Focus sur le rejet d’une demande en indemnisation pour abus de dépendance économique et déséquilibre significatif
La cour d’appel de Paris a rendu, le 11 avril 2018, un arrêt d’espèce dans une affaire opposant, d’un côté, la société McDonald’s France Services, société qui référence les fournisseurs de denrées alimentaires, négocie les conditions tarifaires et les recommande auprès des franchisés McDonald’s et la société Martin Brower France, société qui achète les produits référencés pour le compte des franchisés McDonald’s et leur livre les produits et, d’un autre côté, la société Keroler, société qui fournissait McDonald’s depuis 1995 en divers produits de pâtisserie dont le McCrispy, les brisures de crumble, le pancake et la « mandise » (CA Paris, 11 avril 2018, n°15/02833).
Entre septembre 2008 et octobre 2012, la société McDonald’s a successivement notifié le déréférencement de ces quatre produits à la société Keroler. Les relations commerciales entre ces deux sociétés ont donc définitivement cessé en octobre 2015.
Le fournisseur éconduit a alors assigné les deux sociétés en responsabilité sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que sur celui de l’abus de dépendance économique. Il réclamait également le règlement du solde de factures impayées.
Intéressons-nous à la demande subsidiaire, en indemnisation pour abus de dépendance économique et déséquilibre significatif, formée par l’ex-fournisseur devant la cour d’appel de Paris.
En ce qui concerne d’abord le prétendu abus de dépendance économique, la Cour d’appel raisonne à partir des éléments constitutifs de cette pratique anticoncurrentielle sanctionnée par l’article L.420-2, alinéa 2 du Code de commerce1. Le demandeur doit ainsi démontrer cumulativement trois conditions.
Tout d’abord, un état de dépendance économique. La Cour rappelle que cet état se définit comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise. La société Keroler invoquait à ce titre la notoriété de la marque McDonald’s, l’importance de la part de la société McDonald’s dans son chiffre d’affaires (entre 37 et 40%) et prétendait qu’il lui était impossible de trouver d’autres canaux de distribution compte tenu d’une exclusivité de fait qui lui aurait été imposée.
La Cour relève toutefois que la société Keroler n’était pas tenue par une clause d’exclusivité, qu’elle avait fourni ces produits à des acteurs majeurs de la grande distribution et dans ses propres boutiques et qu’elle ne justifiait d’aucun obstacle juridique ou factuel à sa faculté de diversification. Elle en conclut que l’ex-fournisseur ne démontre pas l’existence d’un tel état de dépendance économique.
Ensuite, l’exploitation abusive de la situation de dépendance économique. La société Keroler considérait que McDonalds lui avait imposé des prix dont l’évolution ne tenait pas compte de celle du prix des matières premières. La Cour répond que les prix des produits avaient toujours été fixés d’un commun accord à la suite de négociations sur une hausse tarifaire acceptable par chacune des parties.
Enfin, l’affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. La Cour relève que la société Keroler ne démontre ni n’allègue une telle atteinte portée par la pratique à la concurrence.
La cour d’appel de Paris rejette donc les arguments de l’ancien fournisseur de la société McDonalds sur ce fondement.
En ce qui concerne ensuite le prétendu déséquilibre significatif en application de l’article L.442-6 I 2° du Code de commerce, les arguments de l’ex-fournisseur sont également rejetés par la Cour, de manière assez expéditive.
La société Keroler invoquait cette disposition pour sanctionner le refus par la société McDonald’s de renégocier de bonne foi les conditions tarifaires fixées entre les parties en novembre 2007. Le premier argument est balayé par la Cour qui relève que ce texte issu de la loi de modernisation de l’économie (LME), entrée en vigueur le 6 août 2008, ne s’appliquait pas pendant la période concernée.
Le fournisseur invoquait en outre un déséquilibre significatif du fait du refus de la société McDonald’s d’appliquer les nouvelles conditions tarifaires notifiées en janvier 2013. La Cour rejette également cet argument en relevant que la société Keroler a tenté d’imposer unilatéralement de nouvelles conditions tarifaires non justifiées par l’augmentation du coût des matières premières et qu’elle ne saurait donc sérieusement prétendre que la société McDonald’s a refusé de les négocier.
L’ensemble des autres demandes du fournisseur est par ailleurs finalement rejeté.
Note
1 A noter que l’abus de l’état de dépendance dans lequel se trouve un cocontractant peut, depuis le 1er octobre 2016, constituer une violence au sens des vices du consentement du Code civil (article 1143 nouveau du Code civil).
Auteur
Amaury Le Bourdon, avocat, droit de la concurrence et droit de la distribution