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Gestion d’actifs et prix de transfert

Gestion d’actifs et prix de transfert

Les politiques de prix de transfert des acteurs de la gestion d’actifs méritent d’être revues à l’aune de récentes évolutions fiscales françaises et internationales.

1. Les mutations sectorielles à l’origine d’enjeux de transfert de bénéfices

L’industrie de la gestion d’actifs, qui emploie en France plus de 15 000 personnes pour environ 3 500 milliards d’euros d’encours sous gestion, est marquée depuis plusieurs années par un mouvement de concentration progressive. Ainsi, près de 80% des encours sont désormais gérés par une trentaine d’acteurs de référence.

On observe que cette dynamique se traduit particulièrement par l’acquisition, par de grands acteurs des secteurs de la banque ou de l’assurance, de maisons de gestion présentant un positionnement spécifique et un savoir-faire reconnu. De ces rapprochements, résulte un accroissement de l’offre disponible pour les investisseurs, consécutif à l’élargissement du potentiel de distribution des meilleurs gérants de la place, qui voient s’ouvrir à eux des réseaux commerciaux puissants. Pour parfaire leur intégration à un groupe international, ces structures agiles, constituant des PME performantes (en témoignent les niveaux de valorisation retenus lors des acquisitions, souvent en pourcentage de leurs encours), doivent revoir l’organisation de certaines de leurs fonctions, notamment la distribution et les activités de support, qui s’intègrent souvent à celles de la maison mère pour révéler les synergies attendues.

Cette intégration, à l’origine de flux intragroupe nouveaux, soulève des interrogations en matière de prix de transfert, les administrations fiscales pouvant en particulier mettre en cause l’érosion des bases imposables dans le pays où est établi le gestionnaire nouvellement acquis. Pour limiter tout risque de redressement sur le fondement d’un transfert indirect de bénéfices, il convient de structurer une politique de prix de transfert cohérente et robuste.

2. Les principales étapes de la définition d’une politique de prix de transfert appropriée à une activité d’asset management

Afin de se conformer aux règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) irriguant la plupart des législations fiscales, et particulièrement au principe de pleine concurrence, le prix auquel ces services intragroupe sont rendus doit être documenté. L’organisation d’une société de gestion comprend généralement trois types de fonctions : la gestion, la commercialisation et les activités administratives (back et middle office). Parmi celles-ci, la gestion et la commercialisation sont les plus créatrices de valeur et doivent donc être rémunérées en conséquence lorsqu’elles font l’objet d’un éclatement entre plusieurs entités du même groupe.

La première étape de définition de la politique de prix de transfert consiste en l’examen de ces fonctions, qui ne suffit pas à lui seul à déterminer quelle rémunération doit être associée à chaque transaction : les actifs détenus par les entités en présence, de même que les risques supportés, doivent être intégrés à l’analyse. En effet, on estimera qu’une société portant des actifs clés, ou prenant des risques importants, doit être plus largement rémunérée qu’une entité ne présentant pas ces caractéristiques.

La seconde étape des travaux repose sur le choix de la méthode la plus adéquate parmi celles préconisées par l’OCDE, selon le caractère entrepreneurial ou routinier des services considérés, et la disponibilité d’informations pour mener des comparaisons. A cet effet, des études de comparables peuvent être réalisées à partir de bases de données internationales, comprenant des informations sur les sociétés du secteur. Elles permettront de définir et justifier la rémunération accordée à chacune des parties à la transaction intragroupe, que celle-ci porte sur l’une ou l’autre des trois fonctions citées précédemment.

3. La nécessité de prendre en compte les évolutions récentes des règles en matière de prix de transfert

En pratique, l’importance relative de certains actifs, ou l’impact de risques, peut être difficile à mesurer et à justifier face à une administration fiscale. Ainsi, le savoir-faire de gestion, la marque, ou la qualité du réseau de distribution sont des incorporels dont l’incidence sur la création de valeur d’une activité de gestion doit être évaluée avec attention. A ce titre, dans le cadre de son projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), l’OCDE a publié en octobre 2015 une série de recommandations sur l’alignement qui doit être opéré entre la rémunération d’une entité et sa création de valeur. Au centre de ces développements, on retrouve l’évolution de la définition des actifs incorporels et de leur propriété, mais aussi des préconisations sur leur évaluation. Autant de nouveautés qui appellent à réexaminer les politiques de prix de transfert suivies par les spécialistes de l’asset management.

Le secteur impose en outre une contrainte supplémentaire en la matière : l’activité pouvant fortement fluctuer selon les tendances des marchés, la méthode de détermination des prix adoptée doit être souple, afin de limiter toute prise de risque au plan fiscal. Sur le choix de celle-ci, l’OCDE souhaite que l’usage de la méthode du partage des profits (le profit split), qui fera l’objet de travaux de l’institution sur 2016-2017, soit reconsidéré et l’indique d’ailleurs comme approprié dans le cadre d’une activité de gestion d’actifs, présentant par nature un fort niveau d’intégration des fonctions. Cependant, la méthode du prix comparable sur le marché libre (Comparable Uncontrolled Price, ou CUP) est considérée comme la plus directe pour obtenir un prix de pleine concurrence.

Dans le secteur, la CUP peut souvent être appliquée, en particulier pour la fonction de gestion, du fait de l’existence de délégations de gestion à des tiers qui peuvent fournir de bons comparables. Sur l’usage de cette méthode, des aménagements sont à attendre du Forum Conjoint sur les Prix de Transfert de l’Union Européenne, organe dédié de la Commission européenne, qui prévoit, à travers son programme de travail pour 2015-2019, de préciser l’application de ces CUP internes. Enfin, la Directive européenne révisée sur les marchés d’instruments financiers (MIFID 2), adoptée en 2014, pourrait contraindre les groupes du secteur à reconsidérer les schémas de rémunération de la chaîne allant du producteur au client final, au nom de la prévention des conflits d’intérêts pouvant impliquer les fonctions commerciales.

4. Un renforcement progressif des obligations déclaratives

A l’instar des autres activités, l’asset management est soumise aux obligations déclaratives en matière de prix de transfert, enrichies par le projet de loi de Finances pour 2016. A ce sujet, le reporting pays par pays (sur les informations relatives aux revenus, aux impôts payés et à l’activité économique), qui faisait partie du projet BEPS, vient d’être adopté par les députés et constituera le futur article 223 quinquies C du CGI.

Cette nouvelle déclaration, dont le contenu exact sera précisé par décret, concerne les sociétés-mères de groupes multinationaux dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse 750 millions d’euros, et devra être souscrite pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016. S’agissant de la déclaration annuelle en matière de prix de transfert que doivent transmettre les grandes entreprises depuis 2014 et l’introduction de l’article 223 quinquies B du CGI, les députés ont adopté un renforcement du dispositif, applicable aux déclarations 2257-SD déposées à partir du 1er janvier 2016. Les déclarations comprendront notamment l’identification des Etats et territoires dans lesquels se trouvent les actifs incorporels du groupe en relation avec l’entreprise déclarante et, le cas échéant, seront souscrites par les sociétés mères des groupes d’intégration fiscale, pour le compte des sociétés appartenant à ce groupe.

 

Auteurs

Mohamed Haj Taieb, fiscaliste économiste senior en fiscalité internationale

Quentin Thouéry des Hivernals, fiscaliste économiste en fiscalité internationale

 

Gestion d’actifs et prix de transfert – Article paru dans le magazine Option Finance le 7 novembre 2015