Forfait en jours, décompte d’heures supplémentaires : actualité jurisprudentielle de la durée du travail
12 mars 2021
L’appréciation de la durée du travail et du respect des temps de repos fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Le début de l’année 2021 a été l’occasion d’apporter différentes précisions concernant les conséquences de la nullité ou de l’illicéité des conventions de forfait en jours et la preuve des heures supplémentaires. Panorama des récents arrêts rendus en ce domaine par la chambre sociale de la Cour de cassation et les juges du fond.
Convention de forfait en jours privée d’effet : le salarié doit rembourser le montant des JRTT (Cass. soc., 6 janvier 2021, n° 17-28.234)
Par un arrêt du 6 janvier 2021, la Chambre sociale se prononce pour la première fois sur le sort réservé aux jours de repos accordés au salarié dans le cadre d’une convention de forfait en jours privée d’effet par le juge.
Rappelons à cet égard que selon le type de manquement, la convention de forfait peut être déclarée :
-
- nulle lorsque l’accord collectif l’instituant ne respecte pas les dispositions légales ou que le salarié ne remplit pas les conditions pour en bénéficier, ce qui anéantit l’acte rétroactivement ;
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- privée d’effet, lorsque la convention a été conclue sans vice mais que l’employeur n’a pas respecté les obligations qui en découlent, ce qui suspend l’application de la convention jusqu’à ce que l’employeur respecte ses obligations.
Dans la présente affaire, un salarié contestait d’une part, le bien-fondé de son licenciement pour faute grave et réclamait d’autre part, le paiement d’heures supplémentaires, estimant que l’employeur n’avait pas respecté certaines dispositions de la convention collective instituant le forfait en jours, notamment celles relatives au suivi de la charge de travail ainsi qu’aux modalités de contrôle du temps de travail, ce dont il résultait que ladite convention devait être privée d’effet.
Les premiers juges ont retenu que la convention de forfait en jours devait être privée d’effet et ont débouté l’employeur de sa demande de remboursement des jours de repos (JRTT) dont avait bénéficié le salarié en contrepartie de l’exécution de la convention de forfait en jours.
La Cour de cassation fait finalement droit à cette demande et conclut, sur le fondement de l’article 1376 du Code civil, au caractère indu des sommes versées à l’occasion des jours de repos. Ces jours étant la contrepartie de la convention de forfait, leur paiement est devenu indu durant la période pendant laquelle celle-ci est privée d’effet.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de deux arrêts rendus par la Cour de cassation en 2019 (Cass. soc., 13 mars 2019, n° 18-12.926 ; Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-16.937) à propos de conventions de forfait en heures déclarées inopposables au salarié.
Plus généralement, cet arrêt rappelle la nécessité, pour tout salarié souhaitant contester sa convention de forfait, de mettre en balance ses demandes : s’il obtient une indemnisation au titre des heures supplémentaires effectuées, il devra rembourser les sommes perçues au titre des jours de repos dont il a bénéficié en application de la convention.
Plusieurs questions restent néanmoins en suspens, comme le sort du remboursement des cotisations versées par l’employeur au moment du paiement des jours de repos ou encore la transposition de cette jurisprudence à d’autres primes telles que les majorations de rémunération prévues par certaines conventions collectives en contrepartie du forfait en jours.
Par ailleurs, la présente affaire a été rendue sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du Code civil de 2016. Or, l’article 1302-3 dans sa rédaction issue de la réforme prévoit désormais la possibilité de réduire le montant restitué lorsqu’une faute de l’employeur peut être caractérisée.
Dans ces conditions, il ne peut être exclu à l’avenir que la défaillance de l’employeur dans l’application des dispositions conventionnelles puisse être considérée comme constitutive d’une telle faute et entraîner la réduction du montant restitué.
Preuve des heures supplémentaires : le salarié n’a pas à indiquer ses pauses dans son décompte des heures accomplies (Cass. soc., 27 janvier 2021, n° 17-31.046)
Le Code du travail institue en son article L.3171-4 un régime de preuve des heures de travail accomplies partagé entre l’employeur et le salarié. Cet aménagement de la preuve des heures supplémentaires a fait l’objet d’importantes précisions jurisprudentielles comme le rappelle la Cour de cassation dans sa note explicative de l’arrêt du 27 janvier 2021.
Ainsi, traditionnellement, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail supplémentaires, la Cour de cassation retient qu’il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à « étayer sa demande » (Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-45.441).
Depuis 2010, la Cour de cassation exige en outre que les éléments produits par le salarié soient « suffisamment précis » (Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928). Elle a ainsi considéré comme suffisamment précis le décompte d’heures ne laissant pas apparaître semaine par semaine les horaires accomplis, mais une moyenne de cinq heures supplémentaires de travail par jour tenant compte partiellement des jours de congés et des jours fériés (Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-17.594).
Néanmoins, dans un arrêt du 18 mars 2020 (n° 18-10.919) s’appuyant sur la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2019 (C-55/18) , la Chambre sociale est revenue sur le niveau d’exigence imposé au salarié abandonnant la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve, pour y substituer l’expression de « présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande » .
Rappelant les obligations mises à la charge de l’employeur en matière de contrôle de la durée du travail des salariés (C. trav., art. L.3171-2 et L.3171-3) et le rôle du juge (C. trav., art. L.3171-4), elle en déduit qu’ »il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant » .
Par cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme ce régime et précise les conditions d’examen par les juges du fond des éléments soumis à leur appréciation.
Au cas particulier, un salarié a saisi les juges d’une demande en paiement d’heures supplémentaires qu’il considérait avoir accomplies. Au soutien de celle-ci, le salarié a présenté un décompte de ses heures de travail, mentionnant pour chaque jour les heures de prise et de fin de service, ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures quotidien et le total hebdomadaire.
La Cour d’appel a rejeté la demande du salarié au prétexte que son décompte n’était pas assez précis faute d’y mentionner la prise éventuelle d’une pause méridienne.
La Cour de cassation censure cette décision au motif que les juges d’appel, ayant constaté d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre et d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, avaient ainsi fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié.
En d’autres termes, l’absence de mention de la pause méridienne dans le décompte produit par le salarié ne suffit pas à écarter sa demande en paiement d’heures supplémentaires, il appartiendra à la Cour d’appel de renvoi de se prononcer sur l’existence d’heures supplémentaires au vu des éléments apportés par chacune des parties.
Néanmoins, comme le rappelle la Cour de cassation dans sa note explicative, la charge de la preuve de la prise des temps de pause incombe à l’employeur (Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-21.848 et 11-21.599). Celui-ci n’ayant produit aucun élément de contrôle de la durée du travail, le salarié a toutes les chances d’obtenir gain de cause.
Forfait jours illicite : validation de la prise d’acte (CA Versailles, 17 février 2021, n°18/04396)
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements de l’employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Dans le cas contraire, la rupture produit les effets d’une démission.
Par un arrêt du 17 février 2021, la cour d’appel de Versailles requalifie, en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la démission d’une salariée qui invoquait des manquements graves de son employeur résultant notamment de l’illicéité de la convention de forfait en jours qui lui était appliquée.
Dans cette affaire, une salariée, rédactrice en chef adjointe, avait adressé à son employeur une lettre de démission qu’elle motivait par plusieurs manquements graves de celui-ci qui empêchaient, selon elle, la poursuite de son contrat de travail : surcharge de travail, violation du droit au repos du fait de la rédaction de revues de presse le week-end, irrégularité du forfait jours, etc.
La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de sa démission en prise d’acte.
Déboutée en première instance, la salariée obtient gain de cause devant la Cour d’appel.
Statuant sur la demande de requalification de la rupture en prise d’acte, cette dernière retient en effet que :
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- faute pour l’accord d’entreprise instituant le forfait annuel en jours d’assurer la garantie du respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires, dont le suivi effectif par l’employeur permet de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, la convention de forfait est nulle ;
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- la salarié n’a pas toujours bénéficié d’une évaluation de sa charge de travail alors que sa surcharge de travail de la salariée qui a remplacé le rédacteur en chef pendant la durée de son arrêt maladie est établie ;
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- la salariée n’a pas été rémunérée de ses heures supplémentaires ;
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- la violation du repos dominical est établie.
Statuant sur la demande en paiement d’heures supplémentaires consécutive à la nullité de la convention de forfait, la Cour d’appel fait application de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Elle retient que si la salariée ne produisait pas de décompte de ses heures supplémentaires, l’indication qu’elle travaillait le dimanche en vue de la préparation d’une revue de presse constitue des éléments suffisamment précis permettant l’instauration d’un débat contradictoire.
A défaut pour l’employeur d’apporter des éléments propres à justifier des horaires de travail effectués, elle condamne celui-ci au paiement des heures supplémentaires.
Ainsi, en l’espèce, la nullité de la convention de forfait en jours n’est pas le seul élément sur lequel s’est appuyée la Cour d’appel pour décider que la démission de la salariée devait être requalifiée en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. On ne peut donc pas déduire de cette décision que l’illicéité de la convention de forfait justifie nécessairement la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par un salarié.
Cette affaire peut être rapprochée d’un arrêt non publié rendu en 2015 par la Cour de cassation (Cass. soc., 21 janvier 2015, n°13-16.452).
Au cas particulier, la Cour d’appel, après avoir relevé que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’un forfait annuel en jours en l’absence d’autonomie du salarié tenu à des horaires fixes, ce qui justifiait le paiement des heures supplémentaires, avait néanmoins décidé que la prise d’acte produisait les effets d’une démission dans la mesure où le salarié n’avait jamais soulevé ce problème durant l’exécution du contrat.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation avait décidé que relevait des juges du fond l’appréciation des faits dont ils avaient pu déduire que le manquement n’était pas d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Néanmoins, la Cour de cassation a récemment jugé à propos de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par un salarié laquelle, comme la prise d’acte, suppose un manquement grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat, que la nullité de la convention de forfait constituait un tel manquement, en raison de l’atteinte aux droits du salarié en ce qui concerne l’organisation de son temps travail, son temps de repos et les conséquences inévitables que cette situation faisait peser sur sa vie personnelle (Cass. soc., 16 octobre 2019, n°18-16.539).
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles est susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation, le délai de saisine de la Cour de cassation n’étant pas expiré à ce jour.
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