Eoliennes en mer : les impacts en droit social de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables
15 mars 2023
Dans l’urgence de la crise énergétique provoquée par les conséquences géopolitiques de la guerre en Ukraine sur les circuits d’approvisionnement des produits énergétiques fossiles, pétroliers et gaz naturel, l’Europe est contrainte de diversifier ses sources de production et d’approvisionnement, notamment en misant à court terme sur la relance du nucléaire pour répondre rapidement à ses besoins énergétiques.
Conscients que seule une transition écologique permettra d’être moins dépendants des énergies fossiles et de lutter contre le changement climatique, les Etats européens investissent fortement dans les énergies renouvelables, telles que l’éolien, le photovoltaïque ou la méthanisation. En particulier, en France, ce sont actuellement 17 projets éoliens en mer qui sont en développement, avec un objectif annoncé de 50 au total d’ici 2050.
Dans ce contexte, la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables dont le titre III concerne le développement de l’éolien en mer et qui comporte une partie ayant des impacts importants en droit social a été publiée au Journal officiel le 11 mars 2023.
En particulier, l’article 64 de la loi adapte le régime juridique applicable aux personnels non-gens de mer, que sont les ouvriers, techniciens ou ingénieurs affectés à des activités d’exploration ou d’exploitation liées aux ouvrages ou installations en mer, et harmonise les règles de réserve de pavillon et de lutte contre le dumping social.
1. Le régime juridique applicable aux personnels non-gens de mer
1.1. Assouplissement concernant l’aménagement du temps de travail des personnels non-gens de mer
La construction, l’entretien et la maintenance des parcs éoliens en mer nécessitent l’intervention de personnel recouvrant la qualification de «gens de mer marins» (1), «gens de mer autres que marins» (2) ou «non-gens de mer» (3).
Les équipes techniques spécialisées travaillant sur les éoliennes en mer sont susceptibles de relever de la catégorie des non-gens de mer.
Pour tenir compte de la continuité des activités exercées en mer, des contraintes portuaires ou de la sauvegarde du navire ou des installations et équipements en mer, l’organisation du temps de travail de ce personnel permet d’organiser par accord d’entreprise ou d’établissement, la répartition de la durée du travail sur une période de deux semaines de travail consécutives suivies de deux semaines de repos consécutives (C. transports, art. L.5544-1-1)
Les nouvelles dispositions intègrent les enjeux juridiques et opérationnels remontés à l’administration par les acteurs du secteur et assouplissent les modalités de répartition de la durée du travail sur des cycles de travail qui peuvent désormais être inférieurs à deux semaines. Cette limite reste toutefois un maximum.
Le législateur n’a finalement pas retenu l’extension de ces cycles de travail à 4 semaines que prévoyait l’avant-projet de loi.
Pour autant, en vertu du Code des transports, pour les gens de mer et les salariés non-gens de mer relevant de l’article L.5541-1-1, le repos hebdomadaire peut être reporté dans la limite d’un délai de 6 semaines et lorsqu’un accord collectif le prévoit, ce report peut atteindre la durée de l’embarquement sans pouvoir excéder 6 mois (4).
1.2. Aménagement concernant la durée du travail applicable aux personnels travaillant alternativement en mer et à terre
En principe, le Code des transports a vocation à s’appliquer aux salariés en mer, tandis que le Code du travail s’applique à l’occasion de tout travail réalisé à terre.
Le développement des éoliennes en mer présente une difficulté juridique lorsqu’un salarié travaille alternativement en mer et à terre. En effet, les deux régimes sont alors susceptibles de s’appliquer, alors même qu’il est impossible d’appliquer deux durées de travail hebdomadaires ou annuelles différentes.
Selon le Code des transports, les salariés travaillant en mer peuvent bénéficier d’une organisation du travail par cycle de 2 semaines et travailler jusqu’à 14 heures par jour ou 72 heures par période de 7 jours (5) et le repos hebdomadaire peut être reporté, alors qu’en application du Code du travail, la durée maximum de travail est de 10 heures par jour et de 48 heures par semaine, avec un repos hebdomadaire obligatoire, en principe le dimanche.
Aussi, il était nécessaire de déterminer le régime de droit du travail applicable aux personnels travaillant alternativement en mer et à terre.
L’article 64 de la loi prévoit à présent l’application du régime du Code des transports s’agissant de la durée de travail aux personnels non-gens de mer dès lors qu’ils réalisent au moins la moitié de leur temps de travail en mer.
Cette extension était attendue en ce qu’elle répond aux besoins de la filière tant pour la phase de construction que pour les périodes de maintenance des parcs éoliens en cours d’exploitation.
En revanche, on ne peut que regretter que ces nouvelles dispositions ne traitent pas la situation spécifique des salariés qui travaillent principalement à terre mais doivent encadrer des salariés effectuant des travaux en mer. En effet, il aurait été opportun d’assurer une stabilité des interlocuteurs entre les équipes onshore et offshore.
De même, la loi n’apporte pas de réponse claire ni de cadre juridique précis s’agissant de la possibilité de faire bénéficier ces salariés d’un forfait annuel en jours.
En effet le dispositif d’aménagement du temps de travail prévu par l’article L.5541-1-1 du Code des transports n’est pas exclusif du recours à d’autres modes d’aménagement du temps de travail en application des dispositions du Code du travail. Par conséquent, des forfaits jours pourraient être conclus, sous réserve du respect des conditions légales.
Une incertitude persiste néanmoins quant à la mise en œuvre d’un tel forfait pour les salariés qui exercent en partie leur activité en mer.
En effet, le recours au forfait est contestable pour ces salariés dès lors que leur dépendance au planning du navire pour se rendre en mer et se déplacer sur le parc éolien ne leur laisse que très peu autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. On peut donc s’interroger sur la possibilité et l’articulation d’un tel forfait pour ces salariés qui travaillent également en partie à terre.
2. Les règles de réserve de pavillon et la lutte contre le dumping social
2.1. Application d’une réserve de pavillon et instauration de la règle de « port base »
La construction et l’exploitation de parcs éoliens en mer impliquent le transport de personnels et de matériels entre les bases portuaires et les installations, et entre les installations elles-mêmes.
Afin de favoriser les projets d’investissement des opérateurs français ou communautaires en matière d’approvisionnement offshore dans les eaux sous souveraineté ou juridiction française, la loi dans sa version finale :
-
- réserve aux navires battant pavillon de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen la charge des trajets entre un port et une île artificielle située en mer territoriale (6) ou entre des îles artificielles pour les opérations de maintenance courante (hors des phases de travaux et maintenance lourde) ;
-
- prévoit que les bases portuaires utilisées au départ ou à l’arrivée de ces trajets à destination d’installations en mer territoriale et en zone économique exclusive françaises doivent être situées dans le territoire d’un État membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen.
Un décret précisant les conditions d’application de ces dispositions est prévu.
L’uniformisation des réserves de pavillon et la création d’une règle de «port base» devrait égaliser les conditions de concurrence pour cette activité et contribuer à la localisation en France de la chaîne de valeur et à l’acquisition d’une capacité autonome d’exploiter les énergies renouvelables en mer.
2.2. Extension du champ d’application du dispositif de l’Etat d’accueil
La loi applicable aux navires dépend de leur pavillon. Ainsi, le droit français s’applique aux navires battant pavillon français, tandis qu’à bord des navires battant pavillon français autre que 1er registre ou pavillon étranger, les salariés ne sont pas soumis en totalité au droit français. Seul un socle social minimum défini dans le cadre du dispositif dit de «l’Etat d’accueil» s’impose dans le but de lutter contre le dumping social.
En effet, ce dispositif d’Etat d’accueil permet aux autorités de garantir l’application de règles uniformes en matière de droit du travail, d’effectifs minimaux, de rémunération minimale et de protection sociale à bord des navires pratiquant le cabotage maritime ou réalisant une prestation de service dans les eaux territoriales ou intérieures françaises.
Anticipant le développement de projets situés en zone économique exclusive au cours des prochaines années, la nouvelle loi étend l’application du dispositif de l’Etat d’accueil à cette zone afin de garantir des conditions de concurrence équitables aux armateurs français.
Ainsi, l’article L.5561-1 du Code des transports qui fixe le champ d’application des conditions sociales du pays d’accueil, notamment, jusqu’alors, aux navires utilisés pour fournir une prestation réalisée à titre principal dans les eaux territoriales ou intérieures françaises, est complété pour inclure les navires «utilisés pour toute activité de prestation de service exercée sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive en vue de la construction, de l’installation, de la maintenance et de l’exploitation d’installations relatives à la production d’énergie renouvelable en mer».
En conséquence, le socle minimal de dispositions légales françaises devrait trouver à s’appliquer à tous les navires étrangers utilisés sur les projets de production d’énergie renouvelable dans les eaux sous souveraineté ou juridiction française.
En conclusion, la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables permet de sécuriser les conditions de travail des personnels en envisageant les spécificités du travail à en mer. Toutefois, un certain nombre d’interrogations demeurent et certains acteurs espéraient davantage de cette loi.
L’urgence énergétique dans laquelle se trouvent l’Europe et la France justifie que cette loi ait été adoptée relativement rapidement pour permettre et faciliter le développement de l’éolien en mer sur de nouvelles zones. Compte tenu des incertitudes persistantes sur le régime des non-gens de mer, il serait néanmoins opportun que de nouvelles discussions soient menées sur ces sujets dans un avenir très proche.
Maïté OLLIVIER, Avocat associé et Maud ROZENEK, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Personnels affectés à l’exploitation du navire c’est-à -dire aux activités professionnelles relatives à la marche, à la conduite, à l’entretien ainsi qu’aux activités nécessaires pour assurer l’ensemble des fonctionnalités du navire (art. L. 5000-2 du Code des transports)
(2) Toutes personnes salariées ou non salariées exerçant à bord d’un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit (art. L. 5511-1 et R. 5511-2 du Code des transports)
(3) Les personnels listés à l’article R.5511-5 du Code des transports et les personnels non marins, dont la durée d’embarquement est inférieure à 45 jours continus ou non sur une période de 6 mois consécutifs.
(4) Article L.5544-18 du Code des transports et article 1 du décret n° 2007-1843 du 26 décembre 2007
(5) Article L.5544-4 du Code des transports
(6) Jusqu’à maintenant, il existait une réserve de pavillon pour les transports entre ports français ou vers les installations offshores situées en zone économique exclusive ou sur le plateau continental, mais aucune pour les installations en mer territoriale (article 37 de l’ordonnance n°2016-1687 du 8 décembre 2016 et article 257 du Code de douanes)
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