Entre tentation et hésitation : une année en suspens pour le M&A européen
L’activité M&A a été affectée par une forte incertitude géopolitique et économique tout au long de l’année 2018 à l’échelle mondiale et plus particulièrement en Europe. Malgré une baisse du volume d’activité en fin d’année, le marché reste favorable aux vendeurs. C’est ce que nous apprend l’étude annuelle que CMS1 vient de publier, résultat de l’analyse de plus de 4 000 transactions.
Le bilan globalement positif de l’année 2018 doit être nuancé par une nette diminution des volumes d’opérations en fin d’année. Dans un environnement géopolitique incertain, les vendeurs ont néanmoins réussi à renforcer leur position dans les équilibres de risques contractuels. Ceci tranche nettement avec le marché américain, où les accords restent globalement plus favorables aux acquéreurs.
Le Private Equity demeure cette année encore le principal moteur du M & A en Europe, avec une activité en forte progression. Les fonds d’investissement continuent d’être fortement encouragés à investir et ciblent des valeurs de transactions de plus en plus élevées.
Les secteurs de l’énergie, de la santé et des médias et télécoms étaient les plus dynamiques sur l’ensemble des juridictions couvertes par l’étude. Les acteurs du M&A, notamment en France et en Allemagne, anticipent la poursuite des opérations dans les secteurs finance, banque et assurance. Toutefois, le ralentissement de l’activité au cours des premiers mois 2019 est notable tant en France qu’en Allemagne, même si les cibles du Mittelstand allemand attirent de plus en plus les acteurs du Private Equity et que des opérations dans les domaines du digital, des biotechs et du e-commerce continuent à susciter beaucoup d’intérêt. La concurrence autour des cibles allemandes attractives ne cesse de croître et les prix s’en ressentent.
Pour la première fois cette année, l’étude a recueilli pour chaque transaction analysée l’objectif poursuivi (le deal driver) par l’acquéreur, en complément des données déjà collectées relatives au secteur d’activité des vendeurs (en majorité des investisseurs stratégiques et financiers, mais aussi un nombre non négligeable de particuliers) et de à celui des acheteurs (presque exclusivement constitués d’investisseurs stratégiques et financiers). Pour un tiers des transactions, l’étude révèle ainsi que l’objectif poursuivi est l’acquisition d’un fournisseur (afin d’accéder à un nouveau marché), dans 23% des opérations visant l’acquisition d’un savoir-faire ou de compétences (acqui-hire) et, dans 20% des cas, le rachat d’un concurrent.
L’incertitude demeure quant à l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, sans qu’il soit possible de prédire son incidence sur les futures fusions et acquisitions auxquelles participeront des entreprises britanniques. Certains investisseurs pourraient tenter de saisir des opportunités stratégiques ou souhaiter tirer parti d’une livre sterling plus faible.
Une année sans précédent pour les assurances de garantie de passif
Les vendeurs se déchargent de plus en plus de leur risque de garantie en exigeant en amont la mise en place d’une police d’assurance de garantie de passif à la charge des acquéreurs. Près d’un tiers (30%) des opérations de plus de 100 millions d’euros prévoit désormais ce type de mécanisme.
Dès lors, les acquéreurs doivent s’assurer de la qualité de leurs audits pour conforter l’assureur. Lorsque des risques significatifs sont identifiés, notamment en matière fiscale, il est de plus en plus fréquemment envisagé de souscrire une assurance spécifique, pour autant qu’il ne s’agisse pas de risques exclus par principe.
Quelques tendances observées
L’étude souligne une sensible baisse du recours aux clauses d’ajustement de prix. Environ 44% des opérations prévoyaient une clause de ce type, contre 48% en 2017. Ceci représente une nette différence par rapport à la tendance globale observée ces dernières années.
Parallèlement, on observe un recours accru aux clauses de locked box. 59% des opérations ont eu recours au mécanisme de locked box en 2018, soit une hausse importante par rapport aux 49% enregistrés en 2017.
Enfin, les clauses d’earn-out continuent de susciter un intérêt croissant notamment dans le small et mid cap. Le recours aux clauses d’earn-out a connu une hausse continue. En 2018, un quart des opérations small et mid cap en Europe contenait des clauses d’earn-out avec une référence dans 39% des opérations à l’EBIT/EBITDA.
Différences régionales
Dans les pays de langue allemande, le recours aux ajustements de prix a baissé en 2018, de 39% à 31%, ce qui est également en dessous de la moyenne européenne. L’emploi de ces clauses concerne respectivement 73% et 69% des transactions, contre 65% et 66% en 2017, ce qui rapproche plus que jamais ces pays de la moyenne européenne.
Le caractère exonératoire de la Data Room reste moins courant en Europe méridionale. Seulement 7% des opérations réalisées dans cette région prévoient une telle disposition, contre 74% pour le Benelux et 61% pour le Royaume-Uni.
C’est en Europe centrale et orientale que le recours aux MAC (Material Adverse Change) clauses (en hausse cette année) et aux clauses d’arbitrage est le plus fréquent.
En comparaison avec les résultats de l’étude européenne, les dispositions contractuelles des transactions aux États-Unis sont globalement plus favorables aux acquéreurs avec des clauses d’ajustement de prix prévues dans 86% des transactions et des MAC clauses presque systématiques, alors que les opérations européennes n’y recourent que dans 14% des opérations. Par ailleurs, les acquéreurs américains réussissent bien plus souvent à négocier une retenue du prix de cession pour sécuriser la mise en œuvre des engagements d’indemnisation du vendeur. Les assurances de garantie de passif ont, tout comme en Europe, connu une croissance significative aux Etats-Unis au cours des dernières années. A cet égard, l’étude CMS s’appuie sur les résultats publiés par l’American Bar Association (ABA), qui analyse pour la première fois le recours aux assurances de garantie de passif dans les opérations sur le territoire américain pour 2016 et le premier semestre 2017. A titre de comparaison, on observe que 29% des contrats américains prévoyaient l’utilisation de ce type d’assurance, contre 17% dans l’ensemble de l’Europe, avec toutefois des différences notables en fonction des juridictions traduisant des marchés plus ou moins matures dans ce secteur. Ainsi, au Royaume-Uni, 31% des transactions étudiées prévoyaient des assurances de garantie de passif.
Dernier exemple illustrant ce contraste entre les pratiques usuelles dans les opérations conclues outre-Atlantique et celles négociées en Europe : les clauses restrictives. Pour prendre un exemple, il n’est pas inhabituel aux États-Unis d’observer des clauses de non-concurrence sur une période de cinq ans. Or, des engagements aussi longs sont rarement admis en Europe, certaines juridictions préconisant de surcroît qu’une compensation soit stipulée en contrepartie d’une telle clause. En Europe, la durée des clauses restrictives n’est généralement pas supérieure à trois ans.
« »Méthodologie de l’étude » : Ces conclusions ont été publiées par CMS dans la 11e édition de son étude annuelle sur les fusions-acquisitions en Europe, une analyse pluriannuelle des principales dispositions légales des accords relatifs aux fusions-acquisitions. Cette étude est la plus exhaustive de sa catégorie et repose sur une base de données exclusive comportant plus de 4 000 opérations sur une période de 12 ans.
Note
1 CMS European M&A Study 2019 – Plus d’infos sur : cms.law/int/M-A-Study-2019
Auteurs
Alexandra Rhomert, avocat associé, corporate/fusions & acquisitions
Jean-Robert Bousquet, avocat associé, Coporate/Fusions & Acquistions
Entre tentation et hésitation : une année en suspens pour le M&A européen – Article paru dans le magazine Option Droit & Affaires le 2 mai 2019
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