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Ententes sur les prix : le secteur automobile sous haute surveillance

Ententes sur les prix : le secteur automobile sous haute surveillance

Dans le cadre d’une vaste enquête portant sur le secteur des pièces détachées automobiles, la Commission européenne vient de condamner cinq équipementiers qui fabriquent des roulements pour les constructeurs automobiles et les constructeurs de camions.

Au total, elle a infligé 953,3 millions d’euros d’amende, à ces cinq entreprises (le groupe allemand Schaeffler, le suédois SKF et trois équipementiers automobiles japonais) pour avoir participé à une entente sur les prix entre avril 2004 et juillet 2011. La sixième entreprise, la japonaise JTEKT, a bénéficié d’une immunité pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission.

Selon le communiqué de presse publié par la Commission européenne, les entreprises se sont entendues pour coordonner secrètement leur stratégie tarifaire sur le marché automobile pendant plus de sept ans, dans l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE).

Les amendes ont été fixées en considération du volume des ventes des produits en cause sur le marché, de la gravité de l’infraction, de sa portée géographique et de sa durée. Dans cette affaire, la taille du marché des roulements automobiles dans l’Union européenne a été estimée à au moins 2 milliards d’euros par an.

Il s’agit de la quatrième plus lourde amende jamais infligée par la Commission à des entreprises ayant parti¬cipé à une entente.

Le secteur des pièces détachées pour automobiles dans le viseur

Ce nouveau cas s’inscrit dans le cadre d’une immense enquête antitrust menée depuis plusieurs années dans le secteur des pièces détachées pour automobiles.

Le secteur des pièces détachées pour automobiles avait déjà été touché lorsque, en 2008, une amende de près de 1,4 milliard d’euros (la seconde amende la plus importante) avait été prononcée pour une entente dans le secteur du verre automobile(1).

En juillet 2013, les producteurs de faisceaux de fils électriques se sont vu infliger une amende de 141 millions d’euros. Les entreprises impliquées avaient coordonné leurs prix et s’étaient réparti les livraisons de faisceaux de fils électriques aux constructeurs automobiles concernés.

En janvier 2014, la Commission a condamné les équipementiers fabricants de mousses souples utilisées dans les sièges automobiles à une amende de 114 millions d’euros pour entente sur les prix. Pendant près de cinq ans, d’octobre 2005 à juillet 2010, les entreprises s’étaient entendues pour coordonner leurs prix de vente de divers types de mousse dans dix Etats membres de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, France, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Royaume-Uni). D’autres enquêtes sont en cours en en Europe, sur les airbags, les ceintures de sécurité et les volants, les produits pour systèmes de climatisation de véhicules et de refroidissement de moteurs ainsi que sur les systèmes d’éclairage. Ces secteurs font également l’objet d’investigations de la part des autorités de concurrence aux Etats-Unis et au Japon.

Le vice-président de la Commission chargé de la politique de concurrence, Joaquin Almunia, indiquait en janvier dernier dans un entretien au magazine allemand Stern, que «des cartels étaient suspectés dans presque toutes les familles de pièces que contient une voiture. Des décisions seront prises» en 2014, a-t-il prévenu.

Ces paroles ont été suivies d’effet, puisque l’autorité de concurrence européenne a annoncé fin mars avoir mené des perquisitions chez des fabricants de pots d’échappement qu’elle soupçonne d’entente sur les prix. C’est le huitième secteur d’équipements automobiles concerné par ce type d’enquête.

Les noms des équipementiers visés par cette enquête n’ont pas été révélés, mais le français Faurecia, filiale de PSA, a annoncé en faire partie et «coopérer pleinement» à l’enquête.

M. Joaquin Almunia a déclaré au sujet de la décision de la Commission du 19 mars 2014 dans le secteur des roulements destinés aux voitures et camions : «La décision d’aujourd’hui marque une nouvelle étape clé dans les efforts déployés actuellement par la Commission pour mettre un coup d’arrêt aux ententes sur le marché des pièces détachées automobiles, après les sanctions déjà infligées aux producteurs de fils électriques et de mousse utilisée dans les sièges des voitures. Il est incroyable de constater une fois de plus qu’un composant automobile a été cartellisé. J’espère que les amendes infligées dissuaderont les entreprises de s’adonner à ces pratiques illégales et aideront à rétablir la concurrence dans ce secteur. Si l’on restait les bras croisés, les cartels sur le marché des pièces détachées automobiles pourraient amoindrir la compétitivité de l’industrie automobile et gonfler artificiellement les prix payés par les acheteurs européens de voitures

De nouvelles amendes seront très certainement annoncées dans les prochains mois.

L’immunité totale réservée au demandeur de clémence

L’entreprise japonaise, JTEKT, qui a révélé à la Commission l’existence d’une entente dans le secteur des roulements pour les constructeurs automobiles et les constructeurs de camions, a bénéficié d’une immunité totale d’amende. Elle a ainsi échappé au prononcé d’une amende de 86 037 000 euros pour sa participation à l’infraction.

Toute entreprise participant à une entente peut demander à bénéficier d’une immunité totale d’amende si elle est la première entreprise à dénoncer l’entente en apportant des éléments de preuve de l’existence de celle-ci jusqu’alors inconnue de la Commission européenne ou, lorsque la Commission a déjà connaissance de l’entente, si elle est la première à lui apporter des éléments cruciaux par rapport à ceux dont elle a déjà connaissance et qui lui permettront d’établir la réalité l’entente.

L’entreprise qui n’est pas la première à révéler l’existence de l’entente peut néanmoins bénéficier d’une réduction d’amende si elle fournit des éléments de preuve qui revêtent une valeur ajoutée significative par rapport à ceux déjà en possession de la Commission.

Sont considérés comme ayant une valeur ajoutée significative les éléments de preuve qui renforcent, par leur nature et/ou leur degré de précision, la capacité de la Commission à établir l’existence de l’entente.

Dans la présente affaire, quatre entreprises, NSK, NFC, SKF et Schaeffler ont bénéficié de réductions d’amende pour leur coopération au titre du programme de clémence.

La mise en oeuvre de cette procédure de clémence est très fréquente et particulièrement redoutable pour déceler les ententes, en particulier les ententes secrètes, qui sont les plus courantes. Les ententes secrètes étant par leur nature même beaucoup plus difficiles à détecter, la procédure de clémence permet aux autorités de concurrence de s’assurer de la coopération pleine et entière des entreprises qui participent à ce programme, puisque ces dernières en retireront le bénéfice d’une immunité totale ou d’une réduction significative du montant de l’amende infligée.

La procédure de transaction

Toutes les entreprises condamnées dans le cadre de cette décision ont bénéficié d’une réduction de 10 % du montant de leur amende au titre d’une transaction. Depuis l’entrée en vigueur de la procédure de tran-saction en 2008, il s’agit de la douzième décision de transaction.

Pour bénéficier de cette procédure, les entreprises doivent cependant reconnaître leur participation à l’infraction et leur responsabilité. Cette procédure entraîne pour la Commission des gains procéduraux et lui permet de libérer des ressources tant humaines que financières pour la poursuite d’autres infractions présumées.

Cette procédure avait aussi été mise en oeuvre dans le cartel des producteurs de faisceaux de fils électriques précité.

Action en dommages et intérêts personne ne peut y échapper

Le fait qu’une entreprise bénéficie d’une immunité d’amende ou d’une réduction de son montant ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction au droit des pratiques anticoncurrentielles.

Les entreprises participant à l’entente s’exposent à ce que toute personne ou entreprise lésée par des pratiques anticoncurrentielles, telles qu’une entente sur les prix, réclame des dommages et intérêts en saisissant la juridiction de son Etat membre compétente.
La décision de la Commission constitue alors une preuve contraignante de l’existence et du caractère illicite des pratiques en cause.

Cependant, force est de constater que si les programmes de clémence fonctionnent bien, les victimes d’une infraction au droit de la concurrence ne sont cependant pas toujours en mesure d’exercer effectivement, à titre individuel ou collectif ce droit à réparation garanti par le droit de l’UE.

L’une des principales causes de cette situation est attri¬buée à l’absence de règles nationales appropriées régissant ces actions et, lorsqu’elles existent, à leur hétérogénéité d’un Etat membre à l’autre. C’est la raison pour laquelle en juin 2013, la Commission a présenté une proposition de directive visant à faciliter l’obtention de dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles.

En France, la loi relative à la consommation du 17 mars 2014 (dite Loi Hamon) vient d’introduire l’action de groupe dans notre arsenal juridique. Ce mécanisme de recours collectifs devrait permettre, lorsque les décrets d’application seront parus, aux victimes d’une pratique anticoncurrentielle d’obtenir dans le cadre d’une procédure unique la réparation des préjudices indivi¬duels subis. L’action de groupe sera réservée aux seuls consommateurs ; elle ne bénéficiera pas aux entreprises, quelle que soit leur taille.

Notes

1. La Commission européenne vient de réduire à concurrence de 16 millions d’euros ramende qu’elle avait infligée en 2008 au groupe français de construction Saint-Gobain pour sa participation à cette entente, la ramenant ainsi de 896 à 880 millions d’euros. Elfe a également décidé de réduire l’amende prononcée à l’encontre de la société britannique Pilkington de 370 à 357 millions.

 

A propos de l’auteur

Nathalie Pétrignet, avocat associée, spécialisée en matière de droit de concurrence national et européen, pratiques restrictives et négociation commerciale politique de distribution et aussi en droit des promotions des ventes et publicité.

 

Article paru dans la revue Option Droit & Affaires le 2 avril 2014