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Incidence sur la participation des salariés du CIR et… vice versa

Du fait de l’importance des montants en jeu, les sociétés bénéficiaires du Crédit d’Impôt Recherche (« CIR ») font régulièrement l’objet de contrôles de la part de l’administration fiscale et sont souvent concernées par des contentieux sur son calcul ou sur son effet sur la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.

1. Incidence de la participation et de l’intéressement sur le calcul du CIR

Par deux décisions du 12 mars 2014, le Conseil d’Etat vient de trancher en faveur de la prise en compte de l’intéressement et de la participation versés aux salariés affectés à la recherche dans les dépenses de personnel à retenir dans la base de calcul du CIR (CE, 12 mars 2014, 8e et 3e s-s, n°365875 et n° 375877).

Pour rappel, le CIR est notamment calculé sur les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens directement et exclusivement affectés aux opérations de recherche et développement (article 244 quater B du Code Général des impôts, ci-après « CGI »). Les dépenses de personnel comprennent les rémunérations et leurs accessoires ainsi que les charges sociales, dans la mesure où celles-ci correspondent à des cotisations sociales obligatoires (article 49 septies de l’annexe III du CGI).

De nombreux contentieux opposaient l’administration aux contribuables sur la question de la prise en compte, au titre des dépenses de personnel éligibles au CIR, de l’intéressement et de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Ces contentieux avaient déjà donné lieu à plusieurs jugements successifs rendus par les juridictions inférieures, décisions qui étaient favorables aux contribuables (notamment CAA de Nantes du 20 décembre 2012 ; TA de Rennes du 19 avril 2012 ; TA de Montreuil du 5 juillet 2012 et du 11 avril 2013).

Dans ces affaires, l’administration fiscale refusait de qualifier les sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation de rémunération ou d’accessoire à la rémunération. Elle les excluait donc des dépenses de personnel ouvrant droit au CIR, en se fondant notamment sur :

  • le caractère collectif et non individuel de ces sommes, déterminées en fonction du résultat et des performances collectives de l’entreprise et non par référence à l’activité individuelle des chercheurs et des techniciens ;
  • la nature d’affectation de résultats pour la participation des salariés, analysée comme un droit sur les bénéfices et portée dans un compte de « réserve » spéciale de participation ;
  • la comptabilisation éventuellement retenue pour ces sommes, non nécessairement enregistrées en compte de frais de personnel ;
  • et enfin la qualification de ces sommes, qui n’ont pas le caractère d’élément de salaire et ne sont pas soumises aux cotisations sociales, au regard du code du travail et de la sécurité sociale.

Aucun de ces arguments n’a été retenu par le Conseil d’Etat qui dans un considérant très clair indique que : «sans qu’y fasse obstacle la qualification que donnent à ces versements des dispositions du code du travail et du code de la sécurité sociale, ces versements constituent […] pour la société des dépenses de personnel pouvant être comprises dans l’assiette du crédit d’impôt recherche ».

Par cette décision, le Conseil d’Etat réaffirme le caractère autonome du droit fiscal au regard notamment du droit du travail et de la sécurité sociale.

Les sociétés bénéficiaires du CIR peuvent se réjouir de cette décision.

Il est bien entendu possible de tenir compte de cette décision pour le calcul du CIR au titre des dépenses de l’année 2013 : les entreprises déposeront leur déclaration n°2069-A avec le relevé de solde de l’IS (n°2572), ou avec la déclaration de résultats pour les contribuables soumis à l’impôt sur le revenu (ci-après « IR »).

S’agissant des années antérieures, il est possible de demander un dégrèvement d’impôt à hauteur des suppléments de CIR dont aurait dû bénéficier le contribuable au titre des années 2011 et 2012, qui sont des années non encore prescrites.

En pratique, une réclamation contentieuse doit être déposée pour obtenir le bénéfice d’un supplément de CIR pour les dépenses relatives à l’intéressement des années 2011 et 2012 et à la participation versée en 2011 et 2012. La réclamation contentieuse doit être conforme aux règles de forme et de contenu prévues aux articles R 197-1 et suivants du Livre des Procédures Fiscales (ci-après « LPF ») et doit comprendre notamment sous peine d’irrecevabilité :

  • le relevé de solde de l’IS pour les contribuables soumis à l’IS ou la déclaration de résultats pour les contribuables soumis à l’IR pour chaque exercice visé, faisant état du montant de CIR initialement déclaré et du montant de l’impôt acquitté ;
  • ainsi que les déclarations rectificatives de CIR (imprimés n° 2069-A).

Les réclamations contentieuses doivent être déposées auprès du service des impôts des entreprises compétent avant le 31 décembre 2014 pour le CIR calculé au titre de l’année 2011 et avant le 31 décembre 2015 pour le CIR calculé au titre de l’année 2012, conformément à l’article R 196-1 du LPF.

2. Incidence du CIR sur le calcul de la participation des salariés

Si la question de l’incidence de l’intéressement et de la participation sur le calcul du CIR semble aujourd’hui définitivement tranchée, à l’inverse, la question de l’incidence du CIR sur le calcul de la participation ne semble toujours pas réglée.

En effet, l’administration, qui n’a pas modifié sa doctrine, refuse visiblement de se conformer à la décision du Conseil d’Etat rendue le 20 mars 2013 à ce sujet dans l’affaire Schlumberger, et décide ainsi d’augmenter les droits à participation des salariés de sociétés bénéficiant du CIR.

Pour rappel, dans la formule légale de calcul de la participation1, le bénéfice net doit être diminué de l’impôt correspondant.

L’administration fiscale considère que « l’impôt correspondant » s’entend de l’impôt sur les sociétés minoré des crédits d’impôts octroyés à la société (BOI-BIC-PTP-10-10-20-10 n° 200 et 210). Il s’agit donc en d’autres termes de l’impôt effectivement versé par la société, après imputation du CIR, la participation s’en trouve ainsi mécaniquement augmentée. Par un rescrit en date du 13 avril 2010, l’administration précise même que dans le cas où le CIR est supérieur au montant de l’impôt, « la restitution du CIR, […] est susceptible de générer un impôt négatif aboutissant à une majoration du bénéfice servant au calcul de cette réserve ».

Le Conseil d’Etat, dans une décision en date du 20 mars 2013, a jugé au contraire, que l’impôt à déduire du bénéfice net n’a pas à être diminué du montant des crédits d’impôts qui ne correspondent pas à des revenus inclus dans le résultat imposable, tels que notamment le CIR (CE, 20 mars 2013, n°347633, Sté Etudes et Productions Schlumberger).

Bien qu’il paraisse clair, sur la base de cette jurisprudence, que « l’impôt correspondant » doit s’entendre pour le calcul de la participation des salariés de l’impôt avant prise en compte des crédits d’impôt octroyés, l’administration n’a pas modifié sa doctrine et ne semble donc pas vouloir suivre le raisonnement du Conseil d’Etat, et ce notamment s’agissant du CIR.

Dans ce contexte, les sociétés ont à choisir entre la position du Conseil d’Etat, selon lequel le CIR n’augmente pas les droits à participation, et la position administrative, qui lui reste opposable, qui indique l’inverse. Une incertitude supplémentaire est liée au fait que la solution à retenir peut faire l’objet d’évolutions sur le plan légal.

Ainsi, la question s’est posée à nouveau dans le projet de loi de finances rectificative pour 2013 dans lequel l’article 18 septies, in fine censuré par le Conseil Constitutionnel, proposait d’introduire dans la loi une disposition visant à inclure les crédits d’impôt (à l’exception du CICE) dans le calcul de la participation des salariés. Cet article a révélé le refus de l’administration de se conformer à la décision du Conseil d’Etat. Cet article, bien que censuré par le Conseil Constitutionnel au motif notamment que ces dispositions n’étaient pas relatives au domaine que la loi organique du 1er août 2001 réserve aux lois de finances, montre la tentative du législateur de revenir sur la décision du Conseil d’Etat susvisée. En effet, le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 2013, indique expressément que l’objectif de l’article 18 septies était d’inscrire « dans la loi certains points de doctrine administrative annulés par le Conseil d’Etat et relatifs au mode de calcul de la réserve spéciale de participation ».

Il reste à voir si le législateur saisira une nouvelle occasion pour intervenir.

Notes

1. R = 1/2 [B – (5 % C)] x [S/VA] où B : représente le bénéfice net de l’entreprise ; C : les capitaux propres ; S : les salaires ; VA : la valeur ajoutée.

 

 

A propos des auteurs

Martine Ebrard-Grellety, avocat associée, spécialisée en fiscalité.

Pauline Combes, avocat, Département fiscal.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 24 mars 2014