La fiscalité locale des locaux d’habitation : comment faire plus archaïque ?
Alors que le débat commence à prendre de l’ampleur sur la suppression de la taxe d’habitation pour 80% d’entre nous, rappelons les archaïsmes sur lesquels repose cette imposition.
Le projet de suppression de la taxe d’habitation : un objectif tenable ?
Depuis les dernières élections, l’annonce présidentielle de supprimer la taxe d’habitation de 80% des ménages suscite des réactions conformes à ce que nous avons l’habitude de constater en matière de fiscalité locale.
L’émoi des élus locaux, qui s’interrogent pour savoir sur qui ils vont pouvoir ponctionner les recettes fiscales nécessaires au financement des dépenses publiques qu’ils décident, n’est que modestement contrebalancé par la satisfaction des ménages concernés par la suppression annoncée, souvent timide car ils n’osent pas toujours y croire.
Les premiers commencent déjà à invoquer l’inconstitutionnalité du dispositif au motif que les collectivités doivent décider seules de pourvoir à leurs dépenses, et que la réforme réduirait trop drastiquement leurs marges de manœuvre. Déjà, cette observation avait fusé lors la réforme de la taxe professionnelle et l’instauration de la CFE (assise sur une base foncière locale) et de la CVAE (calculée avec un taux national sur une valeur ajoutée repartie localement en fonction des effectifs et des immeubles). De plus, tous se demandent comment l’Etat sera en mesure d’assurer les compensations aux collectivités locales qui devront obligatoirement être prévues et financées lors de l’adoption de toute décision étatique d’exonération.
Il ne restera plus aux collectivités locales qu’une base foncière limitée, attribuée aux immeubles édifiés sur leur territoire, pour taxer les contribuables qu’il s’agisse des entreprises ou des personnes physiques, étant rappelé que seules ces dernières sont des électeurs.
Les impôts locaux sur les locaux d’habitation, et les différences selon les immeubles
Alors qu’en 2017 la valeur foncière des locaux professionnels va être réformée, au terme d’une réforme maintes fois repoussée, celle des locaux d’habitation ne cesse de surprendre par son archaïsme.
Les valeurs foncières des logements reposent sur l’application d’un loyer moyen pondéré constaté au 1er janvier 1970 (soit sur la base d’un marché locatif apprécié il y a 47 ans) à une surface pondérée. Outre ce décalage temporel, et au risque de faire sourire, il faut préciser que la surface pondérée est déterminée en ajoutant, à celle de l’habitation, celle des « équivalences superficielles ». Il s’agit d’une surface définie par la loi pour chaque élément de confort que comporte le logement : une majoration de surface s’applique suivant que le logement bénéficie ou pas de l’eau courante, de l’électricité, de lavabos, de toilettes, de baignoires ou de douches, de chauffage par pièce, etc.
Ainsi, l’application de ces équivalences superficielles conduit généralement à rajouter en moyenne 50% de surface aux logements comportant tout le confort moderne pour déterminer celle imposable.
Un sénateur, sans doute satisfait de ce mécanisme, a même proposé très récemment de rajouter les climatisations à la liste des « équivalences superficielles ».
Depuis longtemps, il est parfaitement connu que les logements HLM construits depuis les années 60, donc à une date proche de la révision cadastrale de 1970, sont évalués selon les principes sus évoqués, alors que de nombreux immeubles très anciens, initialement dépourvus de tout confort (ce que les propriétaires successifs ont eu le temps de rectifier au fil du temps), demeurent évalués sans ces améliorations… les propriétaires n’ayant pas été mis dans l’obligation de les déclarer au cadastre dont ils dépendent.
Il est donc courant de constater aujourd’hui, qu’à surface identique, des logements HLM comportent des valeurs foncières imposables bien supérieures à celles de logements occupés par les classes moyennes ou supérieures.
Fort heureusement, diront certains, ces logements HLM bénéficient d’exonérations de taxe foncière de très longue durée accordées à leurs propriétaires, bailleurs sociaux, tandis que leurs occupants, en principe non imposables à l’impôt sur les revenu, se trouvent généralement exonérés de taxe d’habitation.
Cela devrait donc satisfaire l’objectif très souvent invoqué de justice sociale et de solidarité fiscale entre contribuables se trouvant dans des situations différentes.
Sauf qu’aujourd’hui, cette méthode d’évaluation des logements, est source d’une injustice passive.
Les impôts locaux, et les différences géographiques
Il ne faut pas se voiler la face et il faut au contraire accepter de constater que les communes supportant un parc de logements sociaux important sont souvent celles dont les taux d’imposition sont très élevés, faute d’avoir un potentiel fiscal suffisant (la somme des bases foncières de la commune). Les ménages vivant dans ces communes où la mixité sociale est vécue quotidiennement se retrouvent donc surtaxés.
A l’inverse, les communes dites riches ont souvent des taux d’imposition plus faibles et comportent des évaluations foncières historiques, souvent non mises à jour des équivalences superficielles correspondant aux éléments de confort réalisés par les propriétaires de ces logements. Il est difficile de blâmer ces derniers sachant que les changements de caractéristiques physiques (correspondant aux travaux d’améliorations intérieures) ne sont pas obligatoirement déclarables mais doivent être constatés d’office par l’administration fiscale sur demande expresse de sa part.
Le projet d’une imposition plus moderne
Vous l’avez compris, l’objectif de réforme est ambitieux et il ne faut pas croire qu’une révision des valeurs foncières des habitations se déroulera aussi sereinement que celle qui entre en vigueur en 2017 pour les locaux commerciaux.
La prudence doit conduire à ne pas oublier que « fiscalité locale » signifie une taxation au niveau de chaque collectivité locale, appréciée en fonction du parc de logements présents sur son territoire.
Rappelons qu’en 1991, la révision cadastrale initiée à l’époque est tombée aux oubliettes au motif qu’elle portait à la fois sur les locaux professionnels et sur les habitations. Cette réforme entraînait des transferts de charges entre contribuables, derrières lesquels se trouvaient des électeurs, ce qui a effrayé les élus de tous bords.
Imposer les ménages sur une base qui ne serait plus fonction de la valeur foncière des logements mais par exemple d’après leurs revenus serait tentant, mais cela impliquerait de fixer nationalement les conditions de détermination des taux d’imposition. En effet, en laissant aux collectivités locales le soin de fixer le niveau d’imposition en fonction des revenus, il est fort à parier que cela aboutirait à terme à une ghettoïsation de la fiscalité locale. Les ménages dont les revenus sont élevés et donc qui peuvent se le permettre se concentreraient dans les communes où les taux seraient les plus faibles, isolant encore plus les villes accueillant un parc social important.
Il a fallu 7 ans pour arriver à l’entrée en vigueur de la révision des locaux professionnels. Il n’y a pas de doute sur le fait que celle des locaux d’habitation prendra plus de temps.
Auteur
Laurent Chatel, avocat associé en fiscalité, responsable du service impôts locaux