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Droit à l’oubli : CNIL = 1/Google = 0

Droit à l’oubli : CNIL = 1/Google = 0

Depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai 2014 (CJUE, 13 mai 2014, C-131/12, Google Spain SL, Google Inc. : voir notre commentaire paru dans la lettre des propriétés intellectuelles de juillet 2014), les moteurs de recherches sont contraints de mettre en œuvre le droit au déréférencement des internautes. Cela conduit, par exemple lorsqu’une demande est faite via un formulaire mis à disposition par un moteur de recherches, à ce que certains résultats n’apparaissent pas dans la liste produite par ledit moteur à la suite d’une requête nominative.

Si Google a rapidement satisfait à cette possibilité, un bras de fer s’en est néanmoins suivi avec la CNIL. Celle-ci considère que le dispositif mis en place est insuffisant : au cœur du différend, le fait que le déréférencement ne soit proposé et mis en œuvre que sur les extensions européennes du moteur de recherches. Ainsi, l’information désindexée sur « Google.fr » continue à apparaître dans la liste des résultats de « Google.com ».

L’autorité de régulation a donc enjoint en 2015 au moteur de recherches d’appliquer le droit à l’oubli de manière globale (décision 2015-047 du 21 mai 2015). Google a, à la suite de cette décision, introduit un recours gracieux devant la CNIL, qui a été rejeté le 21 septembre 2015 (voir notre article dans la lettre des propriétés intellectuelles d’octobre 2015). Une procédure de sanction a donc été engagée le 25 septembre 2015.

Dans sa décision du 10 mars 2016, rendue au terme d’une procédure contradictoire, la CNIL rejette tous les arguments développés par Google (délibération n°2016-054 du 10 mars 2016). Notamment :

  • elle décide que Google ne saurait prétendre que chacune de ses extensions géographiques (.fr, .com, etc.) constitue un traitement de données distinct, dès lors qu’il s’agit « d’un traitement unique doté de multiples chemins d’accès techniques ». Ainsi, la situation géographique de l’internaute, la langue de recherche et le classement des résultats constituent des opérations d’un même traitement. Les extensions de recherche constituent donc un tout et ne peuvent être disjointes. La loi française s’applique à ce traitement dès lors que « l’exploitant du moteur de recherche crée sur le territoire une filiale destinée à assurer la vente des espaces publicitaires proposés » ;
  • l’autorité de régulation considère qu’elle est compétente pour intervenir, dès lors que des internautes français sont susceptibles d’être lésés par la technique de déréférencement de Google, peu important que les résultats de recherche désindexés disparaissent dans des Etats où elle n’exerce pas sa juridiction. Ainsi, le droit à l’oubli (qui n’est qu’une variante du droit d’opposition) « doit être effectif sur l’ensemble du traitement […] quand bien même il serait susceptible d’entrer en conflit avec des droits étrangers », étant entendu que « la protection d’un droit fondamental ne peut varier en fonction du destinataire de la donnée » ;
  • la CNIL estime, par ailleurs, que le droit à l’information des internautes français et étrangers n’est pas bafoué, dans la mesure où, d’une part, les résultats de recherche désindexés ne disparaissent pas de l’Internet et, d’autre part, l’exercice du droit à l’oubli est soumis à la preuve d’un intérêt légitime.

La CNIL a également relevé que Google s’était engagé, le 21 janvier 2016, soit postérieurement à l’expiration de la mise en demeure, à améliorer son dispositif de déréférencement : la société est désormais en mesure d’étendre la désindexation à l’intégralité des extensions de son moteur de recherches lorsque la requête d’un internaute est formée depuis le pays du demandeur. Cette avancée est considérée comme insuffisante par la CNIL, qui indique que l’identification par adresse IP n’est pas suffisante. Celle-ci peut en effet être contournée dans les zones frontalières ou par l’utilisation d’un VPN. Par ailleurs, elle réitère que le droit à l’oubli ne saurait être relatif et s’arrêter aux frontières.

Sur le fondement de ces différents éléments, le géant du net est condamné à verser une amende d’un montant de 100 000 euros, somme toute modérée eu égard aux peines qui seront encourues lorsque le nouveau règlement général sur la protection des données entrera en vigueur. Google a d’ores et déjà annoncé sa volonté de faire appel de cette décision.

En attendant, les statistiques de déréférencement de Google s’améliorent. Alors que les demandes de déréférencement étaient satisfaites à hauteur de 41,8% en France au 1er octobre 2015, il y est, au 15 mai 2016, fait droit à hauteur de 49%. C’est une amélioration qu’il convient de souligner, même si la désindexation est, à ce jour, incomplète.

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Julie Tamba, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et droit commercial