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Gage de stocks : la résistance s’organise !

Depuis une ordonnance du 23 mars 2006, il existe deux mécanismes permettant de constituer un gage de stocks : un régime souple, inscrit aux articles 2333 et suivants du Code civil, autorisant notamment la stipulation d’un pacte commissoire, et un régime plus contraignant mentionné aux articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce.

Ce dernier concerne «tout crédit consenti par un établissement de crédit ou une société de financement à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l’exercice de son activité professionnelle». Une telle construction à front renversé, puisqu’habituellement les règles commerciales sont moins rigides, moins formalistes que les règles de droit commun, a suscité immédiatement une interrogation : est-il concevable que, d’un commun accord, les parties, c’est-à-dire la banque d’un côté, le professionnel bénéficiaire d’un crédit, d’un autre côté, conviennent expressément de soumettre la garantie au droit commun plutôt qu’au droit spécial des articles L. 527-1 et suivants ?

La très grande majorité des spécialistes, universitaires et praticiens, avait répondu affirmativement, invoquant notamment le caractère libéral de l’ordonnance de 2006. Or, dans une décision très controversée, la Cour de cassation a pris le contrepied de cette approche (Cass. com., 19 févr. 2013, n° 11-21.763). Elle a ainsi énoncé que, «s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession». A cette occasion, avait été censuré un arrêt de la cour d’appel de Paris ayant, à l’inverse, admis que les parties puissent s’affranchir des contraintes du Code de commerce pour se placer sous le régime du Code civil.

Contre toute attente, l’arrêt de renvoi, loin de se conformer au raisonnement prôné par la Haute juridiction, maintient l’approche initiale (CA Paris 27 févr. 2014). Deux arguments sont invoqués. Le premier consiste à relever que les articles L. 527-1 et suivants n’interdisent pas expressément, sous réserve que les deux parties y aient consenti, de se placer sous l’empire du gage de droit commun. Les juges appliquent ici le principe selon lequel «le silence et le doute profitent au droit commun». En second lieu, ils considèrent qu’on ne peut tenir pour frauduleuse la stipulation d’un pacte commissoire, interdite par l’article L. 527-2 du Code de commerce, puisqu’il s’agit là d’un moyen légal qu’autorise le Code civil.

Ce faisant, la cour d’appel de renvoi mérite une attention toute particulière ; et cela, pour trois raisons au moins.

D’abord parce que les arrêts des cours de renvoi qui résistent aussi frontalement à un arrêt de cassation, sans être à proprement parler exceptionnels, sont relativement rares.

Ensuite, au-delà de l’hypothèse particulière du gage de stocks, qui par elle-même revêt déjà une grande importance pratique pour garantir les financements bancaires, c’est l’ensemble du droit des sûretés qui est ici en cause. Doit-on considérer que, lorsque la loi est muette, une sûreté de droit commun ne saurait être conventionnellement substituée à une sûreté spéciale (par exemple, le «nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement» des articles L. 525-1 et suivants du Code de commerce ou le gage portant sur un véhicule automobile des articles 2351 et suivants du Code civil) ?

Ensuite, l’arrêt de la Cour de cassation, contestable dans son principe, n’était pas dépourvu d’ambigüité. En particulier, on s’interroge sur le champ d’application de la solution qu’il énonce. Quel est donc ce «gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce» ne pouvant être soumis au droit commun ? Par exemple, un gage de stocks avec dépossession échappera-t-il aux griffes du Code de commerce ?

On attend alors avec beaucoup d’impatience la réaction de la Cour de cassation à cette résistance inopinée mais bienvenue de la cour d’appel de Paris.

 

A propos de l’auteur

Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance le 28 avril 2014