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Effet unitaire de la marque de l’Union européenne et coexistence pacifique

Effet unitaire de la marque de l’Union européenne et coexistence pacifique

Une société Irlandaise avait déposé plusieurs marques de l’Union européenne (UE), dont la marque verbale « Kerrygold » en 1998, pour désigner des produits laitiers. Outre-manche, une société espagnole, filiale d’une société irlandaise, commercialisait sous le signe « Kerrymaid » des produits similaires et une société du même groupe avait déposé la marque « Kerrymaid » comme marque de l’UE en 2003. La société irlandaise avait alors assigné la société ibérique devant le tribunal des marques de l’UE à Alicante. Elle considérait que l’utilisation de la marque en Espagne violait ses droits, et souhaitait en interdire l’usage sur ce territoire uniquement.

Le Tribunal de première instance avait réfuté la violation des droits en Espagne au motif qu’il y avait coexistence pacifique en Irlande et au Royaume-Uni depuis une date bien antérieure au dépôt des deux marques de l’UE. En effet, l’élément Kerry commun aux deux marques désigne un comté irlandais connu pour ses élevages bovins. Pour les juges, cette coexistence dans les deux Etats membres avait pour effet de neutraliser l’atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque antérieure, en raison des effets unitaires de la marque de l’UE. Doutant de ces conclusions, la juridiction d’appel avait alors posé trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Par sa première question, la juridiction demandait si, en présence d’une coexistence pacifique de deux marques dans une partie de l’Union (l’Irlande et le Royaume-Uni), il y avait absence de risque de confusion entre le signe exploité sur une autre partie de l’Union (en Espagne) et la marque européenne.

En effet, l’article 1er du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (RMUE) prévoit le caractère unitaire de la marque de l’UE en disposant que celle-ci confère une protection uniforme sur l’ensemble du territoire de l’UE. Dès lors, l’article 9 du RMUE peut-il permettre d’interdire l’usage d’un signe identique ou similaire sur tout le territoire de l’UE, alors même que dans une partie de ce territoire il y a coexistence paisible ?

Pour mémoire, la Cour de justice a déjà admis qu’il ne saurait être exclu que la coexistence « paisible » de deux marques sur un marché déterminé puisse éventuellement contribuer, conjointement à d’autres éléments, à amoindrir le risque de confusion entre elles sur ce territoire (CJCE, 3 septembre 2009, C-498/07 P, Aceites del Sur c/ Koipe, point 82).

Se fondant sur son arrêt « Combit Software » (CJUE, 22 septembre 2016, C-223/15, Combit Software; voir notre article sur LEXplicite), la CJUE, dans son arrêt du 20 juillet 2017, pose le principe selon lequel « lorsque l’usage d’un signe crée, dans une partie de l’Union, un risque de confusion avec une marque de l’Union européenne, tandis que, dans une autre partie de l’Union, le même usage ne crée pas un tel risque, il y a violation du droit exclusif conféré par cette marque. Dans ce cas, le tribunal des marques de l’Union européenne saisi doit interdire la commercialisation des produits concernés sous le signe en cause pour l’ensemble du territoire de l’Union, à l’exception de la partie de celui-ci pour laquelle l’absence d’un risque de confusion a été constatée » (CJUE, 20 juillet 2017, C-93/16). Mais, et surtout, reprenant le même arrêt, la CJUE rappelle que « l’examen de l’existence d’un risque de confusion dans une partie de l’Union doit se fonder sur une appréciation globale de tous les facteurs pertinents du cas concerné et que cette appréciation doit comprendre une comparaison visuelle, phonétique ou conceptuelle de la marque et du signe utilisé par le tiers, ce qui peut aboutir, notamment pour des motifs linguistiques, à des conclusions différentes pour une partie de l’Union et pour une autre ».

Or, précisément, pour la CJUE, les premiers juges n’avaient pas procédé à une appréciation globale des signes en présence puisqu’ils ne s’étaient fondés que sur la présence d’une coexistence pacifique sur une partie de l’UE pour rejeter le risque de confusion. En somme, la coexistence n’étant pas un effet de la protection unitaire, il n’est pas possible, sur ce seul fondement, de conclure à l’absence de risque de confusion sur une autre partie de l’UE, à défaut d’une appréciation globale des signes.

Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demandait si le Tribunal saisi pouvait, pour apprécier le risque de confusion, prendre en compte les éléments qui seraient pertinents sur le territoire non visé par l’action en contrefaçon, en l’espèce le caractère descriptif de l’élément Kerry, en vue d’interdire l’usage du signe sur une autre partie du territoire de l’UE.

Sans grande surprise, les juges de Luxembourg ne s’opposent pas à cette extrapolation, pourvu, bien entendu, « que les conditions du marché et les circonstances socio-culturelles ne soient pas significativement différentes dans l’une desdites parties de l’Union et dans l’autre ». Ne peut être comparé que ce qui est comparable.

Enfin, une troisième question visait à savoir si une coexistence pacifique dans une partie de l’Union entre une marque renommée de l’UE et un signe pouvait justifier un motif légitime d’exploitation dudit signe sur une autre partie de l’UE sur le fondement de l’article 9 paragraphe 1 sous c) du RMUE.

La question semble redondante : dès lors que la coexistence est susceptible de neutraliser le risque de confusion, a fortiori devrait-on en déduire qu’elle amoindrit le lien entre les marques, condition indispensable de l’atteinte à la renommée. La coexistence ne serait donc pas un « juste motif » en soi, mais un facteur permettant dans certaines circonstances d’exclure la possibilité d’un rapprochement des marques dans l’esprit du public.

Logiquement, donc, la CJUE conclut que la coexistence dans une partie du territoire de l’UE non visée par la demande d’interdiction d’usage ne produit pas d’effet automatique en tant que « juste motif » dans une autre partie. Elle juge qu’il convient en toutes circonstances de se livrer à une appréciation globale de tous les facteurs pertinents, et de ne pas se fonder uniquement sur la présence d’une coexistence paisible sur une partie de l’Union afin d’apprécier s’il y a un motif légitime. Ainsi, la coexistence n’est pas en soi un « juste motif », mais un facteur permettant dans certaines circonstances d’exclure la possibilité d’un rapprochement des marques dans l’esprit du public.

 

Auteurs

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle

Thomas Livenais, avocat en droit de la propriété intellectuelle