Entente : application inédite de la notion d’infraction unique et répétée
A la suite d’un signalement de la DGCCRF, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné, à hauteur de 189 millions d’euros d’amende, six fabricants d’électroménager, parmi les plus importants en France, pour avoir notamment participé à une infraction unique et répétée de septembre 2006 à janvier 2007, puis de mai 2008 à avril 2009 (Décision n°18-D-24 du 5/12/2018).
L’infraction reprochée avait essentiellement consisté pour les intéressés à s’entendre, au cours de réunions tenues secrètes, sur une définition commune du prix de vente conseillé au détail de nombreux produits de gros électroménager, principalement les plus vendus. En effet, en raison d’une corrélation entre ce prix de vente conseillé et le prix auquel les distributeurs achetaient les produits, les « règles de prix » ainsi arrêtées avaient mécaniquement un impact sur les prix facturés par les fabricants aux distributeurs. Pour l’ADLC, ces pratiques poursuivaient un objet anticoncurrentiel unique, aboutissant in fine à une hausse des prix aux consommateurs.
L’infraction unique vise, rappelons-le, une situation dans laquelle plusieurs entreprises participent à une infraction constituée d’un comportement poursuivant un seul but économique destiné à fausser la concurrence ou encore des infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet (CJUE 8/07/1999 et CA Paris du 30/01/2014). Une fois qualifiée, l’infraction unique peut être continue ou répétée.
Si, depuis la décision 05-D-69 du 15 décembre 2005, l’ADLC fait une application régulière de la notion d’infraction unique et continue, c’est en revanche la première fois qu’elle a recours à celle d’infraction unique et répétée, issue du droit européen (TUE 17/05/2013 aff.T-147/09 et T-148/09, Trelleborg)
L’ADLC rappelle les caractéristiques de cette infraction qui peut avoir d’importantes conséquences en matière de prescription :
- existence d’un plan d’ensemble (élément essentiel pour qualifier une pluralité de pratiques d’infraction unique) déterminé en fonction des circonstances de l’espèce ;
- interruption de la participation de l’entreprise à l’infraction et participation de l’entreprise à l’infraction avant et après cette interruption.
L’ADLC considère que le caractère unique de l’infraction, sur l’ensemble de la période, avant et après la suspension des pratiques, se déduisait ici de l’identité des éléments suivants : modalités de mise en œuvre (réunions secrètes) ; entreprises et personnes physiques présentes aux réunions ; objectifs des pratiques (définition de la hausse des prix de vente conseillés) ; produits concernés (produits de gros électroménager commercialisés par chacun des fabricants, dont références les plus stratégiques) ; champ géographique concerné (territoire français).
Le caractère répété de l’infraction résultait de ce que les pratiques s’étaient déroulées de septembre 2006 à avril 2009 et avaient connu une période d’interruption de janvier 2007 à mai 2008.
Toutes les entreprises avaient recouru à la procédure de transaction et ainsi bénéficié d’une réduction d’amende après avoir reconnu avoir participé à l’infraction et poursuivi un objet anti-concurrentiel unique ayant consisté, « dans un contexte économique dégradé, à augmenter de manière concertée les prix de vente conseillés au détail transmis aux clients distributeurs, impactant ainsi directement le niveau du prix de cession à ces derniers et altérant, de manière générale, l’incertitude entre les différents concurrents concernés ».
L’une de ces entreprises qui avait par ailleurs sollicité une clémence de second rang a obtenu, dans le cadre de la transaction, une réduction d’amende particulièrement significative à un double titre :
- tout d’abord, une réduction de sanction supérieure à la réduction maximale retenue par l’avis de clémence « en raison de la qualité toute particulière de sa contribution à l’instruction, au titre de sa demande de clémence, des éléments apportés à son soutien et de sa coopération active tout au long de l’instruction » ;
- mais surtout, et c’est inédit, le bénéfice d’une « clémence Plus » pour avoir notamment permis à l’ADLC d’étendre la durée de l’infraction unique et d’aggraver la sanction en conséquence. L’ADLC peut en effet, lorsque l’entreprise sollicitant la clémence lui fournit la première les preuves incontestables d’éléments de fait supplémentaires ayant une incidence directe sur le montant des sanctions infligées aux participants à l’entente, ne pas tenir compte de ces faits pour fixer le montant de l’entreprise qui les fournit.
Une décision inédite à un double égard donc !
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat counsel au sein du département de doctrine juridique