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La gratuité : une stratégie de prédation anticoncurrentielle ?

La gratuité : une stratégie de prédation anticoncurrentielle ?

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans l’affaire Google Maps s’est prononcé sur la validité, au regard du droit de la concurrence, d’un schéma de mise à disposition à la fois payante et gratuite d’une base de données géographiques (CA Paris, 25 novembre 2015, n°12/02931, Google Maps).

Google a conçu plusieurs services de cartographie en ligne. Certains de ses services sont mis gratuitement à disposition des utilisateurs. Ainsi, outre le portail « Google Maps » qui s’adresse aux particuliers, Google commercialise son service « Google Maps API », qui s’adresse aux entreprises, sur un modèle « freemium » : la version de base « Google Maps API » est gratuite, Google se réservant toutefois la possibilité d’insérer de la publicité sur les pages présentant ses cartes ; « Google Maps API for Business », version enrichie destinée aux professionnels ayant des besoins plus élaborés, est payante.

Google a été assigné en 2009 devant le tribunal de commerce de Paris, par la société Evermaps (anciennement Bottin Cartographes). La plaignante, qui réalise des cartes destinées à être intégrées à des sites marchands, accusait notamment Google d’abuser de sa position dominante en offrant un service de cartographie en ligne gratuit. Selon elle, la fourniture gratuite de « Google Maps API », proposant des services de cartographie aussi attractifs que la version payante, était constitutive d’une pratique anticoncurrentielle destinée à capter la clientèle et à éliminer les concurrents.

Début 2012, le tribunal de commerce de Paris avait accueilli ce grief et condamné Google pour abus de position dominante.

Saisie pour avis par la cour d’appel de Paris dans le cadre de l’appel interjeté par Google, l’Autorité de la concurrence avait estimé au contraire qu’aucune pratique de prédation ne pouvait être retenue contre Google au cas d’espèce et que ce dernier n’avait donc pas commis d’abus de position dominante (ADLC, avis n°14-A-18 du 16 décembre 2014).

En effet, un comportement prédateur est caractérisé lorsqu’une entreprise en position dominante supporte des pertes ou renonce à des bénéfices à court terme et ce, délibérément, de façon à évincer ou à pouvoir évincer un ou plusieurs de ses concurrents réels ou potentiels en vue de renforcer ou de maintenir son pouvoir de marché, portant de ce fait préjudice aux consommateurs.

Un comportement fondé sur les prix s’apprécie sur la base des coûts de l’entreprise mise en cause et non de ceux de ses concurrents. Afin de déterminer l’existence d’une pratique de prix prédateurs de la part d’une entreprise multi-produits, un test de coûts spécifique est appliqué.

La Cour d’appel a jugé que le test de coûts, pertinent en l’espèce, consistait à vérifier que les revenus liés au service « Google Maps API » (incluant non seulement les revenus de la version payante mais également les éventuels revenus de la version gratuite et, notamment, la publicité) couvrent les coûts moyens incrémentaux de long terme générés par sa commercialisation.

A ce titre, la Cour d’appel a notamment relevé que les coûts d’acquisition et de mise à jour des données cartographiques ne seraient pas évités si Google ne fournissait plus les services API tout en continuant à proposer le service « Google Maps Portail ».

A l’issue de son analyse de coûts, la Cour d’appel a conclu que les revenus du service « Google Maps API » couvrent, dans la plupart des cas, l’ensemble des coûts moyens incrémentaux. Pour les hypothèses où les tests avaient situé Google en zone grise, la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas établi que Google ait déterminé ses prix dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer les concurrents.

Pour parvenir à cette conclusion, elle a notamment relevé :

  • l’absence de preuve matérielle permettant de caractériser une volonté de Google d’exclure ses concurrents du marché ;
  • le fait que le modèle économique de gratuité adopté par Google n’est pas manifestement irrationnel, dès lors qu’il est mis en œuvre sur un marché multifaces et que le modèle de gratuité est par ailleurs un modèle très répandu dans ce secteur. Elle a souligné, à cet égard, que la plupart des entreprises intervenant sur le marché des API cartographiques fonctionnent sur un modèle open source leur permettant de fournir les services de cartographie de manière gratuite ou selon un modèle « Freemium » ;
  • le fait qu’une stratégie d’augmentation des prix visant pour Google à récupérer ses pertes serait vouée à l’échec en raison de la concurrence sur le marché et de l’existence d’entrants potentiels de taille (en particulier Amazon et Apple).

En conclusion, la cour d’appel de Paris a considéré que la pratique de prédation reprochée à Google n’était pas établie.

 

Auteur

Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel en droit de la concurrence et en droit européen tant en conseil qu’en contentieux.