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Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur

Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur

Sauf dispense expressément formalisée par le médecin du travail, l’employeur d’un salarié déclaré inapte doit procéder à une recherche de reclassement. Si cette obligation n’est qu’une obligation de moyens, et non de résultat, l’employeur doit néanmoins procéder à une recherche sérieuse et la mettre en œuvre de bonne foi.

 

Ceci étant, lorsque l’employeur a proposé au salarié au moins un poste de reclassement conforme, il est réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement, la charge de la preuve de la déloyauté incombant alors au salarié qui l’invoque. C’est l’apport de l’arrêt rendu le 4 septembre 2024 par la Cour de cassation (1).

 

La rupture du contrat de travail du salarié qui refuse la proposition de reclassement de l’employeur

 

Depuis la loi Travail du 8 août 2016, l’article L.1226-2-1 du Code du travail (en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle) comme l’article L.1226-12 (en cas d’inaptitude d’origine professionnelle) prévoient que l’employeur peut rompre le contrat de travail du collaborateur déclaré inapte dans trois hypothèses :

 

le médecin du travail a apposé dans son avis la mention expresse que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi,

 

l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 (ou L.1226-10 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle),

 

⇒ le salarié a refusé l’emploi proposé dans ces conditions.

 

Ces articles ajoutent que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 (ou L.1226-10 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle), en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ».

 

Ces dispositions définissent l’emploi de reclassement que l’employeur est susceptible de proposer à son collaborateur inapte comme «un emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel».

 

Elles ajoutent que «cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise (…). L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail».

 

Au-delà du périmètre géographique des recherches de reclassement qu’elle pose, la loi prévoit donc que la proposition de reclassement porte sur un emploi approprié aux capacités du salarié, ce qui renvoie tant à ses aptitudes médicales, telles que précisées par le médecin du travail, qu’à ses capacités professionnelles.

 

Une cause de rupture également subordonnée à une exigence de loyauté réaffirmée

 

Antérieurement à la loi Travail, la jurisprudence exigeait de l’employeur qu’il propose au salarié l’ensemble des postes disponibles et compatibles avec ses aptitudes, pour considérer qu’il avait valablement satisfait à son obligation de recherche de reclassement (2), et considérait que le refus du salarié inapte d’un ou plusieurs postes de reclassement ne suffisait pas à établir que l’employeur avait satisfait à son obligation de reclassement (3).

 

Selon une lecture littérale des nouveaux textes, l’employeur semble pouvoir ne proposer qu’un seul poste au salarié déclaré inapte pour satisfaire à son obligation de reclassement. En effet, l’article L.1226-2-1 (comme l’article L.1226-12) autorise l’employeur à licencier le salarié qui a refusé, non pas les emplois, mais «l’emploi» – au singulier – qui lui a été proposé dans les conditions légalement définies.

 

Cette rédaction était un motif d’inquiétude exprimé par le rapporteur du projet de loi (4), et repris par une partie de la doctrine.

 

Cependant, s’il n’était évidemment pas souhaitable que l’employeur puisse se décharger de son obligation de reclassement en proposant n’importe quel poste au salarié inapte, il convient de rappeler que, selon la loi, l’emploi proposé doit être le plus comparable possible avec l’emploi précédemment occupé, après prise en compte des indications du médecin du travail. C’est déjà là un premier garde-fou fondamental.

 

Amenée à se prononcer en 2022 sur les nouvelles dispositions légales, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence antérieure, en reconnaissant l’existence d’une présomption légale de bonne exécution de l’obligation de reclassement lorsqu’il a proposé un emploi conforme aux préconisations du médecin du travail (5).

 

Elle a cependant subordonné le jeu de cette présomption à une exécution loyale par l’employeur de son obligation de reclassement :

 

«La présomption instituée par ce texte ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».

 

La Cour de cassation a, ce faisant, ajouté un second garde-fou, en érigeant la loyauté de l’employeur en un préalable à la mise en œuvre de la présomption.

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’employeur avait proposé au salarié déclaré inapte à son poste d’ouvrier, manœuvre TP, trois postes de reclassement, éloignés de son domicile, sans lui proposer un poste de conducteur d’engins, disponible à proximité, que le médecin du travail avait mentionné comme possible reclassement après évaluation du niveau de vibrations, alors que le salarié avait occupé ce poste précédemment pendant près de 10 ans, et qu’il demandait à y être reclassé.

 

En l’état de ces constatations, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir «déduit que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement».

 

La charge de la preuve de la déloyauté repose sur le salarié

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 septembre 2024, un salarié engagé en qualité de monteur courant fort avait été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après que l’employeur lui avait proposé neuf postes, «tous éloignés géographiquement du domicile du salarié», qu’il avait refusés.

 

Le salarié avait contesté son licenciement, estimant que son employeur avait fait exprès de ne pas lui proposer de postes plus proches de son domicile, alors que de nombreux autres postes étaient disponibles.

 

La Cour d’appel avait donné raison au salarié en relevant que les pièces versées démontraient «qu’au-delà des neuf postes proposés, tous éloignés géographiquement du domicile du salarié, il existait de nombreux autres postes à pourvoir et que la société ne produisait pas le registre du personnel de ses établissements situés sur la région Normandie » et en retenant que « à défaut de rapporter la preuve qu’il n’existait pas en Normandie de postes disponibles et compatibles avec les qualifications et capacités physiques restantes du salarié, l’employeur ne démontrait pas avoir respecté son obligation de reclassement dans des conditions suffisamment loyales et sérieuses».

 

La Cour de cassation a censuré cette décision.

 

En effet, après avoir rappelé que «la présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains, dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve» (C. civ., art. 1354), la Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve.

 

Il en résulte de donc que, dès lors que l’employeur a proposé au salarié un poste conforme aux exigences légales, son obligation de reclassement est réputée satisfaite. C’est au salarié qui entend la contester qu’il appartient alors de démontrer que ces recherches n’ont pas été menées loyalement.

 

A l’heure où de nombreuses entreprises disposent d’une « bourse aux emplois » en interne et où les représentants du personnel sont, sauf cas de dispense, consultés sur les recherches de reclassement, la présomption dont bénéficie l’employeur qui a proposé un emploi conforme ne semble pas décisive ni excessive.

 

AUTEUR

Aurore Friedlander, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cass. Soc. 4 septembre 2024, n° 22-24.005
(2) not. Cass. soc., 29 novembre 2006, n°05-43.470 ; Cass. soc., 18 mars 2020, n°18-26.114
(3) not. Cass. soc., 23 mai 2017, n°16-13.222
(4) Rapport n° 3675 de M. Christophe SIRUGUE, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 avril 2016
(5) Cass. soc., 26 janvier 2022, n°20-20.369