Fin de partie pour les marques faibles ?
En principe, un signe ne peut être enregistré à titre de marque qu’à la condition d’être distinctif par rapport aux produits et services qu’il désigne (article L.711-2 du Code de propriété intellectuelle). Toutefois, en pratique, certains offices s’abstiennent de vérifier au moment du dépôt que l’exigence de distinctivité est respectée.
Et devant les offices plus sévères, l’adjonction d’une légère stylisation (inclusion d’un discret élément figuratif, inversion d’une lettre, usage d’une police de caractère particulière, etc.) permet généralement aux marques dites « faibles » de passer avec succès l’étape de l’enregistrement.
Tirant parti de cette tolérance, de nombreux acteurs économiques manifestent un penchant pour les marques dites « faibles« , qui adressent au consommateur un message simple et plus ou moins descriptif de l’activité visée.
Cette tendance pourrait bien être infléchie par une décision récente du Tribunal de l’Union européenne (TUE) qui retient une appréciation plus rigoureuse de la distinctivité de ces marques particulières (TUE, 24 novembre 2015, T-190/15).
La société Intervog, titulaire de marques communautaires semi figuratives «  » et « « , notamment pour des services de rencontres, souhaitait poursuivre sa stratégie de protection en déposant la marque « « .
Afin de conférer à son signe le degré de distinctivité requis, la société Intervog dépose la marque en couleur, légèrement calligraphiée et avec un effet miroir entre les deux « e » du terme « meet« . Elle donne ainsi un aspect figuratif à sa marque pour lui permettre d’être suffisamment distinctive afin d’être enregistrée et bénéficier ainsi du monopole d’exploitation attaché au titre. Une telle stratégie de dépôt est classique.
Cependant, contre toute attente, la marque est refusée à l’enregistrement par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) au motif que « cette combinaison de mots indiquait de façon évidente, sans aucune ambiguïté, que les produits et services désignés permettaient aux consommateurs de se rencontrer, de se trouver, de faire connaissance« .
Le Tribunal confirme le refus d’enregistrement en soulignant que la combinaison des mots « meet » et « me » est conforme aux règles syntaxiques habituelles en anglais et que les éléments figuratifs de la marque demandée (la couleur « bleu ciel« , « la calligraphie« , « l’inversion de la deuxième lettre « e » » et « l’absence d’espace entre les éléments verbaux« ) ne lui permettent pas de diverger de la simple perception des éléments verbaux employés (point 30). Le Tribunal en conclut que la marque demandée « ne possède pas d’originalité ou de prégnance, ne nécessite pas un effort, même minimal, d’interprétation ni ne déclenche de processus cognitif auprès du public pertinent, mais se réduit à un simple message promotionnel ordinaire selon lequel les produits ou services visés par la marque demandée permettent aux consommateurs de se rencontrer » (point 31).
Observant que des marques similaires comportant également les éléments verbaux « meet » et « me » et désignant des produits ou des services similaires avaient été enregistrées par l’OHMI, la société Intervog soutenait qu’en vertu du principe d’égalité de traitement, l’OHMI aurait dû « prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens ». Le Tribunal balaie cet argument et juge fermement qu’un déposant ne saurait se prévaloir d’une illégalité éventuelle commise en faveur d’autrui afin d’obtenir une décision identique (point 40).
Cette décision marque une accentuation de la politique de rigueur des juridictions de l’Union. Les déposants de marques vont désormais devoir redoubler de créativité afin de proposer à l’enregistrement des signes suffisamment distinctifs.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Sabine Rigaud, avocat, droit de la propriété intellectuelle