Fiscalité des rachats de titres : horizon dégagé
L’année 2014 a été celle des grandes turbulences dans le domaine des rachats par une société de ses propres titres. Après le coup de tonnerre de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014, qui posa le principe selon lequel toutes les opérations de rachat de titres doivent se voir traiter sous les mêmes auspices, aussi clairs (traitement en plus-value) ou sombres (traitement en revenus mobiliers) soient-ils, est venu le temps de l’incertitude.
C’est finalement le législateur qui est intervenu en décembre dans la loi de finances rectificative pour 2014, en accordant (comme nous l’espérions et l’appelions de nos voeux dans ces colonnes1) à toutes les opérations de rachat de titres par la société émettrice un régime plus-value.
Or, qui dit régime plus-value dit pour un cédant personne physique la possibilité d’appliquer un abattement pour durée de détention allant de 50% (dès deux ans de détention) jusqu’à 65% ou 85% (selon qu’on bénéficie de l’abattement simple ou renforcé) au bout de huit années de détention des titres. En d’autres termes, une opération de rachat de titres qui était en 2014 imposable au taux effectif marginal de l’ordre de 44% peut aujourd’hui être imposable à 32,75% (huit ans de détention et abattement simple), voire 23,75% (huit ans de détention et abattement renforcé). L’opération de rachat de titres devient ainsi fiscalement plus avantageuse qu’une distribution de dividendes dès deux ans de détention révolus (mais la distribution de dividendes, qui bénéficie d’un abattement à 40%, reste plus attractive si ce délai n’est pas respecté).
Pour les cédants personnes morales soumis à l’impôt sur les sociétés, l’équilibre est en principe inversé. En effet, un dividende reçu d’une filiale et bénéficiant du régime mère-fille n’est imposé qu’à hauteur de 5% de son montant alors qu’une plus-value de cession éligible au régime des plus-values à long terme est imposée à hauteur de 12% de son montant.
Mais ce diagnostic général peut se trouver modifié dans certains cas d’intégration fiscale ou lorsque la distribution de dividendes est assujettie à la contribution de 3% sur les distributions, à laquelle échappent désormais les opérations de rachat de titres.
Ce changement de paradigme ouvre, dans le domaine des opérations de private equity, de nouvelles perspectives, tant pour les sponsors que pour les managers, mais également pour la structuration des opérations.
En particulier dans les cas de sortie d’un actionnaire minoritaire, la société émettrice des titres, par exemple la NewCo dans le cadre d’un schéma de LBO, pourra ainsi procéder, dans des conditions fiscales satisfaisantes, à des opérations de réorganisation de son capital ou à des changements dans l’équipe de management sans nécessairement faire intervenir les sponsors comme tiers acquéreur de titres qui ont vocation à être soit annulés soit reclassés.
Compte tenu des nouvelles possibilités ouvertes depuis l’an dernier par le droit des sociétés, la société émettrice peut aussi être en mesure d’assurer la liquidité de ses propres titres dans les groupes non cotés composés d’un actionnariat dispersé, notamment pour permettre la sortie d’un actionnaire familial ou d’un manager ayant reçu des titres dans le cadre d’un plan de stock-options (les titres rachetés pouvant là encore ne pas être annulés mais cédés à d’autres actionnaires).
Enfin, on remarquera avec intérêt que ce nouveau régime vient entériner pour les fonds de private equity soumis au régime fiscal des FPCI (ex-FCPR à procédure allégée) une position déjà adoptée en pratique par l’administration fiscale selon laquelle un rachat de titres doit être traité par le fonds selon le régime fiscal des plus-values de cession, c’est-à-dire en cas de détention par le fonds supérieure à deux ans sans imposition aucune pour un porteur de parts soumis à l’impôt sur les sociétés.
L’avis de brouillard paraît levé : les acteurs du private equity peuvent étudier sereinement
les opportunités offertes par les opérations de rachat de titres qui ont de beaux jours devant elles… pour autant bien entendu que l’on veille à ce qu’elles soient bien engagées dans le strict respect de l’intérêt propre de la société procédant au rachat.
Note
1. A. Hugot, M. Ebrard-Grellety et L. Hepp, «Rachat par une société de ses propres titres : éclaircie juridique et brouillard fiscal» Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity d’octobre 2014
Auteurs
Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité, intervenant tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity
Florian Burnat, avocat, spécialisé en fiscalité, intervenant tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity