Facebook au travail : quand les conversations privées «Messenger» fondent le licenciement disciplinaire
4 avril 2018
La cour d’appel de Toulouse a jugé le 2 février 2018 que des propos injurieux tenus par un salarié à l’encontre de son employeur sur sa messagerie privée Facebook « Messenger »1, dont le contenu est volontairement laissé à la vue de tous, peuvent justifier son licenciement pour faute grave (CA Toulouse, 2 février 2018, n°16/04882).
Publications sur les réseaux sociaux : sphère privée et sphère publique, une frontière difficilement délimitable
Dès 2013, la Cour de cassation avait eu à se prononcer sur l’épineuse question du caractère public ou privé des publications sur les réseaux sociaux. La Cour avait alors ainsi affirmé que ne relevaient pas de l’espace public, les propos tenus sur un « mur » Facebook2 (Cass. 1re civ., 10 avril 2013, n°11-19.530).
Autrement dit, les propos tenus sur un « mur » Facebook sont, en principe, présumés privés et ne peuvent faire l’objet de poursuites pour diffamation ou injures publiques.
Par conséquent, en cas de contentieux impliquant des propos injurieux qu’un salarié aurait tenu sur ses réseaux sociaux, c’est à l’employeur qu’incombe la charge de la preuve de démontrer le caractère public des messages publiés.
Ainsi, l’employeur peut se prévaloir des termes insultants qu’un salarié tient à son encontre ou à l’encontre de l’entreprise sur son « mur » Facebook, dès lors qu’ils ont été rendus accessibles, aux autres employés visitant son compte, du fait d’un mauvais réglage des paramètres de confidentialité (CA Lyon, 24 mars 2014, n°13-03463).
Cependant, il appartient à l’employeur de respecter les principes de loyauté et de licéité de la preuve. A titre d’exemple, il ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié, accéder à des informations extraites du compte Facebook de ce dernier, à partir du téléphone portable professionnel d’un autre salarié, dès lors que ces informations sont réservées uniquement aux personnes dûment autorisées (Cass. soc., 20 décembre 2017, n°16-19.609).
Quand les propos d’une messagerie privée Facebook sont considérés comme publics
Depuis un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation, les propos échangés via une messagerie privée sont considérés comme couverts par le secret des correspondances (Arrêt Nikon, Cass. soc., 2 octobre 2001, n°99-42.942).
Cette solution s’applique également dans l’hypothèse d’une messagerie intégrée à un réseau social.
Or, la cour d’appel de Toulouse vient, le 2 février dernier, pour la première fois de faire une exception à ce principe concernant le cas d’une salariée licenciée pour faute grave suite aux propos injurieux qu’elle avait tenus sur sa messagerie Facebook (« Messenger »).
Dans cette affaire, la salariée, préparatrice dans un magasin, s’était absentée de son poste, laissant sa messagerie Facebook ouverte à la vue de l’ensemble de ses collègues et des autres personnes présentes dans les locaux de son employeur et sur laquelle elle tenait des propos irrespectueux et outrageants à l’égard de ses collègues et de son employeur.
Ainsi, elle y qualifiait notamment ses collègues de « grosses merdes », sa supérieure de « grosse conne stupide » tout en ajoutant qu’elle « est dégueulasse avec moi mais son entreprise ne va pas aller bien loin » et qu’elle travaillait « avec des grosses brêles ».
Le Conseil des Prud’hommes puis la cour d’appel de Toulouse ont considéré que les agissements de la salariée constituaient une faute grave justifiant son licenciement.
A ce titre, les conseillers n’ont pas manqué de remarquer que les propos tenus par la salariée avaient été laissés délibérément affichés sur l’écran de l’ordinateur de l’entreprise afin qu’ils restent visibles de tous.
Dès lors, la cour d’appel de Toulouse a confirmé que ces propos avaient perdu tout caractère privé, et ce, même si la plupart des messages injurieux avaient été rédigés en dehors du temps de travail.
A notre connaissance et à l’heure actuelle, cette décision n’a pas encore fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
La sphère privée des publications sur Facebook également affaiblie par la remise en cause de la notion d’« amis » par la Cour de cassation
L’année dernière, la Cour de cassation a déjà fragilisé la présomption du caractère privé des publications Facebook lorsqu’elle a remis en cause la notion d’« amis » Facebook (Cass. 2eciv., 5 janvier 2017, n°16-12.394).
La Cour a ainsi considéré que les amitiés Facebook ne sont pour la plupart qu’une mise en relation de deux internautes, les liens d’amitié les unissant n’étant que superficiels, ne correspondant pas à la définition « traditionnelle » du terme « ami » :
« Le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession ».
D’ailleurs, c’est ce qu’avait justement souligné la cour d’appel de Besançon, considérant que le mur Facebook est présumé public compte tenu du fait que « le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroitre de façon exponentielle par application du principe ‘’les contacts de mes contacts deviennent mes contacts’’ » (CA Besançon, 15 novembre 2011, n°10/02642).
Si la chambre sociale de la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur la notion d’« amis » Facebook, il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui chaque utilisateur du réseau peut témoigner de l’irruption massive sur sa page « actualité » Facebook, de publications postées par de parfaits inconnus, lesquelles ne sont d’autres que des actualités, vidéos, ou pages Internet qui ont été « aimées » par des « amis » d’« amis ».
En conséquence, malgré la possibilité de pouvoir paramétrer la confidentialité de son compte Facebook, un salarié doit avoir conscience que les avis exprimés ou les publications postées sur son « mur » peuvent être accessibles à des personnes n’appartenant pas à son « cercle intime d’amis ».
En conclusion, l’évolution jurisprudentielle montre une fragilisation globale du caractère « privé » des propos pouvant être tenus sur les réseaux sociaux, permettant à l’employeur de sanctionner plus aisément l’abus dans la liberté d’expression de ses salariés.
Notes
1 « Messenger » : Système de messagerie instantanée incorporé au réseau social Facebook.
2 « Mur » Facebook : Page internet où sont publiés par le titulaire du compte Facebook les événements et les notifications, ainsi que les commentaires et messages de ses « amis ».
Auteurs
Pierre-Jean Sinibaldi, avocat associé, droit social
Claire Bustany, avocat, droit social
Facebook au travail : quand les conversations privées « Messenger » fondent le licenciement disciplinaire – Article paru dans Les Echos Exécutives le 3 avril 2018
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