Frais de blocage et de déréférencement : prise en charge par les FAI et fournisseurs de moteurs de recherche
Décrié par les intermédiaires techniques de l’Internet, loué par les titulaires de droits, l’arrêt du 6 juillet 2017 tranche de manière pédagogique la question de la prise en charge des frais de blocage et de déréférencement, sonnant par là-même la fin de l’affaire « Allostreaming » (Civ. 1re, 6 juillet 2017, n°16-17.217, 16-18.298, 16-18.348, 16-18.595).
Pour mémoire, les juges de première instance avaient enjoint à divers fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et de moteurs de recherche de prendre des mesures de blocage et de déréférencement de sites donnant accès à des contenus contrefaisants sur le fondement de l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle ; les coûts de mise en œuvre de ces mesures devaient toutefois rester à la charge des ayants droit. La cour d’appel de Paris avait infirmé cette analyse, et indiqué au contraire que les FAI et fournisseurs de moteurs de recherche devaient supporter de tels coûts : « une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits ».
La Haute juridiction valide le principe de prise en charge des frais par les intermédiaires, mais en précise le fondement à la lumière du droit de l’Union européenne. Si les dispositions de l’article 8 §3 de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 transposées en droit interne sous l’article L.336-2 n’affectent pas celles issues de la directive 2000/31 du 8 juin 2000 relative à la responsabilité des intermédiaires techniques, ces dernières ne s’opposent pas à ce que le coût des mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause soit supporté par les intermédiaires techniques, quand bien même ces mesures seraient susceptibles de représenter pour eux un coût important.
Par ailleurs, la prise en charge de tels frais par les FAI et fournisseurs de moteurs de recherche ne porte pas atteinte à leur liberté d’entreprendre : et pour cause, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation conclut qu’une injonction d’une juridiction nationale mettant le coût des mesures exclusivement à la charge de l’intermédiaire technique concerné ne saurait porter « atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise de ce dernier, dès lors qu’il lui est laissé le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé ». Il en irait toutefois autrement si ces mesures exigeaient de l’intéressé de faire des sacrifices insupportables, ce qu’il lui appartient alors de démontrer.
En l’occurrence, les fournisseurs ne rapportent pas une telle preuve : « la mise en balance des droits en présence ne permet pas de conclure quant à une quelconque disproportion de la mesure visée de nature à compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique des intermédiaires techniques ». Au contraire, l’équilibre économique des syndicats professionnels des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins, déjà menacé par les contrefaçons, serait aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires liées aux mesures de blocage et de déréférencement.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Alexandre Ghanty, Juriste au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris