Etat des lieux des obligations de vigilance du donneur d’ordre en matière de détachement transnational
19 mai 2022
Les obligations de vigilance du donneur d’ordre s’imposent notamment aux situations de détachement et s’inscrivent dans le cadre de la prévention du travail dissimulé et de l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière.
En effet, en tant que donneur d’ordre, l’entreprise française qui a recours à un prestataire, notamment établi à l’étranger, pour réaliser un service sur le territoire national doit réaliser plusieurs contrôles auprès de ses contractants, à la signature du contrat puis tous les six mois, lorsque la prestation de service effectuée représente un montant de 5.000 € hors taxe (1).
Dans un arrêt du 11 février 2022, le Conseil d’Etat a rappelé les obligations de vigilance du donneur d’ordre en matière de détachement de salariés et a apporté une précision quant aux sanctions susceptibles d’être encourues en cas de non-respect de ces obligations (2).
Cet arrêt donne l’occasion de réaliser un état des lieux des obligations du donneur d’ordre et des sanctions encourues spécifiquement dans le cadre du détachement transnational.
Le cadre du détachement transnational de salariés
Cette situation concerne un employeur établi hors de France qui détache des salariés en France dans le cadre d’une prestation de services, d’une mise à disposition à but non lucratif ou pour compte propre (3).
En particulier, le détachement transnational correspond aux situations suivantes :
-
- Dans le cadre d’un contrat de prestation de services pour le compte de l’employeur et sous sa direction,
-
- Dans le cadre d’une mise à disposition intragroupe dans le respect également des dispositions de l’article L. 8241-2 du Code du travail,
-
- Dans le cadre de la mise à disposition de salariés intérimaires.
Pour être valables, ces situations de détachement transnational doivent respecter plusieurs conditions :
-
- L’employeur doit être régulièrement établi dans son Etat d’origine et y justifier une activité significative, stable et continue (4),
-
- Le salarié détaché doit travailler habituellement pour le compte de l’employeur établi à l’étranger,
-
- La relation de travail doit être maintenue entre le salarié et son employeur pendant la durée du détachement,
-
- Le détachement doit être temporaire, de sorte que le salarié reprend son activité au sein de son entreprise d’origine à l’issue de sa mission.
Les obligations déclaratives et de vigilance imposées aux entreprises impliquées dans une opération de détachement transnational
Quel que soit le montant de la prestation effectuée en France, toute société établie à l’étranger qui détache son personnel sur le territoire français doit (5) :
-
- Effectuer une déclaration de détachement sur le téléservice « SIPSI » du ministère du travail (déclaration SIPSI), préalablement au détachement, qui est transmise à l’inspection du travail du lieu où débute la prestation,
-
- Désigner un représentant de l’entreprise en France (en pratique cela est effectué à l’occasion de la déclaration SIPSI).
Notons que les détachements pour compte propre et les activités listées dans l’arrêté du 4 juin 2019 ne sont pas soumis à l’obligation de déclaration préalable de détachement (6).
Au titre de son obligation de vigilance, le donneur d’ordre doit s’assurer que le prestataire étranger qui détache des salariés en France a effectué ces démarches obligatoires en se faisant remettre, avant le début de chaque détachement (7) :
-
-  L’accusé de réception de la déclaration SIPSI (8) ;
-
- Une attestation sur l’honneur certifiant que le cocontractant s’est, le cas échéant, acquitté du paiement des amendes administratives dont il a fait l’objet / reçues. Cette attestation comporte les nom, prénoms, raison sociale du cocontractant et la signature de son représentant légal.
Il est important de relever que cette obligation de remise de l’accusé de réception de la déclaration SIPSI s’applique à toute la chaîne de sous-traitance, de sorte que le donneur d’ordre doit également vérifier que les sous-traitants indirects étrangers (et le cas échéant, l’entreprise de travail temporaire) ont procédé à ces déclarations (9).
En effet, l’article L. 1262-4-1 du Code du travail fait expressément référence à la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance qui impose à tout entrepreneur de faire accepter chacun de ses sous-traitants et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage.
Rappelons également qu’au-delà de la remise de ces documents, le donneur d’ordre est tenu de s’assurer de la cohérence des informations reçues.
En effet, dans un arrêt du 30 janvier 2020, le juge administratif a précisé que si l’obligation de vigilance n’implique pas que le donneur d’ordre procède à une vérification détaillée du contenu des documents transmis par le prestataire (laquelle relève de l’administration), il doit, en revanche, prêter attention aux omissions ou incohérences manifestes (10).
Selon l’administration, est par exemple susceptible d’être sanctionné, tout donneur d’ordre ne réagissant pas face une déclaration de détachement faisant état de 3 salariés détachés alors qu’un effectif de 10 salariés serait effectivement détaché dans les locaux ou sur le chantier, ou encore en l’absence de désignation de représentant en France.
A défaut de recevoir l’attestation SIPSI précitée, le donneur d’ordre doit, dans les 48 heures à compter du début du détachement, adresser lui-même une déclaration à l’inspection du travail via le téléservice SIPSI.
Les précisions du Conseil d’Etat sur les sanctions encourues en cas manquement aux obligations de vigilance dans le cadre du détachement transnational
En complément des sanctions encourues en cas de travail dissimulé ou travail illégal (peines d’amende et d’emprisonnement), des sanctions spécifiques liées à la procédure de détachement sont prévues.
Ainsi, à défaut de réception de la déclaration SIPSI subsidiaire faite par le donneur d’ordre à l’issue du délai de 48 heures à compter du début du détachement, la Dreets, peut ordonner, par décision motivée, en fonction de la gravité du manquement, et après avoir invité l’employeur à présenter ses observations, la suspension de la réalisation de la prestation de services pour une durée ne pouvant excéder un mois (11).
Cette sanction peut en outre se cumuler avec une amende administrative.
En effet, à défaut de procéder aux vérifications requises, le donneur d’ordre encourt une amende d’au plus 4000 euros par salarié détaché (8 000 euros en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende), dans la limite de 500000 euros(12).
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat a toutefois précisé que le fait de s’assurer du dépôt, par son prestataire, de (i) la déclaration préalable au détachement et (ii) de la désignation d’un représentant en France constitue, pour le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, une seule et même obligation, de sorte que s’il n’a pas satisfait à l’une et/ou l’autre composante de l’obligation de vigilance qui lui incombe, il est passible d’une seule amende administrative fixée en fonction du nombre de salariés détachés.
Cette position diffère de celle qui a été retenue par la Direction générale du travail en cas de manquement de l’employeur à ses obligations, qui considère qu’il y a lieu d’appliquer deux amendes administratives distinctes (13).
Tout donneur d’ordre est ainsi soumis à des obligations de vigilance particulières dès lors que ses contractants ou sous-traitants indirects détachent des salariés étrangers sur le territoire français.
Au-delà de ces obligations d’ordre administratif, le donneur d’ordre doit impérativement attirer l’attention de ses contractants étrangers sur la nécessité de respecter à l’égard de leurs salariés les normes impératives fixées par le droit Français pour la durée de leur mission, sous peine de sanctions (notamment suspension du détachement en cas de manquement au « noyau dur », solidarité financière en cas de non-respect du SMIC ou salaire minimum conventionnel, sanctions pénales pour travail dissimulé, etc.).
Cet article a été rédigé avec la participation de Maud Rozenek.
(1) C. trav., art. L. 8222-1, L.8254-1, R. 8222-1 et R. 8254-1
(2) CE, 11 févr. 2022, n°440808
(3) C. trav., art. L. 1262-1 et L. 1262-2. Le détachement pour compte propre correspond par exemple à l’envoie de salariés d’une entreprise située à l’étranger à destination d’un établissement français du groupe à des fins de formation, participation à des évènements (séminaires, colloques, réunions internes…), actions de représentation ou encore à l’envoie de salariés en France afin d’effectuer le transport et la livraison des produits de la société (Instruction n°DGT/RT1/2021 du 19 janvier 2021 relative au détachement international de salariés en France)
(4)L’employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement transnational lorsque l’activité qu’il exerce dans l’Etat étranger dans lequel il est établi relève uniquement de la gestion interne ou administrative ou lorsque son activité est réalisée en France de façon stable, habituelle et continue
(5) C. trav., art. L. 1262-2-1
(6) Il s’agit des prestations et opérations de courte durée ou dans le cadre d’évènements ponctuels tels que les artistes, dans les domaines du spectacle vivant, ou sportifs dont la prestation ne dépasse pas quatre-vingt-dix jours sur douze mois consécutifs, les apprentis en mobilité, les colloques dispensées, à titre occasionnel, par des professeurs et chercheurs invités.
(7) C. trav., art. L. 1262-4-1 et R. 1263-12 et s.
(8) Relevons que le décret n° 2019-555 du 4 juin 2019 « portant diverses dispositions relatives au détachement de travailleurs au renforcement de la lutte contre le travail illégal » entré en vigueur le 1er juillet 2019 a substitué les termes « accusé de réception » à « copie ».
(9) C. trav., art. L.1262-4-1, II.
(10) CAA Lyon 30 janvier 2020, n°19LY00557
(11) C. trav., art. L. 1262-4-1, L. 1263-4-1 et R. 1263-11-3
(12) C. trav., art. L. 1264-2 et L. 1264-3
(13) Instruction n°DGT/RT1/2021 du 19 janvier 2021 relative au détachement international de salariés en France
Article précédent
Validité de l’accord collectif portant PSE : l’administration doit contrôler les critères de représentativité du syndicat signataire
Article suivant
Nouvelle convention collective de la métallurgie : quelles nouveautés en matière de période d’essai, préavis et délégation de pouvoirs ? (Episode 5)
A lire également
Eoliennes en mer : les impacts en droit social de la loi relative à l’accélÃ... 15 mars 2023 | Pascaline Neymond
Loi Travail : la réforme des procédures d’inaptitude... 13 septembre 2016 | CMS FL
La série judiciaire du co-emploi dans un groupe de sociétés continue... 2 novembre 2016 | CMS FL
Egalité professionnelle : quelle articulation des différentes obligations de n... 15 avril 2015 | CMS FL
Nouvelle convention collective de la métallurgie : quelles nouveautés en matiÃ... 2 mai 2022 | Pascaline Neymond
Portée de l’obligation de conseil du commissionnaire... 20 avril 2017 | CMS FL
L’indemnité perçue par le bailleur d’un locataire qui a illégalement pour... 25 juillet 2018 | CMS FL
L’impact potentiel de l’élection d’Emmanuel Macron sur le secteur du M... 5 octobre 2017 | CMS FL
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable