Enquête, droits du salarié, actions de l’employeur : le point sur les derniers apports jurisprudentiels relatifs au harcèlement moral
19 septembre 2022
En cas de dénonciation de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, l’employeur se doit de réagir et, si les circonstances de fait l’exigent, de diligenter une enquête afin de vérifier la réalité des faits et de déterminer si ceux-ci sont susceptibles de constituer un harcèlement moral.
Dans le silence de la loi sur les modalités de déroulement de cette enquête – qui peut être menée, en interne, avec des représentants de l’entreprise ou externalisée, pour être réalisée par un organisme extérieur, et notamment par un avocat – la Cour de cassation a récemment apporté d’importantes précisions sur ses conditions de mise en œuvre
Une absence d’obligation d’associer les représentants du personnel à la conduite de l’enquête et d’interroger l’ensemble des collaborateurs concernés (Cass. soc., 1er juin 2022, n°20-22.058)
Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave, au vu des résultats d’une enquête interne ayant conclu à l’existence d’agissements de harcèlement moral envers une collègue de travail.
La cour d’appel avait jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, après avoir écarté le compte rendu de l’enquête interne diligentée par l’employeur au motif que celle-ci :
-
- avait été confiée non pas au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) mais à la direction des ressources humaines ;
-
- et que 8 personnes seulement avaient été interrogées sur les 20 composant le service, sans que soient connus les critères objectifs ayant mené à leur sélection.
La Cour de cassation va toutefois casser l’arrêt d’appel en considérant que la cour devait examiner cet élément de preuve avant de se prononcer sur le caractère réel et sérieux du licenciement.
Cette possibilité, pour l’employeur, de n’interroger qu’une partie des salariés de l’entreprise en contact avec le salarié accusé de harcèlement moral n’est pas nouvelle.
En effet, la Cour de cassation avait déjà admis en 2020 qu’il n’y avait pas lieu d’écarter des débats une enquête interne au motif que seule la moitié des collaborateurs, appartenant presque tous à un seul des deux services dirigés par le salarié accusé de harcèlement, avaient été entendus (Cass. soc., 8 janvier 2020, n°18-20.151).
En revanche, plus novateur est le second enseignement de cet arrêt, qui précise que l’employeur peut mener une enquête interne au sujet de faits de harcèlement moral sans y associer les représentants du personnel (il n’en est pas de même lorsque l’enquête est réalisée dans le cadre d’une alerte exercée par un membre du CSE).
En pratique et en fonction des circonstances (qualité du salarié, contexte…), l’employeur peut donc librement apprécier les modalités d’une enquête qu’il peut réaliser seul, avec le CSE, ou encore en la confiant à un prestataire extérieur.
L’absence d’obligation d’accès du salarié mis en cause au dossier constitué et de confrontation à ses collègues lors de l’enquête (Cass. Soc., 29 juin 2022, n°20-22.220)
En l’espèce une salariée, licenciée pour faute grave en raison de faits de harcèlement moral révélés par une enquête interne, a contesté son licenciement au motif que la procédure d’enquête interne, sur le fondement de laquelle cette mesure avait été prononcée, ne pouvait lui être opposée :
-
- dès lors qu’elle avait été informée de l’existence de l’enquête postérieurement à sa clôture ;
-
- et qu’elle n’avait été ni entendue ni confrontée aux plaignants et aux témoins.
La cour d’appel, après avoir retenu que l’enquête interne diligentée par l’employeur respectait les exigences d’impartialité, a débouté la salariée de sa demande.
La Cour de Cassation approuve cette analyse et précise que, l’enquête interne étant destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés, le respect des droits de la défense et le principe du contradictoire n’imposent pas que le salarié accusé ait accès au dossier et aux pièces recueillies, ni qu’il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause, ni encore qu’il soit entendu afin de discuter les éléments de l’enquête, dès lors que la décision de l’employeur et les éléments qui l’ont fondée peuvent être ultérieurement discutés devant les juridictions.
Cette affaire est à rapprocher d’une précédente décision de la Cour de cassation rendue en 2021 (Cass. soc. 17 mars 2021, n°18-25.597). Dans cette affaire, la salariée reprochait à son employeur d’avoir procédé à son licenciement pour faute grave sur le fondement d’une enquête confiée à un organisme extérieur, qui avait révélé que la salariée «avait proféré des insultes à caractère racial et discriminatoire et causé des perturbations graves de l’organisation et l’efficacité collective».
La salariée soutenait en effet que le rapport d’enquête constituait un moyen de preuve illicite, car obtenu de manière déloyale, dès lors que la salariée n’avait été ni informée de la mise en place de l’enquête, ni entendue dans le cadre de celle-ci.
La Cour de cassation refuse de suivre l’argumentation de la salariée. Elle considère en effet que :
-
- les dispositions légales selon lesquelles aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance, ne sont pas applicables à une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral ;
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- et que cette enquête ne constitue donc pas une preuve déloyale issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié : le juge devait donc examiner ce moyen de preuve.
Un rapport d’enquête apprécié par les juges au regard des autres éléments de preuve produits par les parties (Cass. soc., 29 juin 2022, n°21-11.437)
Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave en raison de faits de harcèlement moral et sexuel sur le fondement d’un rapport d’enquête interne.
La cour d’appel avait considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse après avoir écarté le compte rendu de l’enquête sur lequel l’employeur se fondait au motif que ce moyen de preuve avait été obtenu de manière déloyale, notamment en raison de l’absence d’audition de l’ensemble des salariés témoins ou intéressés, de l’absence de saisine du CHSCT et de l’audition commune des deux seules salariées qui s’étaient plaintes.
Dans son pourvoi, l’employeur soutenait que le juge ne pouvait écarter des débats le rapport d’enquête dès lors qu’en matière prud’homale la preuve est libre et qu’en conséquence, les faits de harcèlement moral et sexuel peuvent être démontrés par l’employeur par tous moyens.
La Cour de cassation lui donne raison.
En effet, après avoir rappelé les principes selon lesquels la preuve est libre en matière prud’homale et que l’obligation de sécurité pèse sur l’employeur en matière de prévention des faits de harcèlement moral et sexuel, la Cour retient que le juge :
-
- ne pouvait écarter des débats le rapport d’enquête interne dont il constatait qu’il faisait état de faits de nature à caractériser un harcèlement sexuel ou un harcèlement moral de la part du salarié licencié ;
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- ne pouvait refuser d’ examiner les autres éléments de preuve produits par l’employeur qui se prévalait, dans ses conclusions, des comptes-rendus des entretiens avec les salariés entendus dans le cadre de l’enquête interne ainsi que d’attestations de salariés.
Ces différentes décisions témoignent ainsi d’une propension de la justice à laisser une latitude certaine aux entreprises pour mener ces enquêtes et remplir ainsi leur obligation de sécurité. L’exercice demeure cependant particulièrement délicat en ce qu’il conduit à devoir faire preuve de discernement, d’impartialité et d’objectivité.
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