Evaluation de titres de sociétés immobilières : la décote pour fiscalité latente enfin reconnue
Le 26 février 2016, le Conseil d’Etat a admis (n° 382350, SA KLE1 ; n°382364 SA Klepierre) que la valeur vénale de titres de sociétés immobilières peut intégrer une décote pour fiscalité latente, dès lors que celle-ci résulte d’une pratique de marché.
Saisie sur renvoi, la cour administrative d’appel de Versailles (arrêts n°1600721 et 22 du 15 novembre 2016) confirme que cette décote participe effectivement du jeu normal de l’offre et de la demande qui s’opère pour la fixation du prix de cession de titres de « foncières ». Cette avancée jurisprudentielle est bienvenue à deux égards: le juge administratif reconnaît enfin l’existence d’une décote pour fiscalité latente pourtant courante sur le marché de l’immobilier professionnel et se refuse, d’autre part, à faire émerger une notion autonome de la valeur vénale pour les besoins de l’imposition spécifique visée à l’article 208 C du Code général des impôts (CGI).
Prise en compte d’une décote pour fiscalité latente dans l’évaluation des sociétés foncières
Cette décote trouve son fondement dans l’existence d’un passif fiscal latent, à raison des plus-values latentes grevant les actifs immobiliers de la société à la date de l’évaluation de ses titres. Les acquéreurs des titres d’une telle société considèrent en effet qu’ils seront amenés à supporter ce passif fiscal en cas de cession ultérieure des immeubles par la société, alors même qu’ils ne disposent pas de la possibilité d’amortir le prix d’acquisition des titres représentatifs des biens immobiliers acquis.
L’Administration refuse toutefois cette décote (excepté pour les sociétés marchand de biens, de promotion immobilière ou de construction-vente) au motif que l’activité d’une foncière n’est pas de céder ses actifs et qu’aucune décote représentative d’une charge fiscale latente sur des actifs destinés à être conservés ne serait donc justifiée.
Cette position de principe (au demeurant contradictoire à celle exprimée dans le guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés au regard des sociétés patrimoniales) est écartée par la Cour au vu des éléments concrets fournis par le contribuable (statistiques de marché, transactions réelles) qui établissent sans ambiguïté la pratique de « décote sur actif net réévalué (ANR) » sur les titres de foncières au titre des années concernées.
Il n’y a donc pas lieu d’opérer une quelconque distinction en matière d’évaluation de sociétés immobilières selon la nature de l’activité poursuivie, si le marché ne l’opère pas lui-même.
Consécration de l’unicité de la notion de valeur vénale
Cette affaire a également été l’occasion de rejeter la distinction, tout aussi peu opportune, entre cession et cessation d’entreprise, le juge administratif se refusant à faire émerger une notion fluctuante de la valeur vénale en fonction du fait générateur de l’impôt.
L’Administration soutenait en effet que la valeur vénale à retenir pour le calcul des plus-values latentes sur titres de filiales immobilières, rendues immédiatement imposables en cas d’option pour le régime des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), prévu à l’article 208 C du CGI, ne pouvait pas être appréciée comme en cas de cession, dans la mesure où l’option pour ce régime s’inscrit dans une logique de conservation du patrimoine.
Le Conseil d’Etat sanctionne cette approche, dès lors que le régime susvisé ne renvoie à aucune acception particulière et autonome de la valeur vénale des éléments d’actifs dont une société est propriétaire au jour de son option pour le régime SIIC.
Cette valeur vénale ne peut être différente de celle retenue transversalement pour l’application de toutes les dispositions du CGI et unanimement reprise par la jurisprudence, qui désigne la valeur pour laquelle un bien est susceptible d’être acquis ou cédé sur le marché, au jour du fait générateur de l’impôt.
Auteur
Anne-Sophie Rostaing, avocat associé en fiscalité