La faute inexcusable du transporteur routier de marchandises : une approche très rigoureuse
Par un arrêt du 13 décembre 2016 publié au bulletin, la Cour de cassation prend position pour la première fois sur la notion de faute inexcusable du transporteur (Cass. com., 13 décembre 2016, n°15-16.027). Est inexcusable, selon l’article L.133-8 du Code de commerce, « la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ».
Rappelons que pèse sur le transporteur routier de marchandises une présomption de responsabilité en cas de perte ou d’avarie subie par la marchandise entre sa prise en charge et sa livraison. Il appartient de ce fait au transporteur de rapporter la preuve d’une cause exonératoire de responsabilité (force majeure, vice propre de la chose, faute du destinataire ou du donneur d’ordre). A défaut, pour échapper à cette responsabilité, il lui reste a minima les clauses limitatives de responsabilité prévues par le contrat-type applicable au transport concerné.
Toutefois, s’il a commis une faute inexcusable, le transporteur est responsable de l’intégralité du dommage subi ; d’où l’importance pour un chargeur de pouvoir rapporter la preuve que le transporteur a commis une telle faute qui met hors-jeu les limites de responsabilité, dont celles issues des contrats-types.
En l’espèce, une cargaison de marchandises confiée à un transporteur est volée lors du stationnement du camion sur une aire non surveillée un week-end.
La cour d’appel de Paris conclut à la faute inexcusable et condamne le transporteur à indemniser intégralement l’expéditeur dès lors que ne pouvant accéder au parking de la gendarmerie où il garait habituellement son camion, le transporteur s’est arrêté sur une aire bien moins sûre, changeant de pratique et témoignant ainsi de sa « perception d’un risque délibérément couru ».
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, qui juge les motifs énoncés impropres à caractériser la conscience qu’avait le transporteur qu’un dommage résulterait probablement de son comportement. La « perception d’un risque » n’est donc pas la conscience de la probabilité du dommage. La Haute juridiction mène un raisonnement in concreto pour vérifier si les quatre critères issus de la définition précitée de la faute inexcusable sont remplis. Ainsi, le vol d’une cargaison lors du stationnement du camion sur une aire non surveillée ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable du transporteur.
La cour d’appel d’Amiens a dans un arrêt rendu quelques semaines auparavant également écarté la faute inexcusable dès lors que le transporteur qui s’était fait voler les marchandises dans la nuit n’avait pas conscience de leur valeur car aucune information ne lui avait été communiquée à ce titre et aucune déclaration de valeur n’avait été souscrite. Dès lors, il ne pouvait être retenu aucune faute délibérée qui impliquerait la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. L’absence de commission d’une faute inexcusable a entraîné l’application des règles de limitation de responsabilité (CA Amiens, 18 octobre 2016, n°15/01784).
Ainsi, dans le cadre d’un vol, la Cour d’appel fait de la connaissance de la valeur de l’envoi par le transporteur un élément non négligeable de la détermination de la faute inexcusable de ce dernier.
Ces arrêts attestent une nouvelle fois que la preuve de la faute inexcusable, graal du chargeur qui cherche à être indemnisé de l’intégralité de son préjudice en écartant les clauses limitatives de responsabilité, est bien difficile à rapporter en raison du contrôle rigoureux de ses éléments constitutifs opéré par les juges.
Auteur
Francine Van Doorne, avocat Counsel, spécialisée en droit commercial et droit de la distribution