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Gratuité des transports en commun : la TVA pollue le débat

Gratuité des transports en commun : la TVA pollue le débat

Les réflexions autour de la mise en œuvre de la gratuité des transports ne doivent pas négliger les surcoûts liés à la TVA.

Le système de la TVA repose sur le principe suivant : « La TVA qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération » (article 271 du Code général des impôts – CGI – transposant l’article 1er, 2 al. 2 de la Directive TVA).

Le cycle de la TVA peut ainsi se résumer de la façon suivante :

Taxation à la TVA des recettes = déduction de la TVA sur les dépenses

L’application de ce principe au transport public de voyageurs autorise une exploitation des réseaux sans surcoût TVA, que le réseau soit exploité par une personne morale de droit public ou de droit privé.

En effet, « les personnes morales de droit public […] sont assujetties, en tout état de cause [à la TVA], pour les […] transports de personnes » en application de l’article 256 B du CGI.

Les personnes morales de droit privé sont quant à elles assujetties de plein droit à la TVA.

Cette absence de surcoût est toutefois conditionnée au fait que l’exploitation du réseau soit génératrice de recettes, soumises à la TVA.

C’est pourquoi le coût de la TVA induit par l’éventuelle mise en œuvre de la gratuité des transports peut s’avérer dissuasif.

Il doit être apprécié distinctement selon le mode d’exploitation du service.

1.Exploitation fiscale du service par la personne publique : l’impact TVA peut être dissuasif

Le coût attendu

Dans une question écrite n° 05390, publiée dans le JO Sénat du 21 août 2008 – page 1608, le sénateur Pierre Bernard-Reymond posait la question de la mise en Å“uvre d’ »un système de gratuité dans une perspective de développement durable« .

Le ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi lui a répondu (JO Sénat du 7 mai 2009 – page 1124) que :

« Lorsqu’une personne exerce une activité pour laquelle il n’existe aucun lien direct entre l’avantage procuré au bénéficiaire et une quelconque rémunération, cette personne ne s’inscrit pas dans le cadre de l’exercice d’une activité économique effectuée à titre onéreux, de sorte qu’une telle activité est située hors du champ d’application de la TVA. Ainsi, il en va de la situation de l’exploitant d’un service de transport public de voyageurs pour lequel la gratuité a été instaurée ou qui ne perçoit au titre de ses prestations qu’une contrepartie purement symbolique. Ce faisant, une collectivité locale qui, dans de telles conditions, exploiterait directement ce service sous la forme d’une régie dotée de la simple autonomie financière ne saurait être qualifiée d’assujettie à la TVA à ce titre, et par conséquent, ne serait pas fondée à exercer le droit à la déduction de la TVA ayant grevé les dépenses supportées pour la fourniture de ce service« .

Instaurer la gratuité des transports conduirait donc la collectivité exploitante à perdre tout droit à déduction de la TVA grevant ses dépenses liées à l’exploitation du service de transport.

Si le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) peut permettre de limiter cet impact financier, il faut rappeler que seules les dépenses réelles d’investissement ouvrent droit aux attributions du FCTVA 1.

Ainsi, si l’autorité organisatrice devait avoir recours à un prestataire pour l’assister dans l’exploitation de son réseau, la TVA grevant la facture du prestataire ne pourrait plus être récupérée du fait de l’instauration de la gratuité.

Le surcoût inattendu

Une attention particulière devra également être portée au mécanisme des régularisations de la TVA.

La réponse ministérielle précitée n’aborde pas cette problématique qui est inhérente au fonctionnement de la TVA, car la question posée n’appelait pas de précision sur ce point.

L’article 207 de l’annexe II au CGI prévoit différentes hypothèses dans lesquelles la TVA initialement déduite par un opérateur doit être reversée au Trésor public.

Figure parmi ces hypothèses celle des biens initialement utilisés pour des activités assujetties qui cessent d’être affectés à de telles opérations.

Le reversement s’opère en une seule fois, par vingtième, ou par cinquième du montant de la taxe initialement déduite, selon que les immobilisations concernées constituent des immeubles2 ou d’autres immobilisations.

Prenons l’exemple d’une autorité organisatrice qui a acquis 5 rames de tramway en 2019 pour un montant total de 15.000.000 euros HT et a supporté des coûts de construction pour l’installation des voies, dépôt, etc. pour un montant de 400.000.000 euros HT.

En 2020, l’autorité organisatrice décide de mettre en place la gratuité sur son réseau. Elle devra reverser au Trésor public :

  • sur les rames : 1.800.000 euros de TVA, soit 3/5 de la TVA initialement déduite ;
  • sur les immeubles : 72.000.000 euros de TVA, soit 18/20 de la TVA initialement déduite.

Le reversement devant s’opérer sur la déclaration à souscrire au titre de la période au cours de laquelle l’évènement (la mise en œuvre de la gratuité) est intervenu, il conviendra d’être particulièrement attentif à disposer de la trésorerie nécessaire au reversement.

A défaut, l’Administration serait fondée à exiger, outre le reversement de la TVA, l’intérêt de retard visé à l’article 1727 du CGI au taux de 0,2 % par mois.

2. Exploitation déléguée : le réalisme du droit fiscal

Lorsque l’exploitation est déléguée, le délégataire perçoit ses recettes de trafic directement des usagers.

Conformément au droit des contrats administratifs et, désormais, à l’article L. 6-4° du Code de la commande publique, pour rétablir l’équilibre du contrat, la décision prise par l’autorité organisatrice d’appliquer la gratuité sur le réseau devrait trouver sa contrepartie dans le versement d’une compensation au délégataire.

L’article 266-1-a du CGI dispose que la base d’imposition à la TVA est constituée « par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ».

Si le transport devient gratuit pour l’usager, il devrait donc demeurer payant au regard des règles applicables en matière de TVA3, l’autorité organisatrice s’étant substituée à l’usager dans le paiement du prix du billet.

Le calcul de la compensation de la gratuité devra donc prendre en compte la TVA, au taux de 10 % toutefois, s’agissant du paiement du prix d’une prestation de transport.

La TVA grevant la subvention versée ne pourra être déduite par l’autorité délégante, la somme versée ne constituant pas la contrepartie d’une opération imposable pour l’autorité organisatrice. C’est donc elle qui supportera le surcoût et finalement le contribuable local qui alimentera le budget de l’Etat dans une proportion toutefois moindre que dans le cadre d’une exploitation directe par la collectivité.

Pour conclure sur une note d’optimisme, le délégataire ne devrait pas être impacté par le mécanisme des régularisations dès lors que le transport demeure payant à son niveau, au regard de l’analyse applicable en matière de TVA.

 

[1] L’élargissement des attributions du FCTVA aux dépenses d’entretien des bâtiments publics et de la voirie ainsi qu’aux dépenses d’entretien des réseaux n’a pas vocation à avoir d’impact en la matière.

[2] Sont notamment qualifiés d’immeubles « tous ouvrages incorporés au sol et constituant des immeubles par nature (routes, voies ferrées, tunnels, ponts, digues, barrages, parcs de stationnement, terrains de tennis, etc.) ;

– des biens de nature mobilière rendus immeubles par destination, lorsqu’ils ne peuvent être détachés des immeubles auxquels ils sont incorporés sans être détériorés ou sans entraîner la détérioration de ces immeubles… » (BOI-TVA-DED-60-20-10-20180103 §130).

[3] Ces règles sont rappelées par l’Administration au BOI-TVA-BASE-10-10-10.

Auteurs

Frédéric Bertacchi, Avocat associé en droit fiscal

Emilie Dufour, Avocat en droit fiscal

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