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Extension de la jurisprudence «Raffypack» aux opérations d’apport de titres à valeur minorée : quel impact pour les groupes intégrés ?

Extension de la jurisprudence «Raffypack» aux opérations d’apport de titres à valeur minorée : quel impact pour les groupes intégrés ?

En posant pour principe l’imposition du bénéficiaire d’un apport en nature à valeur minorée, le Conseil d’Etat invite à s’interroger sur le traitement de ce type d’opération dans les groupes intégrés.

A l’occasion d’une opération de cession, lorsque le prix d’acquisition d’un bien a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité consentie par le vendeur à l’acquéreur, l’administration fiscale est en droit, sur le fondement des articles 38, 2 du CGI et 38 quinquies de l’annexe III à ce code, de corriger la valeur d’origine de ce bien pour y substituer sa valeur vénale, et d’imposer l’entreprise acquéreuse à concurrence de l’augmentation d’actif net ainsi constatée.

Ce principe a été retenu par le Conseil d’Etat dans une décision « Raffypack » du 5 janvier 20051, dans l’hypothèse où les parties à l’opération de cession appartenaient au même groupe familial. Le Conseil d’Etat avait alors jugé qu’il existait une communauté d’intérêt entre les parties, justifiant que l’écart entre la valeur vénale et la valeur d’acquisition soit regardé comme une libéralité volontairement consentie à la société acquéreuse.

Dans une décision de plénière fiscale du 9 mai 20182, le Conseil d’Etat étend les principes issus de la jurisprudence « Raffypack » aux opérations d’apport à une valeur minorée (1). Cet arrêt présente des enjeux importants notamment pour les groupes intégrés réalisant ce type d’opération (2).

1. Les apports à une valeur minorée peuvent être rectifiés lorsque l’intention libérale des parties est démontrée par l’administration fiscale.

Dans l’affaire jugée le 9 mai 2018, l’administration fiscale avait remis en cause la valeur d’apport des titres d’une société qui avait été réalisé au profit d’une autre société, dans le cadre d’une restructuration globale visant à assurer une transmission d’entreprise au sein d’un groupe familial. Elle avait procédé à sa propre évaluation des titres et considéré que l’écart constaté qualifiait une libéralité. Elle avait en conséquence redressé la société bénéficiaire de l’apport à due concurrence.

La société redressée contestait notamment la qualification de libéralité. Elle soutenait que les parties à l’opération ne subissaient pas d’appauvrissement, dans la mesure où les titres émis en rémunération de cet apport étaient par essence représentatifs de la valeur vénale des titres apportés.

A tout le moins, elle considérait que la minoration de la valeur d’apport ne pouvait être regardée comme constitutive d’une libéralité qu’à concurrence des titres donnant accès au capital détenus par des tiers à l’issue de l’opération.

Cependant, le Conseil d’Etat ne retient pas ces arguments. Il juge que si les opérations d’apport sont, en principe, sans influence sur la détermination du bénéfice imposable, tel n’est toutefois pas le cas lorsque la valeur d’apport des immobilisations a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l’apporteur à l’entreprise bénéficiaire.

Ainsi, lorsqu’une société bénéficie d’un apport pour une valeur minorée, sans que cet écart de valeur ne comporte de contrepartie, l’avantage octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à cette dernière.

Le Conseil d’Etat précise que la preuve d’une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l’administration fiscale lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre la valeur d’apport convenue par les parties et la valeur vénale du bien apporté et, d’autre part, d’une intention, pour l’apporteur d’octroyer, et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de l’apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêt.

Au cas particulier, il relève que la cour administrative d’appel a jugé, par une appréciation souveraine, que l’écart entre la valeur d’apport des titres et leur valeur vénale, de presque 50%, était significatif. Il retient également l’existence d’une présomption d’intention libérale, eu égard aux liens familiaux unissant les actionnaires de la société bénéficiaire et de la société dont les titres avaient été apportés, en relevant que ces actionnaires ne présentaient pas d’élément de nature à renverser la présomption d’intention libérale. On notera pourtant que la jurisprudence traditionnelle admettait l’existence d’une présomption d’intention libérale en considération des liens entre le gratifiant et le gratifié, et non entre les actionnaires du prétendu gratifié.

2. Qu’en est-il des apports réalisés au sein d’un groupe fiscalement intégré ?

Dans une décision du 21 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Paris a également validé le redressement d’un apport de titres à valeur minorée, qui présentait la particularité d’avoir été réalisé au sein d’un groupe fiscalement intégré3.

En l’espèce, une société mère intégrante avait apporté à une de ses filiales intégrées, détenue à 100%, les titres de deux autres filiales intégrées, dont elle détenait également l’intégralité du capital. La parité d’échange de cet apport avait été fixée en fonction de la valeur comptable des titres apportés, et non de leur valeur réelle qui était significativement supérieure.

L’administration fiscale avait alors considéré que la bénéficiaire de l’apport devait être regardée comme ayant bénéficié d’une subvention octroyée par sa société mère à hauteur de l’écart de valeur constaté. Elle avait par conséquent appliqué l’amende de 5%, prévue à l’article 1763 du CGI, pour défaut de déclaration de cette subvention au niveau du groupe fiscal.

La société redressée faisait valoir que l’opération ne procédait pas d’une intention libérale. Elle n’aboutissait en effet à aucun appauvrissement, compte tenu de la contrepartie obtenue par la société mère, qui conservait la totalité des droits sociaux de la société filiale bénéficiaire des apports. La société soutenait également qu’aucune règle comptable n’imposait en pareil cas de calculer la parité d’échange sur la base des valeurs réelles des titres apportés.

La cour administrative d’appel a toutefois considéré que cette argumentation était inopérante pour contester la qualification de subvention et l’application corrélative de l’amende de 5% pour défaut de déclaration dans le cadre d’un groupe intégré.

Selon la cour, seule importe l’existence d’un écart significatif entre la valeur réelle des titres apportés et leur valeur d’apport. L’absence de libéralité, constitutive d’un acte anormal de gestion, n’est pas de nature à priver ledit avantage de son caractère de subvention.

Au soutien de cette position, le rapporteur public s’est référé à une décision « Sté Pinault Printemps Redoute », antérieurement rendue par le Conseil d’Etat4, dans le cadre de laquelle il a été jugé que l’obligation de déclarer les subventions avait pour objet de permettre à l’administration fiscale de suivre les mouvements financiers à l’intérieur du groupe, quelle que soit leur incidence sur le résultat individuel des sociétés du groupe ou sur le résultat d’ensemble.

Dans ses conclusions rendues sous la décision « Sté Pinault Printemps Redoute », le rapporteur public avait d’ailleurs relevé que le fait que la subvention soit déductible ou non du résultat fiscal n’avait pas d’impact sur l’application de cette amende. Seul son taux était susceptible d’être modifié, pour être ramené à 1% lorsque les sommes concernées présentaient un caractère déductible.

Il convient cependant de se demander si la nécessité de suivre les mouvements financiers au sein d’un groupe fiscal qui justifie la déclaration des subventions et, à défaut, l’application de l’amende prévue à l’article 1763 du CGI, trouve à s’appliquer dans l’hypothèse d’un apport.

Dans la décision « Sté Pinault Printemps Redoute » il était question d’une cession de créance caractérisant effectivement un mouvement financier au sein du groupe. Or, dans le cadre d’un apport, qui, même réalisé à valeur minorée, n’entraine aucun appauvrissement de la société apporteuse au profit de la société bénéficiaire de l’apport, doit-on, de la même façon, considérer que cette opération traduit un mouvement financier et plus spécifiquement l’octroi d’une subvention ? Il appartiendra au Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi en cassation, de répondre à cette question.

L’approche retenue par la cour administrative d’appel apparaît, en tout état de cause, sévère dès lors qu’elle permet à l’administration fiscale d’appliquer l’amende prévue à l’article 1763 du CGI dans l’hypothèse d’un apport à prix minoré, sans avoir à apporter la preuve d’une intention libérale.

Même réduite à 1%, l’application de cette amende peut en effet s’avérer extrêmement pénalisante pour les groupes intégrés potentiellement concernés. Elle apparait d’autant moins justifiée dans l’hypothèse d’un apport, dès lors que le simple fait de retenir une valeur d’apport inférieure à la valeur vénale n’entraine pas de transfert de richesse de la société apporteuse au profit de la société bénéficiaire susceptible de léser le Trésor.

Notes

1 CE 5 janvier 2005 n°254556, 3e et 8e s.-s., min. c/ Sté Raffypack
2 CE 9 mai 2018 n°387071, plén., min. c/ Sté Cérès
3 CAA Paris 21 décembre 2017 n°17PA01635, Sté Lafarge SA
4 CE 10 février 2014 n°356125, Sté Pinault Printemps Redoute

 

Auteurs

Nicolas Riou, avocat counsel, droit fiscal.

Sandy Boverie, avocat, droit fiscal

 

Extension de la jurisprudence « Raffypack » aux opérations d’apport de titres à valeur minorée : quel impact pour les groupes intégrés ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 14 mai 2018