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Les fusions d’associations, la face cachée de la réforme territoriale

Les fusions d’associations, la face cachée de la réforme territoriale

Centré sur le rapprochement institutionnel, et la mise en commun des compétences, le discours sur la mutualisation des moyens fait peu de cas des structures associatives qui gravitent autour des collectivités territoriales.


Pourtant, de nombreuses associations sont constituées à une échelle municipale, intercommunale, départementale ou régionale, pour assister ces collectivités territoriales dans la mise en œuvre de leurs compétences. La loi prévoit même dans certains cas leur intervention : ainsi des offices de tourisme, qui peuvent être constitués sous forme associative (Code de tourisme, Art. L.133-2), ou des agences de développement économique, « associations loi du 1er juillet 1901, créées à l’initiative des collectivités territoriales » conçues pour « [les] assister dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs stratégies de développement économique » (loi n°99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, Art. 49), sans compter les multiples « préconisations » contenues dans les contrats de plan Etat–région.

A ce titre, l’achèvement puis le parachèvement de la carte intercommunale, par les lois n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (« RCT »), la création des communes nouvelles ou les fusions de régions résultant de la loi n°2015-29 du 15 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, sont porteuses de conséquences majeures pour ces structures associatives.

Il en va de même de la réorganisation opérée par la loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (« NOTRé »), qui remet par exemple en cause les associations départementales constituées en vue du développement économique, notamment les vénérables comités d’expansion économique, compte tenu du transfert de la compétence associée aux régions.

Il semble que la réforme des périmètres des services déconcentrés de l’État ait produit les mêmes effets sur les structures associatives, notamment celles du secteur social.

Fort heureusement, le législateur a également créé une procédure de fusion d’associations, à l’article 9 Bis de la loi du 1er juillet 1901 (Cf. Loi n°2014-836 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire). Le rapprochement des collectivités territoriales trouve alors son pendant dans la fusion éventuelle d’associations constituées à leur échelle.

Le parallèle s’arrête néanmoins là, car ces rapprochements obéissent à des logiques distinctes. D’abord, si le droit public régit le rapprochement des collectivités territoriales, ce sont des règles de droit privé, inspirées de celles qui régissent les sociétés commerciales et davantage destinées au secteur de l’économie sociale et solidaire, qui encadrent les fusions d’associations.

Ensuite, les fusions de communes ou de régions, ainsi que les regroupements intercommunaux, sont largement encadrés par la loi et par l’État (autorité préfectorale). A l’inverse, et en principe, la mise en œuvre d’une procédure de fusion relève des seules associations participantes, aucune place particulière n’étant prévue pour les collectivités partenaires, sinon en tant qu’adhérentes. Une sur-implication de ces dernières portera donc un risque de voir les associations en cause considérées comme des entités transparentes.

En outre, les collectivités territoriales, y compris lorsqu’elles se rapprochent, sont soumises à des alternances politiques, la tentation de la table rase étant alors fréquente, et plus aisée, à l’endroit des associations constituées.

Enfin, là où les collectivités territoriales disposent de finances propres, les associations constituées par ces dernières dépendent de leurs subventions, dont l’octroi pourra aisément être conditionné à la réalisation d’une procédure de fusion.

La mise en œuvre d’une procédure de fusion d’associations dépendant des collectivités territoriales regroupées relève alors d’un subtil équilibre entre impulsion politique et nécessaire autonomie de l’association.

On pourra trouver dans la procédure formelle prévue pour la fusion (I) un moyen de prévenir les risques juridiques liés à l’utilisation de l’outil associatif par les collectivités territoriales (II).

I. La procédure de fusion résultant de l’article 9 Bis de la loi du 1er juillet 1901

Inspirée par les règles applicables aux sociétés commerciales, la procédure de fusion prévue pour les associations peut paraître trop lourde pour des structures réputées pour leur souplesse de fonctionnement.

Certes, à s’en tenir aux règles légales, la fusion de deux associations est prononcée par délibérations concordantes, adoptées dans les conditions requises par leurs statuts pour la dissolution (Cf. loi du 1er juillet 1901, Art. 9 Bis). Dans une grande majorité de cas, cette fusion sera votée par des assemblées générales extraordinaires, pouvant obéir à des règles de quorum et de majorité spécifiques.

Elle impliquera la création d’une nouvelle association absorbant les fusionnantes, ou l’absorption de l’une des fusionnantes par l’autre. Cette seconde solution présente plus de simplicité sur le plan juridique, mais elle est symboliquement plus difficile à accepter pour la partie absorbée.

Les articles 15-1 et suivants du décret du 16 août 1901, modifiés par le décret du 7 juillet 2015, ont prévu une procédure très formelle avant la délibération finale des assemblées générales. Aussi, un projet de traité de fusion doit être approuvé par les organes chargés de l’administration des associations au moins deux mois avant la réunion des assemblées générales (Art. 15-2 du décret du 16 août 1901). Ce délai impose en réalité aux associations fusionnantes de trouver un accord sur les conditions de leur fusion deux mois avant sa réalisation effective.

Le projet doit en effet contenir un certain nombre d’informations et d’annexes, telles que l’évaluation de l’actif, du passif, et des engagements souscrits qui seront transmis. Certes, la fusion entraîne en tout état de cause une transmission universelle du patrimoine, mais une information incomplète ou lacunaire sur le contenu des actifs et engagements souscrits pourrait affecter la sincérité de l’opération.

Pour apprécier l’actif et le passif transféré, l’article 15-4 du décret du 16 août 1901 prévoit aussi la mise à disposition, avec le traité, d’une situation comptable intermédiaire datant de moins de trois mois, si la clôture des comptes est antérieure de plus de six mois à la procédure de fusion. Ce document, obligatoire dès lors que l’opération de fusion se déroulera sur le second semestre, comme souvent, servira de base pour l’appréciation de l’actif et du passif dans le traité de fusion et devra donc être élaboré avant la réunion des conseils d’administration.

A noter que si la valeur de l’ensemble des actifs est supérieure à 1 550 000 euros, il conviendra également de désigner un commissaire à la fusion chargé de se prononcer sur l’évaluation de l’actif et du passif et d’exposer les conditions financières de l’opération.

Dans l’hypothèse où la fusion s’opèrerait par création d’une nouvelle association, le projet de statuts devra également être joint au projet de traité deux mois avant les assemblées générales, impliquant que les associations fusionnantes trouvent un accord sur la gouvernance de la nouvelle association.

Le traité doit encore contenir « une copie des demandes tendant à la poursuite d’une autorisation administrative, d’un agrément, d’un conventionnement… ». On pensera notamment aux subventions, dont le transfert devra être demandé aux autorités concernées : quand bien même auraient-elles été versées, il parait utile d’informer la collectivité publique que les obligations associées à une convention d’objectifs ont vocation à être transférées à une nouvelle association.

Enfin, le personnel salarié, voire les délégués ou le comité d’entreprise, devront être dûment informés des conditions dans lesquelles les contrats de travail sont automatiquement transférés, en application de l’article L.1224-1 du Code du travail. S’agissant d’associations partenaires des collectivités publiques, il conviendra aussi de s’intéresser aux fonctionnaires titulaires éventuellement mis à disposition, la collectivité d’origine devant accepter le transfert, ou adopter un nouvel arrêté au profit de l’association issue de la fusion.

Par suite, le traité de fusion et ses annexes, nombreuses seront utilement mis à disposition des membres au siège social des associations fusionnantes ou sur leur site internet (décret du 16 août 1901, Art. 15-4), et une publication sera insérée dans les journaux d’annonces légales, au plus tard trente jours avant la réunion de l’assemblée générale extraordinaire.

La nécessité de trouver un accord sur le projet de fusion et ses annexes, ainsi que le délai incompressible de deux mois entre la réunion des organes chargés de l’administration et l’assemblée générale extraordinaire, imposent donc de consacrer plusieurs mois à la fusion, quasiment la moitié d’une année. Il sera difficile d’y échapper, sauf à envisager une rétroactivité de la fusion, peu recommandable au-delà du premier jour du mois de l’opération, pour des raisons comptables et sociales.

Dans le même temps, même si la célérité de cette fusion est souhaitable pour la collectivité publique partenaire, celle-ci devra se garder de marquer une implication trop forte dans la procédure.

II. Des risques juridiques nombreux pour les collectivités publiques membres

Par nature, l’utilisation de la formule associative est source de risques juridiques importants pour les collectivités territoriales, qui devront être d’autant plus vigilantes au cours de la procédure de fusion.

Au premier rang, l’éventuelle transparence de l’association sera évaluée à l’aune de l’implication de la collectivité territoriale dans la création de l’association, de son influence sur le fonctionnement de cette dernière ; il conviendra également de s’attacher à l’objet de l’association recouvrant un service public relevant de la compétence de la collectivité, et à la part des ressources publiques dans son financement , souvent très importante en raison des subventions versées (CE, 21 mars 2007, Commune de Boulogne-Billancourt, n°281796).

Sur ces différents indices, un processus de fusion peut être vecteur d’aggravation, en particulier si la collectivité fait preuve d’une implication prononcée dans le processus de fusion ou dans l’organisation de l’association qui en est issue. La conduite de l’opération doit à ce titre demeurer au niveau des associations fusionnantes et la fusion ne doit pas plus être un prétexte pour accroître la mainmise d’une collectivité sur l’association partenaire.

Dans le même temps, les fusions d’associations permettront aussi, dans certains cas, de limiter les risques pouvant résulter d’une trop grande transparence. D’abord, si l’une des associations présente un risque de transparence, il pourra être utilement purgé, notamment si les deux associations conservent dans les faits l’initiative de la procédure et que les statuts finaux ménagent une place réduite aux personnes publiques dans leurs instances de décision.

Ensuite, on sait que la présence de personnes publiques multiples au sein de l’association atténue le risque de transparence car aucune « ne contrôle l’organisation et le fonctionnement ni le lui procure l’essentiel de ses ressources » (TC, 2 avril 2012, Société Atexo, n°C3831). Or, chacun des membres des associations fusionnantes devenant automatiquement membre de l’association issue de la fusion, celle-ci comptera vraisemblablement plusieurs collectivités publiques en son sein, lesquelles auront aussi vocation à la subventionner. Un tel argument ne vaut qu’à la condition qu’une collectivité ne monopolise pas la gouvernance de l’association, quand bien même serait-elle chef de file au titre de la compétence associée.

Au-delà de la transparence, les risques habituels de gestion de fait, de favoritisme, ou encore d’inéligibilité pour un élu condamné pour favoritisme ou qualifié d’entrepreneur de services municipaux, devront être rappelés, dans le cadre d’une cartographie des risques juridiques.

Enfin, s’il n’est pas lié en tant que tel à la procédure de fusion, mais davantage au contexte de réforme territoriale, le risque existe pour une collectivité de voir son implication remise en cause au sein de l’association. Les statuts de l’association issue de la fusion, et son objet, devront correspondre à la nouvelle répartition des compétences. Ainsi, le département ne disposant plus de compétence en matière de développement économique, son adhésion éventuelle à une agence de développement économique devra s’appuyer sur la possibilité pour cette dernière d’intervenir sur ses domaines restreints de compétences (en matière de solidarité territoriale ou d’aménagement rural).

Au final, si le formalisme de la procédure de fusion issue de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire peut apparaître excessif pour les petites structures associatives, il offre un cadre clair et sécurisé pour des opérations qui se trouvent dans le champ de l’intérêt général, à la confluence du secteur public et du secteur associatif. Ce partenariat historique, qui facilite la mise en œuvre de nombreuses politiques publiques, via des engagements financiers non négligeables, peut ainsi perdurer dans un cadre territorial rénové.

 

Auteurs

Yves Delaire, avocat associé, Droit public, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Benjamin Achard, avocat, Droit public, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon