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Hausse « rétroactive » des prélèvements sociaux : une contestation apparaît possible s’agissant des plus-values

Hausse « rétroactive » des prélèvements sociaux : une contestation apparaît possible s’agissant des plus-values

Des contribuables ont découvert avec surprise qu’en 2018, la hausse de la CSG s’appliquera « rétroactivement » aux plus-values mobilières et aux autres revenus du patrimoine de 2017. Une contestation apparaît possible s’agissant des plus-values.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a porté le taux global des prélèvements sociaux visant les revenus du patrimoine et produits de placement de 15,5% à 17,2%, sous l’effet d’une hausse de la CSG (Loi n°2017-1836 du 30-12-2017 publiée au JO du 31-12-2017, art. 8 : FR 49/17 inf. 23 p. 25), qui peut sembler « rétroactive » pour certains revenus.

Il convient de distinguer :

  • les revenus qui ont été perçus en 2017 sous déduction des prélèvements sociaux (intérêts, dividendes, plus-values immobilières et autres produits de placement visés à l’article L. 136-7 du Code de la sécurité sociale (CSS)) qui ne seront pas concernés par la hausse ;
  • les revenus constatés en 2017 n’ayant pas supporté les prélèvements sociaux en 2017 (revenus fonciers, plus-values mobilières, certains revenus de capitaux mobiliers, certains revenus imposés comme BIC, BNC et BA qui ne sont pas soumis à la contribution sur les revenus d’activité et de remplacement, comme les plus-values professionnelles, et autres revenus du
    patrimoine visés à l’article L. 136-6 du CSS). Lorsque la déclaration des revenus 2017 faite en 2018 comprendra ce type de revenus, l’administration fiscale calculera l’impôt sur le revenu ainsi que les prélèvements sociaux au nouveau taux de 17,2% au lieu du taux de 15,5% qui s’appliquait en 2017.

La hausse de la CSG vise en effet les revenus du patrimoine (mentionnés à l’article L. 136-6 du CSS) de 2017 dès lors qu’elle est prévue pour s’appliquer (Art. 8, V-A) :
 » […] 3° A compter de l’imposition des revenus de l’année 2017, en ce qu’ils concernent la contribution mentionnée à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, sous réserve du II de l’article 34 de la loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;
4° Dans les conditions et sous les réserves définies par le présent V, aux faits générateurs intervenant à compter du 1er janvier 2018, en ce qu’ils concernent la contribution mentionnée à l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale ».

Bien que cette modalité d’entrée en vigueur soit plutôt habituelle, on remarquera que la loi prévoit de ne pas appliquer la hausse rétroactive aux plus-values mises en report obligatoire en 2017 en application de l’article 150-0 B ter à l’occasion d’un apport à une société contrôlée par l’apporteur. Cette exclusion s’explique. Mais il nous semble que la loi aurait dû exclure de la hausse l’ensemble des plus-values réalisées en 2017.

Entrée en vigueur classique, justifiée par la théorie de la « petite rétroactivité »

Rappel historique

Le législateur a procédé à plusieurs reprises par le passé à des hausses des prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine visés à l’article L. 136-6 du CSS perçus au cours de la même année, avant la publication de la loi.

Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2012 (n°2012-354 du 14-3-2012 art. 2) a prévu une hausse de 2 points du taux du prélèvement social (taux mentionné à l’article L245-16 du CSS) applicable « aux revenus du patrimoine mentionnés à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus à compter du 1er janvier 2012 ». Le taux global des prélèvements sociaux les visant est ainsi passé de 13,5% à 15,5%.

La loi de finances rectificative pour 2011 ( n°2011-1117 du 19-9-2011 art. 10) avait déjà prévu une hausse de 1,2 point du taux du prélèvement social applicable « aux revenus du patrimoine mentionnés à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus à compter du 1er janvier 2011 ». Le taux global des prélèvements sociaux les visant est ainsi passé de 12,3% à 13,5%.

La loi de finances pour 2011 ( n°2010-1657 du 29-12-2010 art. 6) avait prévu une hausse de 0,2 point du taux du prélèvement social (taux prévu à l’article L 245-16) applicable « aux revenus du patrimoine mentionnés à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus à compter du 1er janvier 2010 ». Le taux global des prélèvements sociaux les visant est ainsi passé de 12,1 à 12,3%.

Justification par la théorie de la « petite rétroactivité »

Ces hausses peuvent sembler « rétroactives » car elles s’appliquent aux revenus du patrimoine réalisés au cours de la même année, avant la publication de la loi. Mais cette « rétroactivité » est juridiquement réputée inexistante, ce qui la rend impossible à contester en l’absence de circonstances particulières.

En effet, en matière d’impôt sur le revenu, le principe de la « petite rétroactivité » découlant de la jurisprudence du Conseil d’Etat correspond à l’idée que:

  • le fait générateur de l’impôt est réputé fixé au dernier jour de l’année civile de réalisation ou de mise à disposition des revenus, c’est-à-dire au 31 décembre,
  • un changement de la loi fiscale publié au JO antérieurement au 31 décembre (ou au plus tard à cette date) ne peut donc pas être valablement contesté sur le terrain de la rétroactivité si la hausse vise les revenus réalisés au cours de la même année avant la publication de la loi .

On notera que le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas non plus aux lois s’inscrivant strictement dans la « petite rétroactivité », ni à celles qui font remonter la date de prise d’effet d’une mesure fiscale nouvelle à la date du dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale pour autant que le motif d’intérêt général soit suffisant (Cons.const 29-12-2012 n°2012-661 DC).

Pour une illustration de la prise d’effet d’une mesure à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi qui l’institue, on retient le report automatique d’imposition, prévu par l’article 150-0 B ter du CGI issu de la loi 2012-1510 du 29-12-2012, qui s’applique aux apports à des sociétés contrôlées par l’apporteur réalisés à compter du 14 novembre 2012.

Le Conseil constitutionnel s’oppose en revanche à des lois qui, sans motif d’intérêt général suffisant, remettraient en cause le caractère libératoire d’une imposition (Cons. Const. 29-12-2012 n°2012-662 DC). Tel a été le cas dans le cadre de la loi de finances pour 2013 avec la tentative de suppression du prélèvement forfaitaire libératoire opéré sur les dividendes en cas d’option du contribuable. Le dispositif censuré avait pour objet de soumettre au barème de l’impôt sur le revenu les revenus distribués par les sociétés ainsi que les produits de placement perçus en 2012 pour lesquels les contribuables avaient opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire de l’impôt sur le revenu. La décision des Sages indique que « la volonté du législateur d’assurer en 2013 des recettes supplémentaires liées à la réforme des modalités d’imposition des revenus de capitaux mobiliers ne constitue pas un motif d’intérêt général suffisant pour mettre en cause rétroactivement une imposition à laquelle le législateur avait attribué un caractère libératoire et qui était déjà acquittée ».

Au cas particulier, les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine mentionnés à l’article L 136-6 du CSS seront exigibles à la suite de la déclaration en 2018 des revenus perçus ou réalisés en 2017, et recouvrés par l’administration fiscale, en même temps que l’impôt sur le revenu. Dès lors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a été publiée au JO du 31 décembre, une contestation ne semble donc possible que si la situation se situe hors du strict cadre de la « petite rétroactivité ».

Une particularité notable : le fait générateur des plus-values imposables est fixé à la date de la cession 

Le législateur a décidé de ne pas appliquer la hausse aux plus-values de 2017 relevant de l’article 150-0 B ter du CGI

Les plus-values mises en report obligatoire en application de l’article 150-0 B ter (plus-values réalisées à raison de l’apport des titres à une société contrôlée par l’apporteur), relèvent, comme les plus-values ordinaires et les plus-values professionnelles, des revenus du patrimoine mentionnés à l’article L 136-6 du CSS.

Mais le législateur a décidé de différer l’entrée en vigueur, en prévoyant l’application de la hausse de la CSG aux revenus du patrimoine de 2017 « sous réserve du II de l’article 34 de la loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ».

Pour rappel, le II de l’article 34 de la loi de 2016 a prévu que le taux applicable, pour les plus-values mises en report en application de l’article 150-0 B ter du CGI, est celui de l’année de réalisation des plus-values. Cette règle a été fixée pour respecter l’exigence constitutionnelle exprimée dans la décision n°2016-538 QPC du 22 avril 2016.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé « qu’en l’espèce aucun motif d’intérêt général ne justifie l’application rétroactive de [nouvelles] règles de liquidation à une plus-value placée, antérieurement à leur entrée en vigueur, en report d’imposition obligatoire » et qu’une loi ne saurait « sans porter atteinte aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d’assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l’imposition de plus-values mobilières obligatoirement placées en report d’imposition ».

Ainsi, les plus-values mises en report obligatoire en 2017 seront imposables aux prélèvements sociaux (lorsque le report prendra fin) au taux global de 15,5% et non au taux augmenté de 17,2%.

La date spécifique du fait générateur des plus-values aurait dû conduire le législateur à ne pas appliquer la hausse aux plus-values mobilières et aux plus-values professionnelles réalisées en 2017

Les plus-values mobilières et les plus-values professionnelles, (qui sont les unes et les autres visées à l’article L 136-6 du CSS), réalisées en 2017 sont concernées par la hausse de la CSG dès lors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 n’a pas prévu d’exception les visant expressément.

Pour autant, la jurisprudence du Conseil d’Etat paraît permettre de contester la rétroactivité de la hausse de la CSG. En effet, le fait générateur des plus-values n’est pas fixé au 31 décembre comme pour l’ensemble des revenus, mais à la date de la cession.

Des décisions du Conseil d’Etat, rendues en formation de section du contentieux et d’assemblée, ont jugé qu’existe une « règle suivant laquelle le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est constitué au cours de l’année de sa réalisation » (CE sect. 28-5-2004 n°256090, min c/ Naudet : RJF 8-9/04 n°888 et CE sect. 10-4-2002 n°226886, de Chaisemartin : RJF 7/02 n°788 précisant les règles applicables à un régime de report, règle confirmée en formation d’assemblée par décision du 31-5-2016 n°393881 : RJF 8-9/2016 n°761).

Et cette position a été précisée dans plusieurs décisions rendues en chambres réunies :

  • dans une décision du 26 janvier 2018, le Conseil d’Etat a indiqué qu’un seuil de détention de 5% pour le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères « s’apprécie à la date du fait générateur de l’impôt – c’est-à-dire, s’agissant d’une plus-value de cession, à la date de la cession«  (CE 8e-3e ch. 26-1-2018 n°408219 : FR 12/18 inf. 2 p. 5),
  • dans une décision du 25 octobre 2017, à propos d’une plus-value mobilière ordinaire relevant de l’impôt sur le revenu sur des titres qui avaient été cédés avant que le prix de vente définitif ne soit connu (mais le contrat de vente permettait de déterminer le prix par des éléments ne dépendant plus de la volonté de l’une des parties ou de la réalisation d’accords ultérieurs), le Conseil d’Etat a précisé que « la vente […] constitue le fait générateur de l’imposition de la plus-value » ( CE 8e-3e ch. 25-10-2017 n°392663 : RJF 1/18 n°36).
  • dans une décision du 10 février 2017 à propos d’une plus-value professionnelle, le Conseil d’Etat a jugé que « lorsque sont contestées, sur le fondement d’une interprétation plus favorable de l’administration, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu frappant la plus-value résultant d’une cession de titres ou de droits, il convient de se placer, pour déterminer l’interprétation invocable, à la date du fait générateur de cette plus-value, c’est-à-dire à la date à laquelle est intervenue la cession, et non pas au 31 décembre de l’année d’imposition, date du fait générateur de l’impôt sur le revenu » (CE 9e -10e ch. 10-2-2017 n°386221 : RJF 5/17 n°460)

On signale que les conclusions de Marie-Astrid de Barmon dans cette affaire indiquaient notamment que « Les plus-values de cession obéissent en effet à un régime d’imposition à l’impôt sur le revenu particulier. Ce n’est ni à la clôture de l’exercice ni à la fin de l’année civile que naît le fait générateur de l’imposition d’une plus-value, mais à la date à laquelle la vente devient parfaite au sens de l’article 1583 du code civil. Vous jugez de manière constante que le fait générateur d’une plus-value et de son imposition est le transfert de propriété […] Il en découle que la plus-value réalisée par l’associé d’une société de personnes, lors de la cession de parts de cette société au sein de laquelle il exerce son activité professionnelle, est imposable, selon le régime des plus-values professionnelles, au titre de l’année au cours de laquelle intervient le transfert de propriété des titres, et non au titre de l’année de clôture de l’exercice social en cours au moment de ce transfert, si elle est différente (4-2-2013 n°347394, min. c/ Pienne : RJF 3/13 n°383). […] Les mécanismes de report d’imposition des plus-values ne conduisent pas à une solution différente. Comme vous l’expliquaient le commissaire du gouvernement Lobry dans ses conclusions sur une décision du 29 décembre 1978 (n°8758, RJ 2/79 n°76) puis le président Bachelier concluant sur votre décision I… du 10 avril 2002 (CE n°226886 : RJF 7/02 n°788), le report d’imposition n’a pas pour effet d’effacer le fait générateur de l’impôt qui est constitué par la réalisation de la plus-value dégagée au moment de la cession. L’assiette imposable est définitivement constituée à la date du transfert de propriété. Les règles de liquidation (notamment le taux d’imposition) sont celles applicables à la date de l’événement qui met fin au report, mais les règles d’assiette sont celles en vigueur à la date de la cession (vous pouvez également voir en ce sens la décision QPC du Conseil constitutionnel du 22 avril 2016, n°2016-538 : RJF 7/16 n°644) » ;

  • dans une décision du 9 novembre 2015 rendue à propos des compléments de prix (earn out), le Conseil d’Etat a précisé que « le fait générateur de l’imposition de la plus-value imposable en application de l’article 150 A du CGI est constitué par la cession à titre onéreux des biens ou des droits de toute nature qui y sont visés ; que cette cession doit être regardée comme réalisée à la date à laquelle le transfert de propriété intervient, indépendamment des modalités de paiement » (CE 9e et 10e s.-s., min. c/ B.9-11-2015 n°371571 : RJF 2/16 n°145),
  • dans une décision du 4 février 2013 n°347394, le Conseil d’Etat a précisé que « le fait générateur de l’imposition de la plus-value résultant de la cession ou donation de tout ou partie de ces droits sociaux, qui relèvent de l’actif professionnel personnel des contribuables, intervient à la date du transfert de propriété des titres » (CE 3e et 8e s.-s.,4-2-2013 n°347394 et 347426, min. c/ Pienne : RJF 4/13 n°383).

Au vu de la constance de cette jurisprudence, il paraît possible de soutenir que la hausse de la CSG prévue par la loi ne s’inscrit pas dans le cadre de la « petite rétroactivité » dès lors que la loi vise des plus-values dont le fait générateur (la cession) est intervenu en 2017 avant le 31 décembre, date de publication de la loi au Journal officiel.

Ainsi, l’application de la hausse des prélèvements sociaux aux plus-values de 2017 apparaît juridiquement rétroactive, et donc contestable en l’absence de motif d’intérêt général suffisant. Or, on peine à voir de quel motif d’intérêt général pourrait justifier cette rétroactivité.

Ainsi, des contribuables pourront être tentés de soutenir que le taux global devrait être maintenu à 15,5% pour les plus-values mobilières ordinaires et les plus-values professionnelles réalisées avant le 31 décembre 2017, date de publication de la loi au Journal officiel. Une question, fondée sur la contrariété de la loi à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et à la Constitution, semble ouverte.

 

Auteur

Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale

 

Hausse des prélèvements sociaux sur plus-values mobilières – Avis d’expert publié le 23 février 2018 sur l’espace abonné (Navis) des Editions Francis Lefebvre
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