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Elections du conseil économique et social et parité : des précisions qui sèment le trouble

Elections du conseil économique et social et parité : des précisions qui sèment le trouble

Alors que les entreprises étaient dans la dernière ligne droite pour mettre en place leur CSE (Comité social et économique), la Cour de cassation a apporté, par une série d’arrêts rendus le 11 décembre 2019, plusieurs précisions sur l’application du principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes pour les élections professionnelles du CSE.

Revenant sur une position antérieure, elle admet, lorsque deux sièges sont à pourvoir, qu’une liste puisse ne comporter aucun candidat du sexe sous-représenté. Analyse des précisions.

Elections du CSE et parité : quel est le principe?

La représentation du sexe sous-représenté est obligatoire quand plusieurs sièges sont à pourvoir.

En application de l’article L.2314-30 du Code du travail, les listes qui comportent plusieurs candidats doivent être composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. Les candidats de chaque sexe doivent être alternés jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes.

Lorsque le calcul n’aboutit pas à un nombre entier de candidats à désigner pour chacun des deux sexes, il est procédé à l’arrondi à l’entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à cinq ou à l’entier inférieur en cas de décimale inférieure à cinq.

Alors que certain(e)s se félicitaient de ce dispositif imposant une parité reflet de la réalité sociale de l’entreprise, d’autres, qui y ont vu une atteinte à la liberté syndicale, n’ont pas hésité à tenter de faire modifier, voire annuler le dispositif.

Le Conseil constitutionnel a ainsi été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant la règle d’arrondi arithmétique par le syndicat FO. Il estimait que cette règle, lorsque la proportion d’hommes et de femmes dans le collège électoral est très déséquilibrée, instituait une différence de traitement injustifiée entre les hommes et les femmes, contraire au principe d’égalité devant la loi.

 

Le Conseil constitutionnel a précisé à cette occasion que, sous réserve qu’elle ne fasse pas obstacle à ce que les listes de candidats puissent comporter un candidat du sexe sous-représenté dans le collège électoral, la règle d’arrondi arithmétique en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes de candidats aux élections professionnelles est conforme à la Constitution (Cons. const. 19 janvier 2018 n° 2017-686 QPC).

 

A la lumière de cette décision, la Cour de cassation s’est prononcée sur une affaire où le collège cadres étant composé de 77 % de femmes et de 23 % d’hommes. Le calcul de l’arrondi aboutissait à ce qu’aucun homme ne puisse être candidat (2 x 23/100 = 0,46 arrondi à 0).

Elle précisait à cette occasion que, dès lors que deux postes de représentants du personnel sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste de candidats conforme à la représentation équilibrée femmes/hommes, c’est-à-dire, conformément à la décision du Conseil constitutionnel 2017-686 QPC du 19 janvier 2018, comportant nécessairement une femme et un homme, ce dernier au titre du sexe sous-représenté dans le collège considéré (Cass. soc. 9 mai 2018 n° 17-14.088).

Par voie de conséquence, la Cour interdisait les listes incomplètes quand deux sièges étaient à pourvoir, bloquant ainsi les tentatives de contournement de la règle de parité reflet par le biais de candidatures individuelles uniques.

La Cour de cassation a par la suite précisé que l’interdiction des listes incomplètes était limitée aux cas où deux sièges étaient à pourvoir. Quand plus de deux sièges sont à pourvoir, elle admet en effet les listes incomplètes sous réserve que la liste respecte la proportion de femmes et d’hommes dans le collège considéré (Cass. soc. 17 avril 2019 n° 17-26.724).

Par exemple, si cinq sièges sont à pourvoir et que le collège comporte 63,87 % d’hommes et 36,13 % de femmes, une liste incomplète de quatre candidats doit, pour être valable comporter trois hommes (2,55 arrondi à 3) et une femme (1,44 arrondi à 1).

 

Par une série d’arrêts du 11 décembre 2019, la Cour de cassation confirme ses positions pour les cas où plus de deux sièges sont à pourvoir.

Elections du CSE et parité : une exception quand le calcul de l’arrondi aboutit ne donne droit à aucun siège

Pour les collèges où seuls deux sièges sont à pourvoir, la Cour de cassation revient cependant sur sa position en se fondant sur une disposition introduite par l’ordonnance relative au CSE qui prévoit que lorsque l’application la règle de l’arrondi conduit à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté (article L.2314-30 dernier alinéa).

Elle pose ainsi un nouveau principe selon lequel : « lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l’article L.2314-30 du code du travail, c’est à dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté ; que lorsque l’application des règles de proportionnalité et de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à cinq conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, il résulte de l’article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues, que les dispositions de l’article L. 2314-30 du code du travail étant d’ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger ».

 

Dans cette affaire, les femmes représentaient 11 % des effectifs du deuxième collège, ce qui en application de la règle de l’arrondi (0,22 arrondi à 0) ne leur donnait droit à aucun siège.

Alors qu’en application de la jurisprudence antérieure, les femmes auraient eu droit à une candidate au nom du sexe sous-représenté, la Cour de cassation écarte cette règle et juge que le syndicat était dans ce cas autorisé à présenter soit deux candidats du sexe majoritairement représenté (deux hommes), soit un candidat de chacun des deux sexes, soit un candidat unique du sexe majoritaire (un homme). La Cour admet donc désormais la possibilité de présenter un candidat unique dans cette situation.

Ces arrêts s’accompagnent d’un communiqué de la Cour de cassation dans lequel elle justifie ce revirement par une exception qui se trouverait dans le caractère « ultra-minoritaire d’un des sexes » dans cette affaire. L’argument est peu convaincant dans la mesure où il s’agit simplement de l’application de la règle d’arrondi qui, comme dans l’affaire de 2018, conduit à attribuer les deux sièges au sexe majoritaire lorsque le calcul aboutit à un résultat inférieur à 0,5.

Il semble plutôt que la Cour ait opté pour une position pragmatique. Elle évoque à cet égard les « difficultés pratiques pouvant, dans un cas de particulière sous-représentation d’un sexe au sein du collège, contrarier excessivement la présentation de candidats par les syndicats ».

Outre le problème de sécurité juridique que peut poser un tel revirement de jurisprudence, on pourrait se demander si la solution qu’a fait prévaloir la Cour de cassation est réellement conforme à l’objectif de mixité voulu par le législateur en particulier dans les entreprises où les femmes sont minoritaires.

 

Article publié dans les Echos Executives le 08/01/2020