Enquêtes internes : des règles en constante évolution
18 novembre 2024
Au fur et à mesure que les enquêtes internes se développent en entreprise, les règles les encadrant semblent se dessiner, progressivement, avec davantage de précision.
Après les juridictions et la CNIL (1), c’est au tour du Défenseur des droits, dans une décision du 11 juillet dernier (2), d’apporter sa pierre à l’édifice. Alors qu’il était saisi d’une réclamation relative à des agissements de harcèlement sexuel, ce dernier est venu apporter d’utiles précisions sur la manière de conduire une enquête interne, en particulier lorsque cette dernière porte sur des faits potentiellement constitutifs de harcèlement.
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Sur la liste des personnes à entendre dans le cadre de l’enquête
Outre les grands principes qui gouvernent une enquête interne, le Défenseur des droits rappelle que doivent être entendus à minima (i) la victime présumée, (ii) la personne mise en cause, (iii) les témoins, (iv) les responsables hiérarchiques directs de la victime présumée et de la personne mise en cause et (v) toute personne demandant à être auditionnée ou dont l’audition est souhaitée par la victime présumée ou la personne mise en cause.
En pratique, pour éviter toutes difficultés, il convient de :
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- demander à la victime présumée et à la personne mise en cause, lors de leur audition, le nom des témoins qu’elles souhaitent voir entendus ;
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- documenter cet échange dans le compte-rendu d’entretien ;
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- documenter les raisons pour lesquelles un témoin demandé par l’une des parties et/ou dont l’éclairage aurait pu être nécessaire à l’enquête n’a pas été entendu (ce d’autant que pour la célérité de l’enquête, la liste des personnes à entendre n’est – en pratique – pas extensible à volonté même s’il est recommandé en principe d’auditionner un maximum de personnes).
Sur les conclusions et les suites de l’enquête
Bien que la qualification des faits soit souvent difficile, en particulier en matière de harcèlement, le Défenseur des droits précise que les conclusions de l’enquête (3) doivent être cohérentes avec les comptes rendus d’entretiens, notamment lorsque la concordance des témoignages laisse présumer l’existence d’un harcèlement sexuel (4), et ce, quand bien même les témoins n’ont pas été témoins directs des faits reprochés.
Selon le Défenseur des droits, les enquêteurs ne doivent pas, par principe, exclure la qualification de harcèlement en l’absence de preuves irréfutables car de telles preuves sont la plupart du temps impossibles à rapporter en la matière.
En pratique, il est toutefois difficile pour les enquêteurs de conclure sans réserve à un harcèlement sexuel quand les éléments fournis laissent simplement supposer l’existence d’une situation de harcèlement.
Au niveau de la forme, le Défenseur des droits rappelle que les conclusions de l’enquête doivent être rendues dans un délai raisonnable – sauf à démontrer (et documenter) les difficultés rencontrées – et recommande de communiquer les conclusions de l’enquête à la victime présumée avant restitution à toute autre personne, bien que cela ne soit pas en tant que tel obligatoire.
Enfin, si le rapport conclut à l’existence d’un harcèlement, outre la sanction prise à l’encontre de l’auteur du harcèlement qui doit revêtir un caractère proportionné au regard de ses agissements, des mesures doivent être prises pour l’éloigner de sa victime.
En pratique, le harcèlement sexuel justifiant un licenciement pour faute grave (5), la question de la protection de la victime se posera surtout en amont de la procédure de licenciement ou pendant la procédure de licenciement à défaut de mise à pied conservatoire.
De manière générale, il convient à ce propos de rappeler que des mesures de protection de la santé et de la sécurité de la victime doivent être prises pendant toute la durée de l’enquête.
Cela peut nécessiter, à titre d’exemples, de recourir au télétravail ou à une dispense d’activité rémunérée (avec l’accord du salarié), voire de procéder à une mutation temporaire (sous réserve là encore de l’accord du salarié si cela entraine une modification du contrat de travail), une mise en disponibilité provisoire (6) ou une mise à pied conservatoire de la personne mise en cause (qui ne nécessite pas l’accord du salarié et ne sera pas payée si le salarié est effectivement licencié pour faute grave à l’issue de l’enquête) (7).
Ces mesures sont toutefois à manier avec prudence afin de (i) respecter la confidentialité de l’enquête et (ii) préserver/protéger la victime présumée, le lanceur d’alerte, la personne mise en cause et de manière générale les salariés parties à l’enquête.
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Sur l’absence de représailles
Enfin, bien que cela aille de soi, la personne ayant dénoncé des faits de harcèlement ne doit pas faire l’objet de représailles.
Dans cette affaire, le Défenseur des droits décide que la recommandation faite par l’employeur à la victime présumée (également auteur de l’alerte) de ne plus recourir à des enregistrements réalisés à l’insu de ses collègues (en rappelant que cela pourrait donner lieu à des poursuites pénales) était constitutive d’une mesure de représailles.
Cette approche – bien qu’un peu sévère (8) – nous parait évidente au regard de la récente évolution de la jurisprudence qui admet les enregistrements clandestins, notamment pour prouver des faits de harcèlement (9).
Une nouvelle fois, les entreprises sont donc invitées à revoir leurs pratiques en matière d’enquêtes internes afin de s’assurer de leur conformité non seulement aux exigences jurisprudentielles et aux recommandations de la CNIL mais également à celles du Défenseur des droits.
AUTEURS
Ludovique Clavreul, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Sophie Montagne, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Référentiel CNIL relatif aux traitements de données à caractère personnel destinés à la mise en œuvre d’un dispositif d’alerte (version adoptée le 6 juillet 2023).
(2) Décision du Défenseur des droits n°2024-105, 11 juillet 2024.
(3) Les enquêteurs ayant conclu en l’espèce à l’absence de harcèlement.
(4) Le Défenseur des droits vise ici le harcèlement sexuel à l’égard d’une salariée mais également le harcèlement sexuel d’ambiance « qui correspond à la situation dans laquelle sans être directement visés, un ou plusieurs salariés subissent des provocations ou blagues obscènes ou vulgaires qui lui ou leur deviennent insupportables ».
(5) Cass. soc., 5 mars 2022 n°00-40.717 ; Cass. soc., 17 février 2021 n°19-18.149 ; Article L.1153-5 du Code du travail.
(6) Cass. soc., 8 mars 2017 n°15-23.503.
(7) Le présent paragraphe ne traite pas de la situation particulière des salariés protégés.
(8) En l’espèce, l’employer avait recommandé dans son rapport de ne pas recourir à des enregistrements clandestins et avait précisé que cela pouvait donner lieu à des poursuites pénales. Bien que potentiellement intimidant, cela ne nous semble pas devoir être qualifié de mesures de représailles au sens des articles L.1153-2 et L.1121-2 du Code du travail.
(9) Cass. soc., 10 juillet 2024 n° 23-14.900.
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