Impossibilité d’exécuter le contrat de travail : suspendre, reclasser ou licencier?
8 janvier 2019
Quelle attitude adopter face à des circonstances extérieures qui rendent impossible l’exécution du contrat de travail : suspendre le contrat, reclasser ou licencier le salarié ?
Par trois arrêts récents, la Cour de Cassation atténue l’obligation incombant à l’employeur de fournir du travail au salarié en autorisant la suspension du contrat, voire le prononcé du licenciement sans recherche préalable d’une solution de reclassement.
L’employeur a l’obligation de fournir du travail au salarié
L’employeur a pour première obligation de fournir au salarié le travail convenu ; il doit également lui procurer les moyens nécessaires à l’exercice de ses fonctions et assurer en toutes circonstances le paiement du salaire.
L’employeur qui n’a plus de travail à donner au salarié doit en principe le licencier. Aussi longtemps qu’il ne le fait pas, ses obligations de lui fournir du travail et de le rémunérer subsistent.
L’inexécution de ces obligations autorise d’ailleurs le salarié à prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou à solliciter sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.
Des circonstances étrangères à l’employeur peuvent cependant rendre impossible l’exécution du contrat de travail. Tel est le cas notamment de la suspension du permis de conduire d’un salarié dont le poste implique l’utilisation d’un véhicule, ou encore du retrait d’une autorisation nécessaire à l’exercice d’un emploi (professions réglementées, agrément propre aux activités de sécurité, etc.).
L’employeur doit-il alors proposer au salarié concerné d’occuper temporairement un autre emploi, adapter son poste de travail, suspendre son contrat de travail ou bien le licencier ?
La Cour de Cassation s’est récemment prononcée sur les alternatives de l’employeur placé devant de telles circonstances.
L’employeur est exonéré de cette obligation en cas d’impossibilité matérielle
Dans un arrêt rendu le 14 novembre 20181, la Cour de Cassation était saisie de la situation d’un salarié dont l’agrément préfectoral -nécessaire pour exercer ses fonctions de contrôleur technique automobile- avait été suspendu. L’employeur avait de ce fait cessé de le faire travailler et de le rémunérer, sans pour autant le licencier. Le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail après deux mois d’inactivité.
La Cour d’Appel avait jugé la prise d’acte justifiée en retenant que l’absence de fourniture de travail et de rémunération caractérisaient des manquements de l’employeur.
La Cour de Cassation sanctionne ce raisonnement en jugeant que le défaut de fourniture du travail et de rémunération n’est pas imputable à l’employeur.
Surtout, la Cour admet que l’employeur ne licencie pas le salarié pendant cette période.
De fait, elle considère qu’une contrainte extérieure qui empêche l’exécution du contrat de travail autorise l’employeur à le suspendre, ce de manière unilatérale.
Cette solution surprend : le salarié est en effet laissé dans l’incertitude quant au sort de son contrat de travail et est privé de revenus d’activité comme de remplacement.
Elle ne peut donc se concevoir que si la durée de la suspension n’est pas excessive ; elle ne devrait pas excéder deux à trois mois.
L’impossibilité d’exécuter le contrat peut également fonder un licenciement
Par un arrêt rendu le 28 novembre 20182, la Cour de Cassation valide cette fois le licenciement d’un salarié fondé sur le retrait de l’habilitation nécessaire pour accéder à son lieu de travail (la zone d’accès restreint d’un aéroport). La Cour juge que cette situation « rendait impossible l’exécution du contrat de travail par le salarié ».
Elle précise surtout que, à la suite du retrait d’une habilitation, « aucune obligation légale ou conventionnelle de reclassement ne pèse sur l’employeur ». Cette précision est bienvenue.
L’impossibilité d’exécuter le contrat de travail dans ses termes initiaux constitue ainsi un motif de licenciement. La Cour de Cassation n’exige pas explicitement que cette impossibilité soit irréversible, et l’employeur n’est pas contraint de rechercher un emploi de reclassement ou une adaptation du poste de travail.
Enfin, la Cour de Cassation considère dans un autre arrêt rendu le 28 novembre 20183 que la poursuite du contrat de travail est impossible dès lors que le salarié était tenu selon ce contrat d’utiliser son véhicule personnel à des fins professionnelles et qu’il ne dispose plus d’un véhicule ; son licenciement est bien-fondé.
Cette décision surprend là encore : l’employeur doit en principe fournir au salarié les moyens nécessaires à l’exécution de son travail. La Cour de Cassation privilégie ici l’appréciation des contraintes imposées par le contrat de travail.
Le motif tiré de l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail doit être invoqué avec précaution
Sauf obligation légale ou conventionnelle contraire -comme il en existe par exemple dans la branche des transports routiers en cas de perte du permis de conduire- l’employeur peut donc décider de suspendre le contrat de travail ou de licencier le salarié sans recherche préalable de reclassement, à raison de l’impossibilité d’exécuter ce contrat. Le licenciement notifié n’aura le plus souvent pas une nature disciplinaire.
Il est toutefois indispensable que cette impossibilité résulte de circonstances objectives et non-imputables à l’employeur.
En pratique, devraient seuls pouvoir être invoqués le retrait de permis, autorisations ou habilitations ou encore le défaut d’une condition contractuelle essentielle ; la mention détaillée des contraintes d’exercice de l’activité dans le contrat de travail est à cet égard opportune.
Aussi, le motif tiré de l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail, même davantage pris en compte par la Cour de Cassation, doit être invoqué avec précaution.
Notes
1 Cass. Soc. 14 novembre 2018 n°17-11.448
2 Cass. Soc. 28 novembre 2018 n°17-13.199
3 Cass. Soc. 28 novembre 2018 n°17-15.379
Auteur
Xavier Cambier, avocat, droit du travail
Impossibilité d’exécuter le contrat de travail : suspendre, reclasser ou licencier ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 28 décembre 2018
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